Héritiers et logement du défunt
Le logement est un point essentiel de la succession. Le conjoint survivant émet souvent le souhait de demeurer dans le logement qu’il occupait au jour du décès de son époux, afin de conserver son cadre de vie et continuer à bénéficier des meubles qui garnissaient ledit logement.
Le législateur a progressivement pris en compte cette attente en permettant, au fil des réformes, au conjoint survivant de se maintenir dans son lieu de vie, à travers la mise en place de différents droits.
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La place importante du logement pour le conjoint survivant a été prise en compte par le législateur, qui a mis en place, via la loi du 11 juillet 1975, un article 285-1 du Code civil aux termes duquel « si le local servant de logement à la famille appartient en propre ou personnellement à l’un des époux, le juge peut le concéder à bail à l’autre conjoint ».
Toutefois ce mécanisme était strictement encadré et ne remplissait pas de façon satisfaisante sa finalité de protection du conjoint survivant quant à son logement.
D’autres mécanismes ont ensuite tenté de suppléer l’absence de véritable droit au logement jusqu’à la loi du 3 décembre 2001, qui a eu pour principal objectif de permettre au conjoint survivant de rester, pendant au moins un temps, dans le logement qu’il occupait au jour du décès de son conjoint. Ainsi cette loi est venue offrir au conjoint survivant une protection.
Toutefois, il peut arriver qu’un héritier occupe le logement de son défunt ascendant empêchant ainsi la vente du bien. Dans ces conditions, quels seraient les mécanismes juridiques disponibles pour remédier à cette situation inconfortable pour les autres cohéritiers ?
Le principe de la jouissance du logement durant l’année suivant le décès du conjoint survivant (I). Comment remédier le problème de l’occupation d’un bien indivis par un autre héritier ? (II).
I. Le principe de la jouissance du logement durant l’année suivant le décès du conjoint survivant
A. Le régime du droit temporaire au logement
Il est régi par l’article 763 du Code civil, qui est issu de la loi du 3 décembre 2001 et est applicable à toutes les successions ouvertes après le 4 décembre 2001.
Ce droit s’applique pour tout conjoint survivant, peu importe si le logement était la propriété des deux époux ou seulement celle du défunt. Également, cela s’appliquera si les époux étaient locataires ou encore que le bien était en indivision entre le défunt et une tierce personne.
- Titulaire du droit : le conjoint successible. Le titulaire du droit temporaire au logement est le conjoint survivant non divorcé. Il importe peu qu’il soit séparé de fait ou de corps, ou encore qu’une procédure de divorce ait été engagée (Code civil, art. 732).Ce droit est un effet du mariage et est d’ordre public. Ainsi l’époux exhérédé, renonçant ou acceptant, peut en bénéficier. Il est donc impossible de priver le conjoint survivant de ce droit temporaire au logement, à la différence du droit viager. Le conjoint survivant n’a aucune démarche à engager pour profiter de ce droit, qui prend effet de plein droit au décès de l’époux.
Il s’agit d’un droit automatique. De plus, s’agissant d’un effet du mariage, la valeur de ce droit n’aura aucun effet sur la part d’héritage du conjoint survivant. - Objet du droit : la jouissance d’un bien dépendant de la succession. L’article 763 du Code civil qualifie de jouissance le droit temporaire au logement. Cette jouissance interviendra sur le bien immobilier qui était effectivement occupé par le conjoint survivant au moment du décès de son conjoint, à savoir son habitation principale, qui peut être différente de celle du défunt. Cela n’est pas surprenant puisque ce droit doit pouvoir bénéficier au conjoint survivant séparé de fait ou de droit.
Il ne peut donc nullement être question de domicile conjugal ni même familial. La détermination du caractère effectif de la résidence du conjoint survivant relève de l’appréciation des juges du fond. Ce droit porte également sur le mobilier garnissant le logement.
La Cour de cassation a notamment considéré que ne constituait pas le logement effectif du conjoint survivant le lot d’habitation qui était attenant au logement, mais indépendant de celui-ci, était occupé par une tierce personne et n’était pas l’accessoire des locaux affectés à l’habitation effective du conjoint survivant.
Le droit temporaire au logement doit évidemment porter sur un bien dépendant de la succession ; ainsi le bien objet de ce droit dépendra en totalité de la succession s’il s’agit d’un bien propre ou personnel au défunt, ou en partie s’il s’agit d’un bien commun ou indivis. Ce droit de jouissance, en tant qu’effet direct du mariage, est une créance détenue par le conjoint survivant à l’encontre de la succession du défunt, et devra donc figurer au passif successoral. Sa valeur sera différente selon la nature du logement :
Si logement appartient aux deux époux ou au défunt, la valeur locative, les éventuelles charges de copropriété et la taxe foncière figureront au passif de la succession ;
Si le logement est un bien en location, le montant du loyer, les charges locatives et la taxe d’habitation figureront au passif de la succession (CGI, art. 775, quater).
En raison de son caractère d’ordre public, ce droit temporaire au logement est opposable aux cohéritiers indivisaires ou à l’héritier attributaire du bien si le partage a eu lieu dans l’année du décès de leur auteur. Il est également opposable au légataire du logement sans qu’aucune indemnité ne lui soit due par la succession.
Si le logement est assuré au moyen d’un contrat de bail ou que logement appartient en indivision au défunt (c’est-à-dire qu’une tierce personne ou plusieurs sont copropriétaires du bien avec le défunt ou les époux), la loi du 23 juin 2006 a précisé que ce droit leur était opposable (uniquement pour les successions ouvertes après le 1er janvier 2007). Les charges en résultant pour la succession sont analogues à celles afférentes à un logement pris à bail.
- Durée du droit : Un an. La durée du droit temporaire au logement est de 1 an à compter du décès du conjoint. S’agissant d’un délai préfix, il n’est pas susceptible d’interruption ou de suspension. Il est néanmoins possible pour le conjoint survivant de renoncer à ce droit, après l’ouverture de la succession.
B. Droit viager au logement
Le droit viager au logement, qui est régi par l’article 764 du Code civil, est le prolongement du droit temporaire au logement, sans pour autant être son semblable puisqu’il ne s’agit pas d’un effet du mariage.
- Titulaire du droit : le conjoint survivant héritier acceptant. L’article 764 du Code civil fait état du conjoint successible comme bénéficiaire du droit viager au logement. Ce bénéficiaire est tout autre que celui du droit temporaire. Tandis que le conjoint survivant, en cette seule qualité, bénéficie automatiquement du droit temporaire au logement, le conjoint survivant doit être héritier acceptant de son défunt époux pour pouvoir prétendre au droit viager au logement et doit en faire la demande.
Ainsi, le bénéfice de ce droit requiert une démarche positive de la part du conjoint survivant, dans un délai d’un an à compter du décès de son époux. Il est évidemment préférable de solliciter ce droit par écrit, via une lettre recommandée avec accusé de réception, ou que la demande soit actée par notaire. Le fait de conserver le silence durant l’année suivant le décès est assimilé à une renonciation à bénéficier de ce droit. Le maintien dans les lieux ne sera alors pas suffisant pour démontrer la volonté du conjoint survivant de se prévaloir de ce droit.
La Cour de cassation est notamment venue rappeler cela dans un arrêt rendu le 2 mars 2022 en sa première chambre civile « si cette manifestation de volonté peut être tacite, elle ne peut résulter du seul maintien dans les lieux » (1)
Dans un arrêt rendu le 13 février 2019, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la manifestation de volonté pour le droit viager peut résulter d’un faisceau d’indices. En effet, elle avait estimé que la volonté pouvait être déduite du fait que :« le conjoint survivant qui s’est maintenu dans les lieux, a précisé, dans une assignation délivrée à son cohéritier moins d’un an après le décès, son souhait de conserver le logement et a déclaré, dans un projet d’acte de notoriété établi avant toute opposition de celui-ci, confirmer sa volonté de bénéficier de son droit viager ».(2)
Enfin, le conjoint survivant qui a renoncé à la succession ne pourra pas se prévaloir de son droit viager au logement.
- Objet du droit : un droit d’usage et d’habitation sur le bien immobilier et les meubles. Le droit viager au logement porte tant sur le bien immobilier que sur le mobilier le garnissant.
Ce droit portera sur le bien immobilier qui était effectivement occupé à titre d’habitation principale par le conjoint survivant à l’époque du décès de son époux. Compte tenu de la nature viagère de ce droit, le bien immobilier doit nécessairement appartenir aux deux époux ou dépendre totalement de la succession. Il est impossible d’exercer ce droit sur un bien immobilier en indivision avec un tiers.
Le logement constitue souvent l’unique actif successoral ; ainsi ce droit viager peut placer le conjoint survivant dans une situation comparable à celle d’un usufruitier universel. Ce faisant, la distinction de l’article 757 du Code civil doit être relativisée, puisque le conjoint survivant pourra tout de même, en présence d’enfants issus d’une précédente union du de cujus, bénéficier d’un régime comparable à celui d’usufruitier sur l’intégralité de la succession.
- Durée du droit. Le conjoint successible dispose du droit viager au logement tout au long de sa vie. Différentes hypothèses mettent cependant fin à ce droit :
Le décès du conjoint survivant ;
La disparition du logement ;
La renonciation expresse du conjoint survivant ;
L’attribution du logement en pleine propriété ou en usufruit au conjoint survivant lors des opérations de partage.
C. Attribution préférentielle de plein droit
L’article 831-2 du Code civil prévoit que le conjoint survivant copropriétaire du bien immobilier qu’il occupait effectivement au moment du décès de son époux peut bénéficier de la pleine propriété de ce logement en sollicitant l’attribution préférentielle de celui-ci. Ici également, ce droit n’est pas automatique. Néanmoins, s’il en fait la demande, l’attribution préférentielle est de plein droit pour le conjoint survivant.
Le conjoint survivant pourra en faire la demande à compter de l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture du partage de celle-ci.
Ce mécanisme était initialement applicable uniquement à la résidence principale. Il a été progressivement étendu afin d’y intégrer les meubles garnissant le logement dans l’hypothèse où le conjoint survivant en est copropriétaire (ce qui sera souvent le cas au vu de la présomption de communauté de Code civil, art. 1402), ainsi que les véhicules automobiles. Si le conjoint survivant sollicite cette attribution préférentielle, un délai de paiement pour la soulte lui est autorisé. Il peut exiger de ses copartageants pour le paiement d’une fraction de la soulte, égale au plus à la moitié, des délais de paiement ne pouvant pas excéder 10 ans.
II. Comment remédier le problème de l’occupation du logement, bien indivis par un autre héritier ?
A. Sortir de l’indivision successorale
Le droit de demander le partage est imprescriptible (Cour de cassation, chambre civile 1re du 12 décembre 2007, no 06-20.830 P) et nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut être toujours provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention (Code civil, article 815, al. 1er) (1).
Selon ce principe, tout indivisaire qui exprime la volonté de sortir de l’indivision peut contraindre ses coïndivisaires au partage des biens indivis par la voie judiciaire, et dans l’hypothèse où un partage s’avérerait impossible, provoquer préalablement la vente des biens indivis au moyen d’une adjudication.
Si un héritier veut sortir de l’indivision et que ses coïndivisaires s’y opposent, le tribunal peut encore attribuer sa part après expertise à celui qui a demandé le partage (Code civil, art. 824).
Cette disposition dite « attribution éliminatoire » permet d’éviter un partage global des biens, l’attribution pouvant être faite en espèces sous forme de soulte.
De la même manière, un ou plusieurs indivisaires pourront sortir de l’indivision en cédant leurs droits indivis.
Cette cession interviendra le plus souvent au profit d’un ou plusieurs autres membres de l’indivision. Dans le cas inverse, elle sera soumise aux dispositions de l’article 815-14 du Code civil instituant un droit de préemption au profit des coïndivisaires.
B. Indemnité d’occupation
La jouissance privative d’un bien est caractérisée dès lors qu’un des indivisaires jouit seul du bien et que de fait il empêche les autres indivisaires de la possibilité de jouir des lieux.
Lorsqu’un indivisaire a la jouissance privative d’un bien indivis, il est sauf convention contraire, redevable d’une indemnité (Code civil, art. 815-9, al. 2). Il est acquis en jurisprudence que cette indemnité se substitue aux fruits et revenus dont elle emprunte le caractère. À défaut d’un partage provisionnel, elle accroît en totalité à l’indivision (Code civil, art. 815-10). Cette règle est rappelée par un nouvel arrêt de la Cour de cassation du 3 octobre 2019.
En l’espèce, après avoir évalué le montant de l’indemnité due pour l’occupation du bien indivis par l’un des indivisaires, la cour d’appel attribue cette indemnité à l’autre indivisaire. La cassation de cette décision était inéluctable. L’indemnité d’occupation devait revenir à l’indivision (Cour de cassation chambre civile 1re du 3 octobre 2019, n° 18-20.828, n° 783 P + B + I) (2).
La Cour de cassation a également exclu toute indemnité d’occupation à l’encontre d’un héritier réservataire, institué légataire universel, qui avait joui privativement, depuis le décès du de cujus, d’un immeuble successoral qui lui avait été attribué par le testament. La haute juridiction considère l’héritier, en possession complète de l’hérédité en vertu de la saisine légale, avait vocation à prétendre sans contrepartie à la jouissance du bien légué au jour du décès (Cour de cassation 1re chambre civile du 24 septembre 2014, no 12-26.486) (3).
L’indemnité d’occupation n’est due que lorsque la jouissance de l’indivisaire sur le bien prive les autres indivisaires de la possibilité d’exercer leur droit. L’indemnité est donc due dès lors que la jouissance d’un indivisaire est exclusive de celle des autres. Cependant, la circonstance que le bien n’est utilisé que par un seul indivisaire n’établit pas, ipso facto, une atteinte au droit des autres indivisaires.
Ce qui compte, c’est que la jouissance d’un indivisaire prive les indivisaires de leur droit. Il en résulte donc que cette indemnité est due même en l’absence d’occupation effective des lieux (Cour de cassation 1re chambre civile du 22 avril 1997, no 95-15.830) (4).
La Cour de cassation a ainsi considéré que le fait pour un des indivisaires de détenir les clés de la porte d’entrée de l’immeuble, en refusant de la fournir aux autres indivisaires correspondait à « la jouissance privative d’un immeuble indivis » laquelle « résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour les coïndivisaires d’user de la chose » (7)(Cour de cassation 1re chambre civile du 31 mars 2016, no 15-10.748 ; également dans le même sens, v. Cour de cassation 1re chambre civile du 22 juin 2016, no 15-20.766, D. 2016, p. 782 : constitue une occupation privative et exclusive, le refus d’un indivisaire de remettre une clef de l’unique porte d’entrée de l’immeuble indivis à l’un de ses coïndivisaires) (8).
Le montant de l’indemnité pourra être fixé par une convention réalisée à l’amiable entre les indivisaires où à défaut par le juge. Pour en fixer le montant il faudra prendre en compte le caractère précaire de l’occupation, de la situation géographique de l’immeuble, l’état et de la nature du bien, la valeur locative du logement ainsi que des pertes de loyers subis par les autres indivisaires.
SOURCES
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045309030?init=true&page=1&query=&searchField=ALL&tab_selection=jurihttps://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038161195/
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000017696298&fastReqId=1196695601&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000039213453&fastReqId=466564211&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029509672&fastReqId=1239958855&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007334568&fastReqId=1055426919&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000032352626&fastReqId=1552404791&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000032778257&fastReqId=1178392019&fastPos=1
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