Un héritier doit-il rapporter à la succession de son auteur les donations reçues par ses propres enfants ?

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Doit-on rapporter à la succession d’un parent les donations faites à ses enfants ?

La Cour de cassation, dans un arrêt du 6 mars 2019, réaffirme une solution classique : le rejet du rapport pour autrui, compris en l’espèce comme le rapport par l’héritier de ce qui a été donné à ses descendants. Au soutien de sa solution, elle sollicite l’article 847 du Code civil qui se borne à affirmer ce principe.

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La préservation des droits successoraux des héritiers est primordiale ainsi la loi peut poser des limites afin que ce droit soit préservé.

Il est évident que toute donation faite à un héritier est présumée rapportable comme l’estime l’article 843 du Code civil « Tout héritier, (même ayant accepté à concurrence de l’actif), venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément « hors part successorale. » En effet, « les legs faits à l’héritier sont réputés faits » hors part successorale » à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »

En d’autres termes, lors du partage successoral, héritier avantagé est tenu d’insérer dans la masse à partager le ou les biens reçus du défunt. Cependant, la connotation « hors part successorale » permet d’avantager un héritier face à un ou plusieurs autres héritiers.

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation (1), deux époux avaient gratifié de leur vivant leurs descendants : deux de leurs trois enfants, d’une part, et leurs deux petits-enfants, descendants du troisième enfant non-donataire, d’autre part. Une même somme avait été donnée, par don manuel, aux représentants des trois souches, les petits-enfants se partageant par moitié la somme revenant à la souche.

Au moment du règlement de la succession, les deux descendants du premier degré donataires réclamaient que les dons réalisés au profit des descendants du deuxième degré soient rapportés à la succession des donateurs par leur père venant à la succession.

La Cour d’appel de Rennes (Cour d’appel de Rennes, 1re chambre, 5 décembre 2017, n° 16/01712, 472/2017) a fait droit à cette demande et a ordonné au notaire chargé du règlement de la succession de tenir compte dans le projet liquidatif des trois donations au titre du rapport. Au soutien de sa solution, elle a retenu que les donateurs ont « entendu donner cette somme » à chacun de leurs enfants et qu’il importait peu que l’un d’entre eux « ait préféré faire remettre celle-ci à ses propres enfants ».

La Cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 847 du Code civil (2). Dans son chapeau introductif, elle se borne à reprendre le contenu de ce texte. Aux termes de cet attendu : « les dons et legs faits au fils de celui qui se trouve successible à l’époque de l’ouverture de la succession sont toujours réputés faits avec dispense du rapport et […] le père, venant à la succession du donateur, n’est pas tenu de les rapporter ».

La haute juridiction, après avoir relevé que la Cour d’appel avait constaté que les bénéficiaires de la donation étaient le fils et la fille de l’héritier, ne pouvait que prononcer une cassation de l’arrêt pour violation de l’article 847 du Code civil.

Le libellé de l’article 847 est certes quelque peu suranné en ce qu’il renvoie au fils et au père ; il date du Code de 1804 et n’a pas été modifié à l’occasion de la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 (3).

Sa lettre n’en demeure pas moins claire : les libéralités adressées aux enfants d’un héritier successible sont réputées faites avec dispense de rapport (alinéa 1er). Comme corollaire, l’héritier venant à la succession n’est pas tenu de les rapporter (alinéa 2). En retenant la solution contraire, l’arrêt d’appel ne pouvait qu’être cassé.

Le premier alinéa de l’article 847 du Code civil, en réputant hors part successorale la libéralité adressée aux enfants d’un successible, paraît poser une règle inutile. Il résulte, en effet, des articles 843 et 846 du Code civil que sont réputés tenus au rapport des donations les héritiers qui viennent à la succession seulement s’ils étaient héritiers présomptifs lors de la donation (c’est-à-dire s’ils étaient successibles à cette date).

Or les enfants de l’héritier de premier rang ne répondent à aucune de ces deux conditions, sauf, pour la première, à ce que leur auteur ait renoncé à la succession et qu’ils l’aient eux-mêmes acceptée.

L’intérêt de l’article 847 du Code civil résulte davantage de son second alinéa qui rejette un cas de rapport pour autrui : l’héritier n’est pas tenu au rapport pour ses enfants. Les articles 848 et 849 retiennent la même solution pour la libéralité adressée au conjoint ou à l’auteur de l’héritier successible. Ces articles datent tous de 1804 et n’ont pas été modifiés depuis. Ils tranchent avec le droit antérieur, dont certaines coutumes refusaient les dispenses de rapport et retenaient des présomptions d’interposition de personnes en présence de donation faite au conjoint ou à un parent.

La cassation paraissait ainsi inévitable, d’autant que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de l’appliquer par le passé pour des faits similaires (4). La motivation de l’arrêt d’appel mérite toutefois l’attention à deux égards.

La Cour d’appel insiste, en premier lieu, sur l’intention des donateurs, ce qui résulte très clairement du moyen annexé au pourvoi. Ces derniers auraient « entendu donner » la même somme à chacun de ses enfants. Pour la Cour d’appel, les donateurs avaient cherché à maintenir l’égalité parfaite entre leurs trois enfants ou, pour le dire autrement, entre les trois souches. Or l’institution du rapport a justement cette fonction : assurer l’égalité entre les héritiers.

Il paraissait donc logique à la Cour d’appel d’astreindre également au rapport la troisième souche représentée par l’enfant non donataire sauf à déjouer la volonté des défunts. Le premier alinéa de l’article 847 du Code civil fixant la dispense de rapport se borne à poser une présomption simple comme le prévoit expressément l’article 846 ; elle peut être écartée par la stipulation d’une clause de rapport.

D’une certaine manière, la Cour d’appel, sans le dire véritablement et c’était peut-être là son tort, semble avoir découvert un pacte adjoint aux dons manuels comprenant une clause de rapport tacite (le fondement de l’équité et de l’ancien article 1135 du Code civil, nouvel article 1194, n’est pas loin).

Bien que l’article 843 du Code civil impose depuis 1804 que la clause de dispense de rapport soit expresse, la Cour de cassation a toujours eu une appréciation « généreuse » de cette condition au point de permettre aux juges du fond, sous couvert d’interprétation, de déceler des dispenses de rapport. Par analogie, ces solutions devraient pouvoir être étendues à la découverte d’une clause de rapport en présence d’une libéralité présumée préciputaire.

La Cour de cassation ne dit rien de cette recherche de volonté sans que l’on sache bien pourquoi. Celle-ci était pourtant critiquée par la seconde branche du pourvoi, ce que révèle le moyen annexé au pourvoi. Il était reproché aux juges du fond d’avoir recherché l’intention des défunts à partir de la copie d’un testament pourtant considérée comme dépourvue d’effet faute d’être fidèle et durable.

Le silence de la Cour de cassation vient sans doute du fait que même en présence d’une telle clause, le débiteur du rapport ne saurait être le parent venant à la succession. Les débiteurs sont les donataires eux-mêmes, sauf à admettre là encore qu’une clause de la donation, même tacite, puisse faire peser la charge du rapport sur autrui.

Cependant, la doctrine s’est posé de nombreuses questions et a laissé susciter des débats doctrinaux. Notamment une question portant sur le renonçant à la succession représentée par une autre personne. La question est de savoir si ce représentant est soumis au même régime que le renonçant à la succession.

En faisant peser le rapport sur le représentant de la souche, à savoir le troisième enfant des défunts, l’arrêt d’appel paraît appliquer, en second lieu, les règles relatives à la représentation en dehors de ses contours légaux tant au regard de ses conditions que de ses effets. Tout en posant le principe selon lequel les enfants venant à une succession ne sont pas tenus au rapport de ce qui a été reçu par leurs parents, l’article 848 réserve le cas de la représentation.

Consacrant un cas exceptionnel de rapport pour autrui, il en résulte que les représentants venant à la succession en lieu et place de leur auteur sont tenus au rapport de ce que ce qui a été reçu par lui. Or, depuis la réforme du 23 juin 2006, il est possible de représenter un héritier renonçant (Code civil, article 754, al. 1er), ce qui conduit à ce que les représentants doivent le rapport des donations adressées au renonçant selon des règles complexes d’imputation (Code civil, article 754, al. 3).

Cette hypothèse de rapport pour autrui a pour but d’éviter que la souche soit gratifiée deux fois du fait du décès ou de la renonciation de l’auteur bénéficiaire d’une libéralité rapportable au mépris de l’égalité entre les héritiers, c’est-à-dire entre les souches.

Deux réformes ont été apportées en date du 23 juin 2006 face à cette question laissent entendre que les dispositions de l’article 848 du Code civil s’appliquent en cas de prédécès du représenté et non en cas de renonciation.

Le fils venant à la succession de son père ne doit pas le rapport des libéralités que ce dernier a pu consentir à ses petits-enfants malgré le fait est que le donateur à eu pour intention de maintenir l’égalité entre sa descendance, tel est le principe de prohibition du rapport à autrui en matière successorale. Cette règle s’applique de façon certaine lorsque la représentation trouve sa cause dans le décès. Sa mise en œuvre au cas de représentation du renonçant divise majoritairement la doctrine, en l’absence de clause expresse imposant le rapport.

La Cour de cassation estime que le rapport pour autrui est exclu. L’héritier doit le rapport des libéralités dont il a été personnellement gratifié.

C’est manifestement cet objectif qui a guidé la Cour d’appel en l’espèce. Celle-ci insiste sur le fait que l’héritier successible « ait préféré faire remettre [la somme donnée] à ses propres enfants » comme si l’héritier, normalement bénéficiaire de la donation selon les souhaits des défunts, s’était effacé au profit de ses enfants ou, pour le dire autrement, avait renoncé à la donation au profit de ses enfants.

Par une sorte d’analogie avec les règles relatives aux renonciations successorales et en inversant la solution retenue par l’article 848 sur le bénéficiaire de la donation (le renonçant) et les débiteurs du rapport (les représentants), la Cour d’appel fait peser sur l’héritier (« renonçant » à la donation) la charge du rapport de la donation reçue par ses enfants (ses « représentants » dans la transmission entre vifs).

L’article 848 du Code civil dispose que « le fils venant de son chef à la succession du donateur, n’est pas tenu de rapporter le don fait à son père, même, quand il aurait accepté la succession de celui-ci : mais si le fils ne vient que par représentation, il doit rapporter ce qui avait été donné à son père, même dans le cas où il aurait répudié sa succession. En effet, si le renonçant est représenté, le rapport est dû par son propre héritier.

Par un arrêt de la Cour de cassation en date du 10 octobre 1995 (7) les dons et legs faits au fils de celui qui se trouve successible à l’époque de l’ouverture de la succession, sont toujours réputés faits avec dispense de rapport et le père venant à la succession du donateur n’est pas tenu de les rapporter.

De même, le fils venant de son chef à la succession du donateur n’est pas tenu de rapporter le don fait à son père, même s’il a accepté la succession de ce dernier.

Cependant, l’enfant est tenu au rapport de la donation faite à son père par le défunt s’il vient à la succession du donateur par représentation de son auteur, malgré qu’il soit renoncé à la succession du représenté.

SOURCES :

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038238569/
  2. https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CARENNES-05122017-16_01712
  3. https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006432795&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=20070101
  4. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000637158/
  5. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007035108&fastReqId=239818976&fastPos=1
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000637158&categorieLien=id
  6. https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_1995-10-10_9317610
  7. https://www.efl.fr/actualite/succession-rappel-principe-prohibition-rapport-autrui_UI-35dadb43-50e3-48e1-9187-669a2d5e730b
  8. https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civile_3169/2019_9122/mars_9189/225_6_41671.html
  9. https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civile_3169/2019_9122/mars_9189/225_6_41671.html

 

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