Libéralité nulle pour dol ?

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La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par le dol, lequel consiste en des manœuvres pratiquées par l’une des parties sans lesquelles l’autre partie n’aurait pas contracté (1).

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Appliqué au testament et aux legs qu’il contient, le consentement correspond à la volonté exprimée par le testateur, au sens de la volonté juridique d’établir une libéralité. Il ne se confond pas avec l’intention libérale, elle-même se rapportant au but poursuivi par le disposant, analysé de manière subjective. Ce consentement doit être valable au sens de l’article 901 du Code civil : « Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit ». Il peut toujours être démontré l’insanité d’esprit dont souffrait le testateur au moment où il a établi le testament.

Aux termes de l’article 470 du Code civil, « la personne en curatelle peut librement tester sous réserve des dispositions de l’article 901 ». Et, selon l’article 476, « La personne en tutelle ne peut faire seule son testament après l’ouverture de la tutelle qu’avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, à peine de nullité de l’acte le testament fait antérieurement à l’ouverture de la tutelle reste valable à moins qu’il ne soit établi que, depuis cette ouverture, la cause qui avait déterminé le testateur à disposer a disparu ».

La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a augmenté l’article 901 du Code civil en énonçant que « La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence ».

Quelques jours après le décès de son épouse, M. V. a remis à son fils adoptif, M. D.-V., par virement bancaire du 6 août 2010, une somme de 60 000 euros et à l’épouse de celui-ci, par chèque du 8 août, une somme de 10 000 euros.

A la suite de mises en demeure restées vaines, M. V., assisté de son curateur, M. C., devenu depuis son tuteur, a, par acte du 22 juillet 2015, assigné M. et Mme D.-V. en remboursement de ces sommes.

Pour rejeter les demandes de M. V. et M. C., ès-qualités, tendant à l’annulation des dons manuels et à la condamnation de M. et Mme D.-V. à rembourser, respectivement, les sommes de 60 000 euros et 10 000 euros, l’arrêt se borne à dire non établie l’insanité d’esprit alléguée par M. V. au soutien de sa demande en annulation des dons manuels.

L’arrêt est cassé par la haute juridiction en précisant qu’« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les sollicitations pressantes et récurrentes dont M. V., fragilisé par le décès de son épouse, alléguait avoir été l’objet étaient de nature à revêtir un caractère dolosif, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Le don manuel est une forme légale de donation, « de la main à la main », d’un bien mobilier (meubles, tableaux, bijoux, etc.) ou fiduciaire (argent liquide, valeurs mobilières, etc.). Il se distingue des autres libéralités qui nécessitent un acte notarié ou sous seing privé.

Le don manuel doit être distingué du présent d’usage. Le présent d’usage peut être défini comme un cadeau fait à l’occasion de certains événements, conformément à un usage (fêtes, anniversaires, etc.), et n’excédant pas une certaine valeur (2). D’après la jurisprudence, cette valeur ne doit pas être disproportionnée à la situation de fortune du donateur (CA Paris, 1re ch., sect. B, 11 avr. 2002, n° 2001–3791).

Les dons manuels sont à distinguer également du prêt familial. Des sommes sont versées sur le compte bancaire d’une personne par un membre de sa famille. Quelle est la qualification de ces sommes : don manuel, prêt familial ou autre origine (par exemple la rémunération d’un travail) ?

En principe, ces sommes bénéficient d’une présomption d’origine familiale (CE, 17 oct. 1990, n° 97253). Il peut s’agir d’un prêt (non imposable aux droits de mutation) ou d’un don manuel (imposable aux droits de mutation sous certaines conditions).

Mais, l’administration peut contester le caractère de prêt familial (CE, 6 nov. 1991, n° 67464). Elle peut notamment prouver, par des éléments de faits précis et concordants, que les revenus du présumé prêteur sont insuffisants pour allouer le prêt contesté (CE, 11 oct. 2017, n° 398684).

I. Pour faire une libéralité, il faut un disposant sain d’esprit

Pour qu’une libéralité soit effective, il faut que le disposant ait la volonté de s’appauvrir en faveur du bénéficiaire. Or, pour que cette volonté soit prise en compte, encore faut-il que son auteur soit sain d’esprit : « pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit » (Code civil, article 901 qui renvoi à l’article 414-1 du Code civil).

A. L’insanité d’esprit

L’insanité d’esprit est une cause autonome de nullité de l’engagement (Code civil, article 901 et 414-1), qui ne regroupe pas les vices du consentement (Code civil, article 1129). L’autorité de la chose jugée, à propos d’un vice du consentement, ne peut donc être opposée à l’encontre d’une action pour insanité d’esprit et réciproquement. L’insanité d’esprit ne regroupe pas non plus exactement l’altération des facultés mentales envisagée par la loi comme source de mise en place d’un régime de protection de certains majeurs. Elle a vocation à jouer notamment lorsqu’un tel régime n’a pas été mis en place.

L’insanité d’esprit de nature à compromettre la validité d’une libéralité comprend « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée ». Elle se révèle, dans des situations concrètes, dont la diversité exclut tout classement rationnel. Tout au plus, est-il possible de les répartir en trois groupes en tenant compte des causes qui en sont à l’origine :

Ainsi, au nombre des causes psychiques et mentales de l’insanité d’esprit, figurent la démence, les états psychiques pathologiques entraînant des troubles de l’intelligence (la faiblesse d’esprit, l’imbécillité, la perte de mémoire et les passions violentes (CA Paris, 17 avr. 2008, n° 07/07129).

Par ailleurs, à l’origine de l’insanité d’esprit ont pu être aussi retenues des causes physiques, telles que les déchéances dues à l’âge ou les maladies (3). En revanche, le suicide (CA Caen, 11 janv. 2000, n° 98/00216 : JurisData n° 2000-128563 ; Dr. famille 2001, comm. 24, B. Beignier) ou l’altération des facultés corporelles (CA Paris 12 sept. 2000 : JurisData n° 2000-125001) ou un état de fatigue d’une personne âgée (CA Montpellier, 1er févr. 2018, n° 14/5042 ) n’ont pas été considérés comme pouvant être intrinsèquement une cause d’insanité d’esprit emportant nullité d’un acte à titre gratuit.

L’état dépressif du disposant, en l’absence de diagnostic posé d’une quelconque démence ou perte des fonctions cognitives, ne saurait justifier l’annulation des libéralités effectuées par ce dernier dès lors que les articles 414-1 et 901 du Code civil imposent à celui qui agit en nullité de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte (Cour d’appel de bordeaux, 3e Chambre famille , 12 juillet 2022, n° 21/03921) (13).

Enfin, l’insanité d’esprit a été admise pour des causes externes, telles qu’un état d’ébriété altérant les facultés mentales ou une suggestion hypnotique provoquant une altération de la lucidité du disposant. En revanche, il a été considéré que la morphinomanie ne pouvait être, à elle seule, une cause de nullité d’une libéralité et qu’en cas d’usage de stupéfiants ou de médicaments, il fallait établir que la drogue absorbée avait annihilé le discernement du disposant.

B. Preuve de l’insanité d’esprit

La preuve de l’insanité d’esprit d’un disposant peut, en principe, être administrée par tous les moyens (attestations, expertises, témoignages, mesures d’instruction judiciaire, etc.), que la juridiction saisie apprécie souverainement (4). Son administration peut être une source de difficultés dans la mesure où elle porte sur des faits allant à l’encontre des énonciations d’un acte authentique comportant une libéralité, ou susceptibles d’être couverts par le secret professionnel, comme le contenu d’un certificat médical (l’article 901 vaut autorisation au sens du Code pénal et décharge du secret professionnel (5).

Il convient également de tenir compte de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil (6).

La charge de la preuve incombe, en tout état de cause, à celui qui conteste la validité d’une libéralité sur le fondement de l’article 901, sauf lorsque l’insanité d’esprit était habituelle au moment de l’acte, le bénéficiaire de la libéralité devra alors démontrer que le disposant était sain d’esprit dans un intervalle de lucidité au moment de l’acte (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 11 juin 1980, 78-15.129) (11).

Cette jurisprudence est constante et rappelée dans un arrêt de la Cour d’appel de Pau, du 19 septembre 2022 (12).

Cas particulier du disposant placé sous un régime de protection légale. Quid du pouvoir souverain dont dispose le juge pour apprécier les moyens et éléments de preuve fournis en vue d’établir le « fait matériel » que constitue l’insanité d’esprit, lorsque le disposant, dont la libéralité est contestée de ce chef, vient à être placé sous un régime de protection légale, après avoir consenti cette libéralité, mais avant qu’il ait été statué sur la contestation dont elle est l’objet ? La jurisprudence adopte les solutions suivantes :

Le placement sous sauvegarde de justice est considéré comme n’ayant pas d’incidence, étant donné que cette mesure de protection n’entraîne pas la perte de l’exercice de ses droits (Code civil, article 435). Il reste possible d’exercer, à l’encontre d’un acte, une action en nullité pour insanité d’esprit sur le fondement de l’article 414-1 du Code civil, lequel pose lui aussi pour principe que, pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit ;

Il en va de même en cas d’habilitation familiale, sauf pour les droits dont l’exercice a été confié à la personne habilitée (Code civil, article 494-8) ou aurait nécessité son assistance (Code civil, article 494-8L. n° 2019-222, 23 mars 2019, art. 29), lequel suppose, pour les actes de disposition à titre gratuit, l’autorisation du juge des tutelles (Code civil, article 494-6) ;

Quand le disposant est placé sous le régime de la curatelle, il est admis que cette mesure est sans incidence sur les libéralités faites avant qu’elle n’intervienne, de sorte que l’action en nullité exercée à leur encontre pour insanité d’esprit demeure toujours soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond. Il en va de même si la libéralité est faite après la mise sous curatelle (7) ;

De même, la mise sous tutelle du disposant postérieurement à l’établissement de l’acte à titre gratuit ne restreint en rien la liberté d’appréciation des juges quant au point de savoir si le donateur était sain d’esprit ou non au moment où il avait agi, et ce, sans qu’ils aient à tenir compte de l’ouverture postérieure de la tutelle.

II. Une volonté dénuée de vices du consentement

Pour que la volonté du disposant soit prise en compte, il faut qu’elle soit pleinement libre et éclairée, autrement dit dénuée de vices du consentement. Cette exigence, puisée dans le droit commun du contrat (Code civil, article 1130 s.), s’applique aussi bien aux donations – contrats unilatéraux – qu’aux testaments, alors même que ces derniers ne constituent que des actes unilatéraux (Code civil, article 1100-1, al. 2).

A. Erreur

L’erreur sur la personne du bénéficiaire ou sur une simple qualité supposée de ce dernier peut affecter la validité d’un acte à titre gratuit dans la mesure où cette qualité se révèle être le motif déterminant de la libéralité. Il s’agit alors, au sens de l’article 1134 du Code civil, d’un acte conclu « en considération de la personne ».

Ainsi, alors qu’en principe l’erreur sur un simple motif – autre qu’une qualité essentielle de la personne ou de l’objet de la prestation due – n’est pas une cause de nullité (Code civil, article 1135, al. 1er), il en va différemment en matière de libéralité lorsque le motif a été déterminant : « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité » (Code civil, article 1135, al. 2). Tel a déjà été le cas, sous l’empire de la législation antérieure à la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972, pour un legs fait à un enfant que le testateur croyait être naturel alors qu’il était légitime.

Par ailleurs, l’erreur de droit ou de fait sur des qualités essentielles de la chose donnée ou léguée paraît constitutive d’un vice du consentement affectant la validité de cette libéralité (Code civil, article 1132).

B. Dol

Le dol peut procéder de manœuvres frauduleuses ou d’une simple réticence dolosive (Code civil, article 1137). En principe, il ne peut provenir que de l’un des cocontractants ou, par extension, du légataire bénéficiaire du testament. Il est toutefois admis que le dol peut provenir d’un tiers, non seulement lorsqu’il est de connivence avec le cocontractant, mais encore lorsqu’il représente celui-ci ou agit pour son compte par le biais d’une gestion d’affaires, d’un lien de préposition ou d’une promesse de porte-fort (Code civil, article 1138).

Pour que la nullité de l’acte soit retenue, il faut que la manœuvre dolosive ait eu un effet déterminant dans la réalisation de la libéralité (Code civil, article 1130). Il en va spécialement ainsi lorsque le disposant est une personne qui présente, en raison de son âge ou de son état dépressif, une fragilité psychologique dont les gratifiés ont su profiter pour l’amener à tester en leur faveur.

C. Violence

La violence, pour être cause de nullité d’une disposition à titre gratuit doit, quel qu’en soit l’auteur, paralyser la liberté d’agir du disposant (Code civil, article 1140). Elle peut se manifester par une contrainte matérielle ou morale (8). Depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le Code civil admet qu’« il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (Code civil, article 1143).

Ainsi, les hypothèses de captation d’héritage sont susceptibles de relever tant du vice de dol que de celui de violence. Toutefois, la preuve de la captation est ici souvent facilitée par des dispositions spéciales instaurant une présomption irréfragable de captation.

En outre, proche du vice de violence, l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne est sanctionné pénalement (Code pénal, art. 223-15-2) et ouvre droit à réparation (9).

Sources :

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042524905?init=true&page=1&query=19-13.202&searchField=ALL&tab_selection=all
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007021823?init=true&page=1&query=87-15.083&searchField=ALL&tab_selection=all
  3. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021651988?init=true&page=1&query=08-14.002+&searchField=ALL&tab_selection=all
  4. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036980391?init=true&page=1&query=17-18.465&searchField=ALL&tab_selection=all
  5. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007484932?init=true&page=1&query=03-12.044&searchField=ALL&tab_selection=all
  6. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000026540468?init=true&page=1&query=11-20.442&searchField=ALL&tab_selection=all
  7. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036742035?init=true&page=1&query=17-15.406&searchField=ALL&tab_selection=all
  8. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021855684?init=true&page=1&query=08-20.950+&searchField=ALL&tab_selection=all
  9. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037196800?init=true&page=1&query=16-24.498+&searchField=ALL&tab_selection=all
  10. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000029932312?init=true&page=1&query=13-86.620+&searchField=ALL&tab_selection=all
  11. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007005498
  12. https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CAPAU-19092022-19_01935?em=Cour%20d%27appel%20de%20pau%2C%202%C3%A8me%20CH%20-%20Section%202%2C%2019%20septembre%202022%2C%20%2019%2F01935
  13. https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CABORDEAUX-12072022-21_03921?em=Cour%20d%27appel%20de%20bordeaux%2C%203%C3%A8me%20CHAMBRE%20FAMILLE%2C%2012%20juillet%202022%2C%20%2021%2F03921

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