Quand un père tente de déshériter ses enfants en s’expatriant

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Peut-on tenter de déshériter ses enfants en s’expatriant ?

Aux termes de l’article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

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Selon le considérant 23 de ce règlement, afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession doit procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence, la résidence habituelle ainsi déterminée devant révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du règlement.

Après avoir constaté que [M] [I] ne s’était installé au Portugal qu’à compter du 28 juin 2016 et qu’étant décédé le 20 novembre 2016, il n’y avait résidé que moins de cinq mois, la cour d’appel a relevé que celui-ci avait entrepris très tardivement d’apprendre le portugais, qu’au moment de son décès, il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises et que, s’il était propriétaire avec son épouse d’au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France et que l’examen des nombreuses attestations produites révélait que les familles des époux, la plupart de leurs relations amicales, ainsi que les principaux bénéficiaires du contrat d’assurance sur la vie, étaient domiciliés en France.( Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 juillet 2023, Inédit (1)

C’est en suivant cette méthode que la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) a jugé qu’un homme, M. X, décédé le 20 novembre 2016 au Portugal, n’y « avait pas établi de manière stable et effective sa résidence habituelle », mais qu’il avait seulement voulu « voir appliquer la loi portugaise à sa succession ». (2)

Cette cour avait été saisie par l’ex-épouse de M. X, au nom de leurs deux filles handicapées, dont elle a la tutelle. S’inquiétant pour elles de n’avoir aucune nouvelle d’un notaire chargé de la succession, alors qu’elles ont pour seuls revenus leurs allocations, et s’étonnant que son ex-époux soit décédé au Portugal, elle a saisi une avocate, Me Emmanuelle Labandibar-Lacan.

Agissant au nom des deux héritières réservataires, celle-ci s’est livrée à une véritable enquête, auprès des hôpitaux français et portugais, du fisc, et des banques, pour savoir quelle avait été la dernière résidence habituelle de M. X.

Elle a découvert qu’en 2014, âgé de 67 ans, il avait été atteint d’un cancer ; que, se croyant condamné, il avait vendu un immeuble parisien (7 millions d’euros) et placé l’argent sur une assurance-vie, dont les bénéficiaires étaient une dizaine de proches, mais pas ses filles. Elle a appris qu’aux termes de la loi portugaise ces dernières ne pourraient pas faire réintégrer à la succession ces primes d’assurance-vie « manifestement excessives », alors que la loi française prévoit cette hypothèse.

Et qu’elles ne pourraient recevoir que les deux neuvièmes de cette succession (au lieu des trois quarts en France), pourtant composée de nombreux biens dans l’Hexagone. L’avocate a encore découvert que M. X et sa seconde épouse ne s’étaient établis au Portugal que cinq mois à peine avant le décès de M. X, et qu’ils n’avaient cessé d’être domiciliés fiscalement en France que onze jours avant son décès.

Elle a assigné en France la veuve et les bénéficiaires de l’assurance-vie, en soutenant que M. X avait frauduleusement transféré son domicile au Portugal, pour déshériter ses filles. Mme X l’a contesté : elle a assuré que son mari, remis de son cancer, pensait y vivre de longues années, lorsqu’il a été frappé d’une crise cardiaque. La cour d’appel ne l’a pas suivie. La Cour de cassation a confirmé, (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 juillet 2023, 21-10.905 21-11.041, Inédit) que les juridictions françaises étaient compétentes.

 

I. Le droit des successions portugaise et française : une transmission des biens du défunt à ses héritiers

Le droit des successions est un domaine complexe et varie d’un pays à l’autre. Le Portugal et la France ont chacun leur propre système juridique en matière de succession, avec des différences significatives.

  • En ce qui concerne la notion de réserve héréditaire

Le droit des successions portugais et français adopte des approches différentes. En France, la réserve héréditaire garantit une part minimale du patrimoine qui doit être légalement attribuée aux héritiers réservataires, généralement les enfants du défunt. Au Portugal, en revanche, il n’y a pas de réserve héréditaire stricte, ce qui signifie que le défunt a une plus grande liberté de disposer de ses biens par testament.

  • En ce qui concerne les droits du conjoint survivant

La législation portugaise et française diffère également. En France, le conjoint survivant a le droit de recevoir une part de la succession, même en l’absence de testament. En revanche, au Portugal, le conjoint survivant n’a pas automatiquement de droits successoraux, à moins qu’il n’ait été désigné bénéficiaire d’une quotité disponible par le défunt.

  • Les règles de dévolution légale varient également entre les deux pays

En France, le Code civil prévoit un ordre de priorité strict pour la transmission des biens en l’absence de testament. Les enfants du défunt ont la priorité, suivis des parents, puis des frères et sœurs. Au Portugal, la dévolution légale est régie par un système de parts réservataires et de parts disponibles, qui détermine la répartition des biens entre les héritiers réservataires et les bénéficiaires des parts disponibles.

  • En ce qui concerne les droits de succession

Les taux d’imposition et les exonérations fiscales diffèrent également entre le Portugal et la France. Chaque pays a ses propres règles fiscales en matière de transmission de patrimoine, et il est important de prendre en compte ces aspects lors de la planification successorale.

  • Une autre différence importante entre les deux systèmes est la manière dont les biens sont évalués.

En France, la valeur des biens est estimée à la date du décès du défunt, tandis qu’au Portugal, elle est généralement évaluée à la date de l’ouverture de la succession.

En conclusion, bien que le Portugal et la France aient des systèmes juridiques distincts en matière de succession, ils partagent tous deux l’objectif de régir la transmission des biens d’un défunt à ses héritiers. Les différences résident principalement dans les règles de dévolution légale, la liberté testamentaire et les modalités d’évaluation et de taxation des biens.

 

II. L’assurance vie excessive et la réserve héréditaire

L’assurance-vie est un outil couramment utilisé pour la planification successorale et la transmission du patrimoine. Cependant, dans certains cas, l’utilisation excessive de l’assurance vie peut entraîner des conflits avec la réserve héréditaire.

La réserve héréditaire est une notion juridique qui existe dans plusieurs systèmes juridiques, y compris en France. Elle garantit une part minimale du patrimoine qui doit être légalement attribuée aux héritiers réservataires, généralement les enfants du défunt. Cette part réservée ne peut pas être librement disposée par le défunt, que ce soit par testament ou par le biais d’une assurance vie.

L’assurance vie ne sera rapportée à l’actif successoral que pour les primes manifestement exagérées. Cela a pour vocation d’éviter toute atteinte à la réserve héréditaire, laquelle étant la part des biens et droits successoraux revenant de droit aux héritiers réservataires.

Il s’agit des primes dont le caractère excessif au regard des facultés de l’assuré ont conduit à un appauvrissement de ce dernier. (3)

L’appréciation de l’excès manifeste relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. La jurisprudence a donc permis de dégager plusieurs critères pour fixer le montant des primes.

Ainsi, les primes versées par le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur ; qu’un tel caractère s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci. (Cass. Civ 1er 19 mars 2014, RG 13-12.076)

  • Les revenus et le patrimoine du souscripteur :

Les juges font référence à ce critère. Les ressources s’apprécient toutes origines confondues. C’est le total qui est pris en compte.

Il sera également recherché si le souscripteur a réalisé des bénéfices exceptionnels qui justifieraient un investissement dans un contrat d’assurance-vie.

C’est au moment de la date de versement des primes qu’il convient de faire le calcul puisque l’excès manifeste « s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale » (Cass.2e civ., 16 avril 2015, RG 14-16.676).

  • L’utilité personnelle du contrat :

Le caractère exagéré des primes doit nécessairement prendre en compte l’utilité du contrat d’assurance-vie pour le souscripteur (Cass. Civ 1er 19 mars 2014, RG 13-12.076)

Par ce moyen, les juges veulent s’assurer que le contrat d’assurance-vie a bien été souscrit pour une mesure d’épargne-prévoyance.

Il peut s’agir de l’intérêt personnel du souscripteur souhaitant prévoir une épargne pour une période à venir au cours de laquelle les dépenses augmenteront ou les revenus diminueront.

Il peut également s’agir d’un projet pour sa famille, en particulier permettre lui permettre de subvenir à l’essentiel de ses besoins, en cas de disparition brutale et/ou prématurée de celui ou celle qui assume des charges du couple et des enfants.

Il peut également s’agir d’un projet pour sa famille en particulier qui lui permette de subvenir à l’essentiel de ses besoins, en cas de disparition brutale et/ou prématurée de celui ou celle qui assume les charges du couple et des enfants

  • L’intention du souscripteur :

Les tribunaux vont, en dernier recours, s’interroger sur la volonté réelle de celui qui a conclu un tel contrat d’assurance-vie.

Les dernières volontés, mais aussi les écrits, les témoignages, les échanges de courriers électroniques, produits par les avocats des parties au procès vont servir de moyen de preuve pour mettre en évidence ou anéantir la thèse de la fraude au droit des successions par le biais du contrat d’assurance-vie.

Par exemple, la jurisprudence a considéré qu’était exagérée une prime de 46 000 € (provenant de la vente d’un immeuble) versée par une personne disposant de 800 € par mois, car ce montant était insuffisant pour lui assurer ses frais de séjour en maison de retraite (Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, RG 09-67.770). Et que de ce fait les primes devaient être réintégrées à la succession.

Dans un arrêt du 11 janvier 2023, la Cour d’appel de Paris constate qu’à la date de versement de chacune des primes, au regard de l’âge du souscripteur et de sa situation patrimoniale et familiale à la date de chacun des versements, le versement des primes correspond à une partie des sommes qu’il a reçues par voie successorale sans qu’il ait eu à effectuer des prélèvements sur ses revenus courants qui étaient suffisants pour assumer ses besoins quotidiens.

Il est également établi que le souscripteur avait toujours conservé les originaux des bons de souscription des contrats d’assurance-vie et qu’il avait déclaré expressément à la suite de la souscription des deux contrats d’assurance-vie litigieux, qu’il pourrait toujours y retirer de l’argent en cas de besoin.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris considère que l’ensemble de ces éléments met en évidence qu’à la date de chacun des versements sur les contrats d’assurance-vie, les primes versées par le souscripteur ne présentaient pas un caractère manifestement exagéré au regard de son âge, de sa situation patrimoniale et familiale à la date de chacun des versements ainsi que de l’utilité des deux contrats pour celui-ci.

 

III. Les conséquences de la résidence habituelle sur le droit des successions

La résidence habituelle d’une personne peut avoir des conséquences importantes sur le droit des successions. Voici quelques-unes des conséquences clés de la résidence habituelle sur le droit des successions :

  1. Loi applicable : La résidence habituelle d’une personne est un critère déterminant pour déterminer la loi applicable à sa succession. Dans de nombreux systèmes juridiques, la loi de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès est considérée comme la loi applicable à sa succession. Cela signifie que les règles de succession de cet État seront généralement appliquées pour déterminer la manière dont les biens seront transmis et répartis.
  2. Règles de dévolution légale : La résidence habituelle peut également influencer les règles de dévolution légale, c’est-à-dire les règles qui déterminent comment les biens d’une personne sont répartis en l’absence de testament. Chaque pays a ses propres règles de dévolution légale, et la résidence habituelle peut être un facteur pris en compte pour déterminer les héritiers et la manière dont les biens seront répartis entre eux.
  3. Réserves héréditaires : Certains pays reconnaissent la notion de réserves héréditaires, qui sont des parts minimales du patrimoine qui doivent être légalement attribuées à certains héritiers réservataires, généralement les enfants du défunt. La résidence habituelle peut être un élément pris en compte pour déterminer si les règles de réserve héréditaire s’appliquent à une succession et dans quelle mesure.
  4. Juridiction compétente : La résidence habituelle peut également déterminer la juridiction compétente pour traiter d’une succession. Dans certains cas, lorsque la résidence habituelle du défunt est dans un pays différent de sa nationalité, il peut être nécessaire de déterminer quel tribunal a compétence pour traiter de la succession.

Il est important de noter que les règles relatives à la résidence habituelle et au droit des successions peuvent varier d’un pays à l’autre. Il est donc recommandé de consulter un professionnel du droit spécialisé dans le pays concerné pour obtenir des conseils précis et adaptés à votre situation spécifique.

En résumé, la résidence habituelle d’une personne peut avoir des conséquences sur le droit des successions, notamment en déterminant la loi applicable, les règles de dévolution légale, les réserves héréditaires et la juridiction compétente. Il est essentiel de comprendre les règles du pays de résidence habituelle pour planifier efficacement sa succession.

 

Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 juillet 2023, 21-10.905 21-11.041, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  2. https://www.lemonde.fr/argent/article/2023/09/18/quand-un-pere-tente-de-desheriter-ses-filles-handicapees-en-s-expatriant-au-portugal_6189856_1657007.html
  3. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 mai 2018, 17-17.303, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

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