Le cadre limitatif de la révocation testamentaire

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Dans un arrêt du 8 juillet 2015, la Cour de cassation est venue limiter les cas de révocation tacite des testaments aux dispositions légales et jurisprudentielles existantes. Ils ne peuvent résulter que de la rédaction d’un nouveau testament, incompatible avec un testament antérieur, de l’aliénation de la chose léguée ou encore de la destruction ou de l’altération volontaire du testament révoqué tacitement. Ce cadre limitatif prévaut sur la volonté du de Cujus. 

Il est de l’essence même du testament d’être librement révocable, ainsi qu’en dispose expressément l’article 895 du Code civil. Or, au-delà même du principe de libre révocabilité des dispositions testamentaires, le législateur a clairement précisé les diverses causes selon lesquelles un testament peut se trouver révoqué.

La jurisprudence de la Cour de cassation n’omet pas de rappeler que ces causes légales de révocation s’entendent de manière limitative, les juges du droit affirmant que la révocation tacite d’un testament ne peut précisément résulter que « de la rédaction d’un nouveau testament incompatible, de l’aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de l’altération volontaire du testament » (Cour de cassation, 1re chambre civile, 4 juillet 2007, no 05-16.023; Cour cassation, 1re chambre civile du 8 juillet 2015, no 14-18.875).

En conséquence, il ne saurait être admis qu’une donation entre vifs puisse emporter révocation tacite d’un testament antérieurement rédigé (Cour de cassation, 1re chambre civile du 8 juillet 2015, no 14-18.875, précité).

Lorsqu’une personne décède, ses héritiers peuvent demander à ce que son testament soit révoqué ou annulé dans des conditions précises fixées par la loi et la jurisprudence (Cour de cassation, 1re chambre civile du 30 novembre 2004 ; n° 02-20.883). En d’autres termes, les héritiers peuvent remettre en cause le testament afin de faire valoir leurs droits.

Il existe deux manières de révoquer un testament, la révocation peut être expresse ou tacite. La révocation expresse est prévue par l’article 1035 du Code civil qui prévoit que le testament ne peut être révoqué que lorsqu’il existe un testament postérieur ou un acte notarié portant déclaration de changement de volonté.

Le formalisme imposé par l’article 1035 du Code civil ne cède que devant des circonstances exceptionnelles. Ainsi, on admet généralement que la preuve par témoins ou par présomptions de la révocation est admise en cas de fraude. Il appartient aux héritiers ou aux bénéficiaires de rapporter la preuve de l’intention du de cujus de modifier les dispositions de son testament et des manœuvres frauduleuses ou des actes de violence qui l’ont dissuadé d’opérer un changement (Cass. req., 15 mai 1860).

En revanche il ressort de l’article 1036 du même code que pour qu’il y ait révocation tacite, il faut qu’il existe un acte juridique ou un fait totalement incompatible avec le maintien du testament.

Un autre cas de révocation tacite est énoncé à l’article 1038 du Code civil. L’article 1038 du code civil dispose : « Toute aliénation, celle même par vente avec faculté de rachat ou par échange, que fera le testateur de tout ou partie de la chose léguée, emportera la révocation du legs pour tout ce qui a été aliéné, encore que l’aliénation postérieure soit nulle, et que l’objet soit rentré dans la main du testateur ».

Ce texte introduit une hypothèse de révocation qui n’intéresse que les legs à titre particulier ayant pour objet des corps certains (Requête du 15 mai 1860, DP 1860. 1. 277. – Cour de cassation 1re chambre civile du 18 novembre 1986).

Dans son application, la jurisprudence privilégie l’intention du testateur sur la lettre de la loi. Elle estime que l’article 1038 édicte une simple présomption de volonté révocatoire, que le légataire peut renverser en rapportant la preuve contraire (Cour de cassation, chambre civile 1re, 6 février 1968, Bull. civ. I, no 52 ; D. 1968. Somm. 69. – Cour de cassation, chambre civile 3e du 4 juillet 1979, Bull. civ. III, no 150. – Cour de cassation, chambre civile 1re du 11 mars 2003, no 00-16.663, Bull. civ. I, no 73).

En outre, elle n’accorde à la présomption qu’un domaine limité. Pour qu’elle accepte de la retenir, il faut tout à la fois une aliénation consommée (un projet ne suffit pas : Requête du 31 mai 1907 – en cas de promesse de vente, Cour de cassation, chambre civile 1re du 24 avril 1985) et volontaire (ce qui exclut la vente forcée, notamment la saisie ou l’expropriation).

Un autre cas de révocation tacite est énoncé à l’article 1038 du code civil, qui prévoit le cas de l’aliénation de la chose léguée, c’est-à-dire l’acte par lequel le testateur vend, lègue ou transforme le bien supposé légué.

Enfin, un troisième cas de révocation tacite n’est pas prévu expressément dans le code civil mais résulte de la nature des choses : celui de l’altération volontaire ou de la destruction matérielle du testament. Ce mode de révocation tacite très courant a été admis par la jurisprudence et la doctrine.

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En effet, la jurisprudence est abondante et vient cerner les contours de cette révocation plus subtile qu’elle n’y paraît. Il faut qu’elle résulte d’une réelle volonté du testateur d’anéantir les dispositions testamentaires antérieures. (Cour de cassation 1e chambre civile du 12 janvier 1965).

Si ce troisième cas de révocation tacite est purement jurisprudentiel et fait l’objet d’une interprétation au cas par cas par le juge, cela ne veut pas dire pour autant que les cas de révocation tacite sont illimités. Ils sont en effet strictement limités à ceux résultant des dispositions du code civil et de la jurisprudence.

La Cour de cassation dans un arrêt du 8 juillet 2015 insiste sur le cadre jurisprudentiel et légal limitatif des cas de révocation tacite, et ce,  quelle que soit la volonté du de cujus.

Cet arrêt apporte des précisions essentielles en matière de révocation tacite des testaments. Pour en saisir correctement la portée (II), il convient d’analyser plus précisément les faits de cet arrêt (I).

I –  Le détail des faits de l’arrêt de la Cour de Cassation du 8 juillet 2015 : une conjonction de deux opérations : dons et legs.

Dans l’affaire jugée par la Cour de Cassation le 8 juillet 2015, le testateur avait fait une donation à sa fille par acte authentique en 2007 de la nue-propriété de 120 parts d’une SCI avec réserve d’usufruit à son profit sa vie durant, puis après son décès au profit d’un légataire. Le testateur est décédé moins d’une semaine après, laissant sa fille pour lui succéder.

La donation en usufruit des parts d’une SCI des parents à leurs enfants est assez courante. Elle a pour principal avantage de limiter les répercussions fiscales de la succession. Dans ce cas, les droits de donation sont calculés uniquement sur la valeur de la nue-propriété des parts (moins élevée que celle de la pleine propriété).

Cependant, en 2003 le de cujus avait consenti par testament olographe une rente viagère mensuelle sur les parts de la SCI d’un montant de 4 580 euros au profit d’un légataire. Faisant état de ce testament, le légataire a assigné la fille du testateur en délivrance de son legs.

Pour bien cerner les contours de cette décision, il faut comprendre que dans cette affaire il y a une conjonction de deux opérations. D’une part, une donation du testateur au profit de sa fille et d’autre part un legs au profit d’un légataire intervenu environ 4 ans avant la donation. Or, ces deux opérations semblent incompatibles avec la volonté du de cujus. Il faut également relever que le décès du de cujus intervient seulement six jours après la donation.

La question qui se pose alors est de savoir si le légataire pouvait utilement se prévaloir de ce legs alors même qu’une donation était intervenue plus tard au profit de la seule héritière du de cujus.

La cour d’appel d’Orléans dans un arrêt du 7 avril 2014 a dans un premier temps recherché la volonté du défunt de révoquer tacitement le testament.

Ainsi pour rejeter la demande du légataire, la cour d’appel retient qu’il résulte de la correspondance échangée entre le testateur et son notaire que la donation établie au profit du légataire constitue la mise en application effective des conseils donnés par l’officier ministériel. En l’espèce, la cour d’appel considère que la volonté du de cujus, qui a suivi les conseils du notaire à la lettre, a été de constituer au profit du légataire une rente d’environ 60 000 euros par an.

Elle analyse que le disposant souhaitait ainsi constituer, au profit du légataire, une seule rente et non cumuler la rente issue du testament et de la réserve en usufruit résultant de l’acte de donation.

En effet, un tel acte était motivé par des avantages fiscaux. Le cumul du mécanisme mis en place par le testament avec celui mis en place par la donation étant incompatible avec la volonté du de cujus. Elle relève également que l’absence de révocation expresse du testament résulte, soit d’une omission dans l’acte de donation, soit, plus vraisemblablement, de la volonté de procéder à cette révocation par acte séparé, le décès du de cujus, survenu quelques jours à peine après l’établissement de l’acte de donation, ayant à l’évidence matériellement empêché qu’il soit procédé à l’établissement de ce second acte.

Ainsi, la cour d’appel a cherché à vérifier l’existence d’une révocation tacite du testament par l’acte de donation en invoquant le principe d’incompatibilité.

II – Une interprétation stricte des cas de révocations par la Cour de cassation

À l’opposé des donations, les testaments sont révocables par la seule volonté du testateur, et cette révocabilité est d’ordre public.

La révocation doit, en principe, être expresse : « les testaments ne pourront être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur ou par un acte devant notaire portant déclaration du changement de volonté » (Code civil article 1035). La forme employée pour révoquer un testament indiffère. Un testament olographe peut révoquer un testament authentique, mais si le testateur choisit de révoquer la disposition par acte notarié, ledit acte devra être reçu en présence de deux notaires ou, à défaut, par un notaire et deux témoins.

La loi admet, cependant, la révocation tacite par la rédaction d’un nouveau testament dont les dispositions sont contraires ou incompatibles avec celles du premier, ou par l’aliénation de la chose léguée (Code civil, article 1036 et article 1038). Mais en aucun cas une donation entre vifs ne peut emporter révocation tacite d’un testament antérieur (Cour de cassation 1re chambre civile 8 juillet 2015, nº 14-18.875).

Enfin, la jurisprudence a ajouté un autre cas de révocation tacite : la destruction du testament, dès lors que l’intention du testateur était telle. Ainsi, dans l’hypothèse d’une simple lacération du testament, les tribunaux ont une position moins nette et recherchent la volonté réelle du testateur. En aucun cas cette lacération ne pourrait constituer une présomption de révocation (Cour de cassation 1re chambre civile du 28 avril 1969, nº 67-13.520).

En l’absence de volonté clairement manifestée par le défunt, la révocation d’un testament, qui révoquait lui-même un précédent testament, ne remet pas en vigueur ce précédent testament (Cour de cassation chambre 1re civile du 17 mai 2017, nº 16-17.123).

En l’espèce, la révocation tacite du testament ne relevait pas des dispositions légales énoncées aux articles 1036 et 1038 du code civil. C’est donc au nom d’un principe d’incompatibilité ressortant des dispositions légales et réglementaires que la cour d’appel a axé son raisonnement pour finalement conclure que la donation pouvait révoquer le testament.

En effet, cette affaire n’entre pas dans le cadre de l’article 1038 du Code civil, puisqu’il n’y a pas eu d’aliénation de la chose léguée.

En outre, pour qu’il y ait révocation tacite au sens de l’article 1036 du Code civil, il aurait fallu qu’il y ait un autre testament dont les dispositions auraient été incompatibles avec le testament olographe rédigé en 2003.

En effet, l’article 1036 du Code civil ne vise expressément que la révocation par testament postérieur. La forme est importante dans ces cas là. Ainsi, que ce soit en matière de révocation tacite ou de révocation expresse, il faut impérativement que la lettre ou l’acte respectent la forme testamentaire. (CA Poitiers, 2e ch., 9 févr. 1983).

Par ailleurs, il ressort des dispositions mêmes de l’article 1036 du Code civil que la condition essentielle de la révocation est l’incompatibilité entre les testaments successifs. Ainsi, la rédaction d’un testament n’emporte pas de plein droit la révocation d’un testament antérieur.

Enfin, comme il a été vu en introduction, il y a un troisième cas de révocation tacite : la destruction matérielle du testament. Ce troisième cas mérite d’être développé pour mieux comprendre le raisonnement des juges du fond et pour cerner les limites jurisprudentielles déjà établies en matière de révocation testamentaire. Cela relève d’une jurisprudence ancienne (Cass. 1re civ., 5 mai 1965).

Très fréquent, ce mode de révocation d’un testament a donné lieu à une importante jurisprudence qui a très tôt limité les cas de reconnaissance de révocation tacite des testaments. Les juges sont venus encadrer la condition de destruction. Ainsi, il y a destruction lorsque l’acte a été incinéré ou lacéré. En revanche, le fait de rouler en boule ou de froisser un testament n’équivaut pas normalement à une destruction. Ainsi, l’analyse d’une telle révocation est forcément casuistique.

Par ailleurs, cette destruction doit résulter d’une volonté du testateur. S’il y a un doute sur sa volonté, la destruction matérielle, même si elle est le fait de ce dernier n’emporte pas systématiquement révocation, notamment si la reconstitution est possible.

L’arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 2015 apporte une précision supplémentaire sur les cas de révocation testamentaire.

Malgré un réel effort des juges du fond à démontrer qu’il y avait une incompatibilité entre les deux actes et que la donation résultait de la volonté du testateur, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Orléans en limitant strictement les cas de révocations.

La Haute juridiction, au visa des articles 1035, 1036 et 1038 du Code civil conclut qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a, par refus d’application, violé ces textes. La seule exception admise par la jurisprudence étant celle de la destruction.

Même si  la cour d’appel a consciencieusement démontré que l’acte de donation relevait certainement de la volonté du testateur, il n’en reste pas moins que l’acte de donation n’est pas un testament et qu’ainsi ce cas n’entrait pas dans les dispositions légales de la révocation testamentaire.

En outre, il ressort de cette affaire que les dispositions contenues dans les deux actes n’étaient pas en elles-mêmes incompatibles. La réelle incompatibilité relevait du montage des deux opérations à savoir le testament et la donation. Ce montage était en effet incompatible avec la volonté du testateur de ne gratifier le légataire qu’à hauteur d’un certain montant tout en bénéficiant des avantages fiscaux de la donation.

Cette solution particulièrement sévère pour la fille et certainement contraire à la volonté du père défunt démontre une nouvelle fois, à quel point la jurisprudence est limitative en matière de révocation testamentaire.

Afin de se prémunir de la survenance d’une telle situation, la meilleure façon de procéder est de prévoir une révocation claire du testament ou d’une de ces parties dans un nouveau testament. Un professionnel du droit peut vous conseiller et rédiger adéquatement une révocation testamentaire ou un nouveau testament.

SOURCES :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000006979835
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=EDF444999978A9C834F2BFAD9E76EBC4.tpdila14v_3?idSectionTA=LEGISCTA000006150552&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=20160206
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030871175&fastReqId=958859838&fastPos=1
Fasc. unique : DONATIONS ET TESTAMENTS. (lexisnexis)
TORRICELLI-CHIRFI S., “la volonté du de cujus face au cadre limitatif du testament”, la gazette du Palais, n° 284 à 286, dimanche 11 au mardi 13 octobre 2015, p.15
Raymond Le Guidec, Fascicule 110 « DONATIONS ET TESTAMENTS », 9 Mars 2017 (Lexis 360 Intelligence)

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