Assurance vie et folie : peut-on faire annuler la donation ?
L’assurance-vie est une assurance fondée sur la durée de la vie humaine et qui garantit au profit de l’assuré ou du bénéficiaire désigné par lui, un capital ou une rente.
Ce capital ou cette rente peut être versé à l’occasion de plusieurs événements : en cas de décès de l’assuré (assurance décès) d’abord, et il existe alors différentes formules dites « temporaire », « vie entière », « rente éducation ».
Ensuite, en cas de vie de l’assuré au terme du contrat (assurance en cas de vie). On trouve alors différentes formules : « capital différé », « rente viagère », « rente temporaire ». Enfin, on retrouve également des assurances hybrides (assurance mixte ou combinée). Ces garanties de base peuvent être complétées par des « garanties complémentaires ».
Peut-on faire annuler la donation pour cause de folie du donateur ? Pour répondre à cette question, une définition préalable de la folie semble nécessaire. La folie sera ici appréhendée sous le prisme juridique de l’insanité d’esprit.
La folie est un trouble du comportement et/ou de l’esprit, considéré comme l’effet d’une maladie altérant les facultés mentales du sujet. La folie induit un manque de jugement, de discernement.
La donation entre vifs est définie à l’article 894 du Code civil comme « un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte ».
Une libéralité suppose corrélativement l’appauvrissement du donateur et l’intention de gratifier son héritier (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 2 avril 2014, 13-14.767, Inédit). Une libéralité suppose donc bien l’appauvrissement du donateur dans l’intention de gratifier son héritier (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 22 juin 2016, 15-18.086, Inédit).
Le double caractère d’actualité et d’irrévocabilité existe dans une donation entre vifs du seul fait qu’un droit est réellement transmis par le donateur au donataire sur les objets donnés, bien que l’exécution de la donation ne soit pas immédiate (Cour de cassation, chambre des requêtes du 19 février 1878 : DP 1878, 1, 377).
La nécessité d’un dépouillement actuel et irrévocable de la chose donnée n’a pas pour corollaire obligatoire le paiement de la somme donnée, lequel ne constitue qu’une modalité, librement arrêtée entre les parties, du transfert de sa jouissance (Cour de cassation, 1re chambre civile du 22 février 2005 : Dr. famille 2005, 115, note Beignier ; Bull. civ. I, n° 91, p. 80 ; D. 2005, somm. 2123, obs. Nicod).
Par ailleurs, pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence. C’est ce que prévoit l’article 901 du Code civil.
La première chambre civile, dans un arrêt du 4 novembre 2020 (Cass. 1re civ., 4 novembre 2020, n°19-13202) rappelle que la définition du dol est identique s’agissant d’un contrat à titre onéreux ou à titre gratuit. Il consiste en des « manœuvres pratiquées par l’une des parties sans lesquelles l’autre n’aurait pas contracté ».
Pour la Cour de cassation, l’insanité d’esprit de l’article 901 du Code civil comprend toutes les variétés d’affectations mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée (Cour de cassation du 4 février 1941).
La question se pose donc de savoir si l’on peut valablement remettre en cause une donation au motif que celle-ci a été faite sous l’emprise d’une folie voire d’une altération d’esprit ?
Cette question appelle à s’interroger sur le consentement du donateur au moment de la donation (I) et apprécier la notion d’insanité (II).
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I – Le consentement du donateur doit exister au moment de la donation et doit être exempt de vices
L’article 901 du Code civil dispose « pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence ». Bien que cette règle figure en tête des dispositions relatives à la capacité de disposer ou de recevoir par donation, il s’agit d’une condition relative au consentement du disposant. Le donateur doit ainsi jouir de toutes ses facultés intellectuelles pour pouvoir émettre un consentement valable.
À défaut, et dès lors que l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte de donation est établie, celui-ci encourt la nullité pour absence de consentement. Il s’agit d’une nullité de droit. C’est-à-dire que le juge n’a pas la faculté d’ordonner ou non la nullité, l’absence de consentement conduira à la nullité.
La première chambre civile dans un arrêt en date du 20 avril 2022 (Cass. 1re civ., 20 avril 2022 n°20-22988) précise que le point de départ du délai de prescription quinquennale de l’action en responsabilité contre le notaire commence à courir à la date à laquelle la décision prononçant la nullité de la donation pour insanité d’esprit est devenue irrévocable.
La règle énoncée par l’article 901 du Code civil est considérée comme une application du principe général prévu à l’article 414-1 du Code civil, qui prévoit : « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».
A – INSANITÉ D’ESPRIT ET INCAPACITÉ
En l’absence de définition légale de la notion d’insanité d’esprit, la doctrine et la jurisprudence se sont accordées pour définir le trouble mental comme une altération des facultés intellectuelles ne permettant plus d’agir avec discernement.
L’insanité d’esprit est ainsi distincte des causes légales d’ouverture du régime de protection des majeurs et ne se confond pas avec l’altération des facultés mentales, qui empêchent toute expression de volonté (CA Grenoble, 4 juin 1987, no 2561/85, Afonso c/ Perroud).
Ainsi, pourra être déclaré non-sain d’esprit, une personne ne bénéficiant pas d’une protection spécifique. Lorsque le donateur ne faisait pas l’objet d’une mesure de protection légale à l’époque de la libéralité, il devra être démontré que celui-ci n’était pas sain d’esprit au moment de l’acte, pour obtenir la nullité de la donation.
L’action en nullité pour trouble mental demeure possible après la mise en place d’une mesure de protection ou en cas d’exécution d’un mandat de protection future (Articles 435, 466 et 488 du Code civil).
Lorsque le majeur est placé sous sauvegarde de justice ou qu’il a conclu un mandat de protection future, ses actes sont rescindables pour simple lésion ou réductibles en cas d’excès.
L’appréciation de la lésion ou de l’excès relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Ceux-ci doivent néanmoins prendre en considération « l’utilité ou l’inutilité de l’opération, l’importance ou la consistance du patrimoine de la personne protégée et la bonne ou mauvaise foi de ceux avec qui elle a contracté » (Article 435 du Code civil et article 488 al. 1er). Les donations excessives pourront donc être réduites.
Au contraire, l’action en nullité pour insanité d’esprit, qui repose sur les articles 414-1 et 901 du Code civil est plus favorable au demandeur. En effet, dès lors que la preuve de l’existence trouble mental au moment de l’acte litigieux est rapportée, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation et doit prononcer la nullité dudit acte.
Lorsque le majeur est placé sous tutelle ou curatelle, la loi opère une distinction entre les actes accomplis avant et après la publicité du jugement d’ouverture de la mesure. Ces actes n’auront pas la même force et la même valeur.
Il en résulte que « les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connu du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés » (Article 464, al. 1er du Code civil).
Ainsi, l’existence et la notoriété, à l’époque de l’acte litigieux, de la cause qui a déterminé l’ouverture de la tutelle ou de la curatelle suffisent à obtenir la réduction des obligations, voire la nullité de cet acte « s’il est justifié d’un préjudice subi par la personne protégée » (Article 464, al. 2 du Code civil).
Si la loi ne pose pas clairement les contours de l’exigence nouvelle d’un préjudice, on peut penser que celui-ci sera aisément démontré en présence d’une donation emportant l’appauvrissement du disposant protégé.
Cela étant, la nullité ne présente pour le juge qu’un caractère facultatif (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 14 juin 2005, 02-19.038, Publié au bulletin). L’action en nullité doit être introduite, par dérogation à l’article 2235 du Code civil, dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la curatelle ou de la tutelle. C’est ce que prévoit le troisième alinéa de l’article 464 du Code civil.
La première chambre civile dans un arrêt du 13 décembre 2023 (Cass. 1re civ., 14 décembre 2023 n°18-25557) se prononce sur la validité d’actes juridiques antérieurs à la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (loi n°2007-308). Elle précise que l’action en nullité de ces actes à titre onéreux pour insanité intentée par un héritier, est soumise à la prescription quinquennale.
B – L’ABSENCE DE NÉCESSITÉ DE LA PREUVE DU TROUBLE MENTAL AU MOMENT DE L’ACTE
À compter de la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection, l’intensité de la sanction va dépendre de la nature de l’acte en cause.
L’acte accompli par la personne protégée seule, alors qu’elle aurait dû être assistée encourt la nullité s’il est démontré qu’elle a subi un préjudice. C’est ce que prévoit l’article 465 du Code civil.
Telle sera la sanction encourue pour une donation consentie par le curatélaire seul sans l’assistance du curateur (Article 470 du Code civil a) ou par le tutélaire seul sans l’assistance du tuteur exigée par le jugement autorisant la donation (Article 476 du Code civil), sous réserve de la justification d’un préjudice
En l’absence de celui-ci, la personne protégée dispose d’une alternative pour obtenir la nullité en se plaçant sur le terrain de l’insanité d’esprit de l’article 414-1 du Code civil. Elle devra alors rapporter la preuve de l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte litigieux.
En revanche, si la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être représentée, l’acte est nul de plein droit sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un préjudice (Article 465 du Code civil). De ce fait, encourra de plein droit la nullité la donation faite par un majeur sous tutelle seul alors que la décision d’autorisation du juge des tutelles lui imposait la représentation par son tuteur.
L’annulation de l’acte, en cas de curatelle ou de tutelle n’est pas fréquente en pratique. Elle recourt généralement des actes graves ou dont le montant en cause est important. En effet, en cas de curatelle, la donation requiert l’assistance du curateur (Article 470, al. 2 du Code civil) et la présence de ce dernier est de nature à éviter tout contentieux sur le fondement d’un trouble mental.
Sous le régime de la tutelle, le majeur protégé peut, avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille, être assisté ou représenté par le tuteur, pour consentir des donations (Article 476, al. 1er du Code civil). Là encore, l’intervention du tuteur constitue un rempart efficace contre tout trouble mental.
Ce n’est guère que dans l’hypothèse d’une curatelle allégée ou d’une tutelle allégée que la nullité pour insanité d’esprit trouve un intérêt. En effet, dans le cadre de ces dispositifs, le juge des tutelles peut, à tout moment, autoriser la personne protégée à consentir seule une donation (Articles 471 et 473, al. 2 du Code civil).
II – Notion d’insanité d’esprit
Il n’existe pas de définition légale de l’insanité d’esprit. Il s’agit en effet d’une question de fait, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
En pratique, la notion d’insanité d’esprit est assez largement entendue par la jurisprudence. Elle comprend toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée (Cour de cassation, chambre civile du 4 février 1941).
Tel sera notamment le cas d’un état de démence (Cour de cassation, chambre des requêtes du 5 août 1856), d’une névrose hystérique avec troubles phobiques et obsessionnels (Cour d’appel de Nîmes, 31 mai 2005, no 2005/283719) ou d’une personnalité paranoïaque avec délire de persécution (Cour d’appel de Nîmes, 31 mai 2005).
La jurisprudence a également retenu comme cause d’insanité d’esprit la passion violente (Cour de cassation, Chambre des requêtes du 12 avril 1865), l’ivresse ou l’influence de drogues (Cour d’appel de Paris, 8e chambre section B, 9 novembre 1990, no 89/005586, Vau c/ De Olivira).
Les cas relevant de l’insanité d’esprit sont donc nombreux. Mais l’appréciation souveraine des juges du fond rendra l’issue du procès aléatoire puisque les interprétations peuvent diverger.
En revanche, la vieillesse, la dépression et la maladie ne peuvent être considérées comme constituant un trouble mental (Cour d’Appel de Paris, 12 septembre 2000, JCP G 2001, IV, no 1404) sauf s’il est établi que le disposant n’avait pas une compréhension claire de la situation au moment de l’acte en raison de l’état confusionnel provoqué par la maladie (Cour d’Appel Bourges, 4 janvier 1988, Delbarre c/ Lemousin).
À l’inverse, la nullité pour insanité d’esprit a été retenue pour une donation et un testament olographe qui avaient été signés par un majeur souffrant d’une altération de ses capacités physiques et mentales de type d’Alzheimer (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 6 janvier 2010, 08-14.002, Inédit)
A – PREUVE DE L’INSANITÉ D’ESPRIT
Afin de mettre en œuvre la procédure de contestation d’un acte fondé sur l’insanité d’esprit, il est nécessaire d’établir la preuve même de l’insanité. La charge de la preuve de l’insanité d’esprit incombe au demandeur en annulation (Code civil article 414-1, al. 1). Il appartient à ce dernier d’établir le défaut de lucidité du consentement au moment où la donation a été consentie.
Toutefois, compte tenu de la difficulté à rapporter cette preuve, s’il est établi que l’état d’insanité d’esprit était habituel à l’époque de la donation, la charge de la preuve est renversée : c’est à celui qui se prévaut de la validité de la donation de démontrer que l’acte a été passé dans un intervalle de lucidité (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 3 mai 2000, 97-21.544, Inédit).
S’agissant d’un fait matériel, la preuve s’effectue par tous moyens, aussi bien extrinsèques (témoignages, expertises, présomptions graves, précises et concordantes, etc.) qu’intrinsèques (cohérence des dispositions au fond). À cet égard, les juges du fond apprécient souverainement la pertinence des éléments de preuve qui leur sont soumis.
La cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 7 avril 2022 (CA Versailles, 7 avr. 2022, n° 20/05923) précise qu’en dehors des libéralités, la démonstration d’une altération mentale ne peut être rapportée par des éléments extrinsèques uniquement dans les hypothèses visées à l’article 414-2, 2° et 3° du Code civil (si l’acte a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice et si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future).
Le 1° de l’article suppose au contraire la preuve exclusivement intrinsèque (si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental).
La preuve de l’insanité d’esprit peut être rapportée même lorsque l’acte notarié de donation déclare que le disposant est sain d’esprit. En effet, la solution est acquise de longue date.
Ainsi, il n’est pas nécessaire de recourir à l’inscription en faux, car il n’est attaché à cette énonciation que la force probante d’un témoignage ordinaire : le notaire n’exprimant alors qu’une opinion personnelle sur un état mental dont la loi ne lui a pas confié l’office d’en vérifier le caractère sain (Cour de cassation, chambre des requêtes du 5 juillet 1888).
La jurisprudence admet la production de certificats médicaux établissant la maladie mentale du disposant, car la disposition de l’article 901 du Code civil vaut autorisation de révélation du secret médical au sens de l’article 226-14 du Code pénal. L’article 901 du Code civil dispose en effet : « Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence » (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 22 mai 2002, 00-16.305, Publié au bulletin).
B – SANCTION LIÉE À L’INSANITÉ D’ESPRIT
L’insanité d’esprit du donateur est sanctionnée par la nullité relative de protection (Cour de cassation, 1re chambre civile du 3 mars 1969). Du vivant du donateur, l’action en nullité pour insanité d’esprit peut être exercée par le donateur lui-même s’il a recouvré toutes ses facultés mentales, voire par ses créanciers, qui peuvent agir par la voie de l’acte oblique (Article 1341-1 du Code civil).
La solution est différente si le donateur est par la suite placé sous un régime de protection. En effet, ce sont les dispositions propres au régime de protection qui régiront l’action en nullité.
Sous le régime de la tutelle, le tuteur, représentant légal du majeur protégé, introduira l’action en nullité pour insanité d’esprit au nom de ce dernier (Code civil article 504, al. 2). L’ouverture d’une mesure de curatelle se traduit par l’assistance du curateur pour l’introduction de l’action en justice (Code civil article 468, al. 3).
En cas d’inaction du majeur protégé, qui compromet gravement ses intérêts, le curateur pourra agir à sa place avec l’autorisation du juge (Code civil article 469, al. 2). Lorsque le majeur protégé est placé sous sauvegarde de justice, il conserve le droit d’agir en nullité de l’acte de donation pour trouble mental (Code civil article 435).
En cas de mise en œuvre d’un mandat de protection future, il faut admettre par analogie avec les règles gouvernant la sauvegarde de justice, que le mandant pourra agir lui-même en nullité. L’action en nullité pourra également être exercée par le mandataire, investi d’une mission générale de représentation à l’effet de préserver les intérêts patrimoniaux du mandant.
Après le décès de l’auteur de l’acte, l’action en nullité pour insanité d’esprit est plus largement ouverte aux héritiers (successeurs universels légaux et testamentaires) dans le domaine des libéralités.
En effet, l’alinéa 2 de l’article 414-2 du Code civil précise que les restrictions à cette action intentée après la mort de l’intéressé s’imposent pour les actes faits par lui « autres que la donation entre vifs et le testament ». Cette large marge de manœuvre des héritiers s’explique par la méfiance traditionnelle du législateur envers les libéralités qui souvent sont abusives.
Concrètement, les héritiers peuvent demander la nullité des libéralités que l’auteur a consenties de son vivant, alors même que l’acte ne porte pas en lui-même la preuve d’un trouble mental et qu’aucun régime de protection n’avait été sollicité avant le décès. Il faudra alors rapporter la preuve du trouble mental au moment de l’acte de donation.
L’action en nullité s’éteint par le délai de cinq ans (Code civil article 414-2, al. 6). La prescription de l’action en nullité commencera à courir du jour de l’acte de donation. Il pourra cependant être suspendu si le donateur prouve que son trouble mental a constitué, pour lui, une impossibilité d’agir (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 19 novembre 1991, 90-10.997, Publié au bulletin).
La première chambre civile dans un arrêt du 14 avril 2021 (Cass. 1re civ., 14 avr. 2021, no 20-11959) précise que lorsque l’auteur de l’acte prouve que la prescription a été suspendue en raison d’une impossibilité d’agir, la suspension prend fin après l’ouverture d’une curatelle.
Au décès du donateur, ses héritiers disposeront de la qualité pour agir en nullité par l’effet de la succession. Ils bénéficient alors du même délai de cinq ans, dont le point de départ est fixé au jour du décès du donateur : « L’action en nullité d’un acte à titre gratuit pour insanité d’esprit ne pouvant être introduite par les héritiers qu’à compter du décès du disposant, la prescription n’avait pu commencer à courir avant le décès du testateur » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 mars 2013, 11-28.318, Publié au bulletin).
Si le donateur fait l’objet d’une mesure de protection, le point de départ du délai de prescription sera reporté au jour où il a recouvré ses facultés et a connaissance de l’acte de donation réalisé sous l’emprise d’un trouble mental, soit au jour de la cessation de la mesure.
C’est ce que prévoit l’article 1152 du Code civil : « Le temps ne court, à l’égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu’il était en situation de les refaire valablement ». Après le décès du donateur placé sous un régime de protection, ses héritiers peuvent exercer l’action en nullité dans le délai de cinq ans à compter du décès.
La première chambre civile dans un arrêt du 13 décembre 2023 (Cass. 1re civ., 13 déc. 2023, no 18-25557) rappelle que cette action transmise aux héritiers figurait dans le patrimoine successoral. Par conséquent, si l’auteur, de son vivant, bénéficiait d’une suspension du délai de prescription pendant la durée de sa tutelle, cette suspension profite également aux héritiers, et ce, indépendamment du rôle qu’ils ont pu avoir dans la tutelle.
Les héritiers forclos peuvent toujours exciper, par voie de défense, des dispositions de l’article 901 du Code civil pour opposer la nullité de la donation si l’exécution leur en était réclamée par le donataire « La règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté ne s’applique qu’à compter de l’expiration du délai de prescription de l’action » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 mai 2012, 10-25.558, Publié au bulletin).
Dans ce cas, il n’y a pas de délai de prescription, car l’exception de nullité revêt un caractère perpétuel, conformément à la maxime « qua temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum » (l’action est temporaire, l’exception est perpétuelle).
Attention, en raison du caractère relatif de la nullité, la donation irrégulière est susceptible de confirmation, soit par le donateur dès lors que ce dernier a recouvré la raison, soit après son décès par ses héritiers ayant eu connaissance de l’état dans lequel se trouvait l’auteur de la libéralité au moment où il l’a consentie. La confirmation peut être expresse lorsqu’elle résulte d’un écrit ou tacite lorsqu’elle se déduit du comportement.
SOURCES :
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COUR DE CASSATION, CIVILE, CHAMBRE CIVILE 1, 22 JUIN 2016, 15-18.086, INÉDIT : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000032777950&fastReqId=1733256562&fastPos=1ARTICLE 894 DU CODE CIVIL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006433496/1803-05-13ARTICLE 901 DU CODE CIVIL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006433635/ARTICLE 414-1 DU CODE CIVIL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006427977/COUR DE CASSATION, CHAMBRE CIVILE 1, DU 14 JUIN 2005, 02-19.038, PUBLIÉ AU BULLETIN : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007052167&fastReqId=1636826258&fastPos=1COUR DE CASSATION, CIVILE, CHAMBRE CIVILE 1, 6 JANVIER 2010, 08-14.002, INÉDIT : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000021651988&fastReqId=9564129&fastPos=1
COUR DE CASSATION, CHAMBRE CIVILE 1, DU 3 MAI 2000, 97-21.544, INÉDIT : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007618425&fastReqId=1469308096&fastPos=1
COUR DE CASSATION, CHAMBRE CIVILE 1, DU 22 MAI 2002, 00-16.305, PUBLIÉ AU BULLETIN :https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007044622&fastReqId=1507851208&fastPos=1
COUR DE CASSATION, CHAMBRE CIVILE 1, DU 19 NOVEMBRE 1991, 90-10.997, PUBLIÉ AU BULLETIN : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007027491&fastReqId=1924156851&fastPos=1
COUR DE CASSATION, CIVILE, CHAMBRE CIVILE 1, 20 MARS 2013, 11-28.318, PUBLIÉ AU BULLETIN : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000027209240&fastReqId=1803256934&fastPos=1
COUR DE CASSATION, CIVILE, CHAMBRE CIVILE 1, 4 MAI 2012, 10-25.558, PUBLIÉ AU BULLETIN : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000025807929&fastReqId=1172149595&fastPos=1
https://www-labase-lextenso-fr.ezpum.scdi-montpellier.fr/defrenois/DEF208o0https://www-labase-lextenso-fr.ezpum.scdi-montpellier.fr/defrenois/DEF161g9?em=18-26683%2Chttps://www-labase-lextenso-fr.ezpum.scdi-montpellier.fr/petites-affiches/LPA202v1?em=notori%C3%A9t%C3%A9%20insanit%C3%A9%20d%27esprithttps://www-labase-lextenso-fr.ezpum.scdi-montpellier.fr/defrenois/DEF201n9https://www-labase-lextenso-fr.ezpum.scdi-montpellier.fr/gazette-du-palais/GPL460w3?em=insanit%C3%A9%20d%27esprit%20prescription%20
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