Action en réduction de part successorale

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L’action en réduction est une action spéciale par laquelle un héritier réservataire peut obtenir des bénéficiaires de libéralités consenties par le de cujus au-delà de la quotité disponible la restitution de la part excédentaire de ces libéralités afin de rétablir la réserve héréditaire qui a été entamée.

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L’action en réduction est ouverte aux héritiers réservataires et à leurs ayants cause, d’une part ; aux créanciers chirographaires des héritiers réservataires, d’autre part. Le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à 5 ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à 2 ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder 10 ans à compter du décès.

La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a généralisé le domaine de la réduction en valeur qui s’applique désormais, en règle générale, à toute libéralité excédant le disponible, « quel que soit cet excédent » et quel que soit le gratifié, « successible ou non successible ».

Par dérogation à la règle générale de la réduction en valeur, la réduction peut s’effectuer, sous certaines conditions, en nature à la demande du gratifié ou en cas d’insolvabilité du débiteur de l’indemnité de réduction.

L’indemnité de réduction se calcule d’après la valeur des biens donnés ou légués au jour du partage, mais en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet. Le paiement de l’indemnité de réduction par un héritier réservataire s’effectue dans toute la mesure du possible en moins prenant.

L’action en réduction doit être distinguée du rapport, prévu aux articles 843 et suivants du Code civil, qui est destiné à obliger un héritier, réservataire ou non, ayant reçu une libéralité du défunt à titre d’avancement de part successorale, à remettre celle-ci dans la masse afin de rétablir l’égalité entre tous les copartageants. À ce titre, le rapport, comme la réduction, est « un dispositif de restitution ». Mais les buts poursuivis sont entièrement différents puisque, d’un côté, il s’agit d’assurer par la réduction le respect de la réserve héréditaire alors que, de l’autre, c’est l’égalité entre les copartageants qui est en jeu dans le rapport.

C’est la raison pour laquelle tandis que, aux termes de l’article 857 du Code civil, “Le rapport n’est dû que par le cohéritier à son cohéritier”, la réduction sanctionne toute atteinte à la réserve, quel que soit le bénéficiaire de la libéralité réductible.

L’action en réduction, protectrice de la réserve héréditaire, peut être exercée soit contre des cohéritiers gratifiés, soit contre des bénéficiaires de libéralités qui sont étrangères à la succession, alors que le rapport ne peut être demandé que contre des héritiers venant effectivement à la succession puisque son objet est de faire respecter l’égalité successorale.

Il en résulte que lorsque des héritiers prétendent voir qualifiée de fictive, et donc de donation déguisée, la vente conclue entre le de cujus et le mari de la légataire universelle, lequel n’a pas la qualité d’héritier, il ne peut être question d’une action de rapport, mais seulement d’une action en réduction (CA Paris, 2e ch., sect. A, 4 nov. 1991).

 

I. Action en réduction

A. Titulaires de l’action en réduction

  • Héritiers réservataires et leurs ayants cause

L’action en réduction n’appartient qu’aux seuls héritiers réservataires, c’est-à-dire, pour reprendre la formule de l’article 921 du Code civil, “à ceux au profit desquels la loi fait la réserve” (Cour de cassation, chambre des requêtes du 1er juillet 1913), ce qui est en parfaite conformité avec la fonction de la réduction qui est la protection de la réserve héréditaire.

Par ailleurs, parmi lesdits héritiers réservataires, seuls ceux qui ont accepté la succession peuvent exercer l’action en réduction puisque la réserve est une fraction de succession (pars hereditatis) ou, selon les termes de la définition donnée par la loi du 23 juin 2006 à l’article 912 du Code civil, une “part des biens et droits successoraux, dont la loi, assure la dévolution libre de charges à certains héritiers”.

Celui qui renonce à la succession renonce, par là même, à sa part de réserve et, en outre, ne peut en principe imputer les libéralités par lui reçues que sur la quotité disponible puisqu’il a perdu tout droit à la réserve. En revanche, il n’y a pas à distinguer selon que la succession a été acceptée purement et simplement ou à concurrence de l’actif net.

Les ayants cause universels des héritiers réservataires (héritiers légataires ou institués contractuels universels ou à titre universel) ont les mêmes droits qu’eux puisqu’ils sont les continuateurs de leur personne (Code civil, article 921).

Ils peuvent donc agir en réduction au même titre que les héritiers réservataires. Cela concerne les héritiers, les légataires universels et les légataires à titre universel. Mais, les termes de l’article 921 du Code civil visant les ayants cause en général, il faut par ailleurs en induire que l’action en réduction peut encore être exercée par les ayants cause à titre particulier des héritiers réservataires, tels que les cessionnaires de droits successifs (1).

La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 a modifié l’article 921 du Code civil par l’ajout d’un alinéa ayant pour objectif de consolider l’obligation d’information du notaire.

L’alinéa 2 de l’article 921 du Code civil dispose désormais que : lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d’un héritier sont susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible.  (8).

  • Créanciers chirographaires des héritiers réservataires

Les créanciers chirographaires des héritiers réservataires peuvent également exercer l’action en réduction des libéralités excédant la quotité disponible par la voie de l’action oblique. Pour cela, l’article 1341-1 du Code civil est suffisant puisqu’il autorise les créanciers à exercer les droits et actions de leurs débiteurs lorsque la carence de ces derniers compromet leurs propres droits, à l’exception des droits et actions exclusivement attachés à la personne. Or, tel n’est certainement pas le cas de l’action en réduction qui est essentiellement patrimoniale.

Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en a posé le principe (Cour de cassation, 1re chambre civile du 20 octobre 1982, n° 81-16.092). L’affaire était complexe, car les droits du créancier de l’héritier réservataire étaient subordonnés à une option que devait exercer un cohéritier de celui-ci et la Cour de cassation a décidé que ledit créancier pouvait également, par la voie oblique, contraindre ce cohéritier à opter.

En résumé, on peut dire que l’action oblique exercée par le créancier personnel de l’héritier réservataire ne permet pas seulement d’exercer l’action en réduction de celui-ci, elle permet aussi de rendre possible cette action en réduction. Tel est bien le sens de l’attendu principal de l’arrêt (2).

  • Personnes exclues

Conjoint d’un héritier réservataire – Instrument de protection de la réserve, l’action en réduction a un caractère personnel. Seul peut l’intenter l’héritier au profit duquel « la loi fait la réserve » (Code civil, article 921, al. 1er), ce qui exclut, notamment, son conjoint. Celui-ci ne peut pas exercer l’action en réduction, car l’intangibilité de la réserve héréditaire n’est imposée que dans l’intérêt du réservataire ou de ceux qui le représentent.

Le conjoint du réservataire, si proche soit-il de celui-ci par l’alliance et par l’affection, ne peut se prévaloir de la réserve de son conjoint, car il a des intérêts distincts. Contrairement à la réserve coutumière, la réserve du Code civil s’est voulue uniquement protectrice du réservataire et n’est pas destinée à obliger le disposant à respecter une certaine copropriété familiale.

  • Disposant – C’est en vertu du même principe, selon lequel l’intangibilité de la réserve héréditaire n’est imposée que dans l’intérêt du réservataire ou de ceux qui le représentent, que le disposant ne peut pas exercer lui-même l’action en réduction de son vivant.
  • Gratifiés – De même, l’article 921, alinéa 1er in fine du Code civil dispose que : “(…) les donataires, les légataires, ni les créanciers du défunt, ne pourront demander cette réduction, ni en profiter”. Cela rejoint toujours le même principe, mais mérite un approfondissement.
  • Donataires et légataires du défunt – Que les donataires et légataires du de cujus ne puissent intenter l’action en réduction relève de l’évidence, puisque l’action est dirigée contre eux. Ils ne peuvent chercher à se nuire à eux-mêmes ! Ils ont toutefois intérêt à ce que la réduction des libéralités dont ils ont été les bénéficiaires s’effectue de façon correcte et en respectant les dispositions légales. C’est pourquoi ils peuvent surveiller des opérations et invoquer, par voie d’exception, le défaut de réduction de libéralités qui auraient dû être réduites avant celles qui leur ont été consenties.
  • Créanciers du défunt – S’agissant des créanciers du de cujus, la situation est un peu plus complexe. Sans doute, ils ne peuvent en principe ni exercer l’action en réduction, ni en profiter, ni saisir les biens récupérés par les héritiers réservataires du défunt. Mais l’explication est très différente selon qu’il s’agit de biens donnés par le défunt ou de biens légués par lui.

 

B. Exercice de l’action en réduction

L’action en réduction n’est pas une action en nullité, car elle n’entraîne pas la nullité de la donation réduite, mais seulement l’indemnisation des héritiers réservataires “à concurrence de la portion excessive de la libéralité” (Code civil, article 924, al. 1er). Par conséquent, une action en nullité exercée contre une libéralité empiétant sur la réserve héréditaire doit être déclarée irrecevable (CA Bordeaux, 1re ch., 8 nov. 1990).

Il en résulte que les donations faites en fraude des droits d’un héritier réservataire ne sont pas nulles, mais sont seulement réductibles à hauteur de la quotité disponible. C’est là une jurisprudence constante déjà illustrée par un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation et réaffirmée par la première chambre civile.

  • Réduction et résolution – L’action en réduction n’est pas davantage une action en résolution comme cela a parfois été soutenu (. En effet, une résolution a nécessairement pour cause une inexécution ; or, on ne peut pas dire ici qu’il y a eu une obligation inexécutée.

Il en résulte que si la réduction d’une donation est seulement partielle, elle ne supprime pas le droit du donataire, mais a seulement pour effet de créer, si elle s’exécute en nature, un état d’indivision entre lui et l’héritier réservataire, sans qu’il y ait lieu à la résolution (rétroactive) de la donation. L’exercice de l’action en réduction est donc absolument indispensable pour faire réduire une libéralité empiétant sur la réserve héréditaire. C’est pourquoi la demande de réduction d’une libéralité excessive n’est soumise à aucun formalisme particulier (3).

Divisibilité de l’action en réduction – Cette action a la particularité d’être divisible, c’est-à-dire que, s’il y a plusieurs réservataires dont la réserve a été atteinte, chacun doit exercer l’action en réduction pour sa part. Si l’un d’eux y renonce ou la laisse prescrire, elle subsiste au profit des autres et quand l’action est exercée par un seul héritier elle ne peut produire effet que dans la mesure de sa part de réserve.

Du fait de sa divisibilité, l’action en réduction peut en outre être exercée collectivement ou individuellement. Le plus souvent, elle est exercée collectivement par l’ensemble des héritiers réservataires pour la protection de leur réserve globale.

Mais si certains d’entre eux, soucieux avant tout de respecter la volonté du de cujus, décident de ne pas agir, les autres peuvent le faire pour la protection de leur réserve individuelle. Chacun, alors, poursuit seul et pour sa part la réduction des libéralités excessives empiétant sur sa propre réserve.

La juridiction compétente pour connaître de l’action en réduction est le tribunal judiciaire du lieu de l’ouverture de la succession (CPC, art. 45, demandes entre héritiers, et Code civil article 841, contestations s’élevant au cours des opérations de partage).

Toutefois, si l’action est dirigée contre un tiers ayant acquis le bien donné du chef du donataire et s’il s’agit d’une action immobilière, la compétence appartient au tribunal de grande instance du lieu de situation de l’immeuble.

En ce qui concerne la liberté de la preuve, les héritiers réservataires doivent supporter la charge de la preuve de l’existence de libéralités (donations ou legs) de nature à porter atteinte à leur réserve (« Actori incumbit probatio ») et cette preuve est libre. Ils peuvent donc la faire par tous les moyens et même à l’aide de présomptions de l’homme.

Comme toute action, l’action en réduction s’éteint par le délai de prescription extinctive qui a été modifié par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. Auparavant, l’action en réduction était soumise au délai de prescription de droit commun de 30 ans (Cass. 1re civ., 29 janv. 1958 : Bull. civ. I, n° 44), lequel ne commençait à courir qu’à partir du jour de l’ouverture de la succession.

Ce délai, jugé excessif, a été considérablement raccourci par la loi du 23 juin 2006 qui a introduit, à l’article 921 du Code civil, un alinéa 2 ainsi rédigé :

Le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.

Ce délai de prescription quinquennale de l’action en réduction des libéralités, applicable aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007 (4), amène à distinguer deux situations pour le calcul de la prescription.

Soit les héritiers réservataires ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve dès l’ouverture de la succession et le délai de prescription de l’action en réduction sera alors de cinq ans à compter de ce moment-là.

Soit les héritiers réservataires ont découvert l’atteinte portée à leur réserve après l’ouverture de la succession et le délai de prescription est alors de deux ans à compter de cette découverte, sans pouvoir excéder dix ans à compter du décès.

Ce délai est rappelé dans un arrêt de la cour d’appel de Paris. En l’espèce, le demandeur à l’action demande une réduction de libéralités pour la première fois par des conclusions signifiées le 20 juin 2018 devant la cour d’appel de Douai, soit plus de dix ans après le décès de son père survenu le 20 mars 2007. Ce délai de dix ans étant un délai butoir qui ne peut être suspendu ou interrompu, l’action en réduction est prescrite (Cour d’appel de paris, Pôle 3 – Chambre 1, 14 décembre 2022, n° 21/08772) (5).

La cour d’appel d’Angers estime que la réduction d’une libéralité excessive n’étant soumise à aucun formalisme particulier, la demande d’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession du défunt par le demandeur manifeste sa volonté de voir procéder à la réduction des libéralités litigieuses.

En l’espèce le de cujus est décédée le 30 juin 2013 et le demandeur a assigné sa soeur en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession par assignation délivrée le 10 août 2016, de sorte que l’action en réduction, qui n’a pas été expressément présentée en première instance, mais qui était induite par la demande a bien été introduite dans le délai utile pour agir. (Cour d’appel d’Angers, 1re Chambre section B, 8 décembre 2022, n° 19/00574) (6).

Anticipant sur un système qui sera généralisé par la réforme de la prescription opérée par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l’article 921, alinéa 1 du Code civil, introduit ici deux innovations importantes en matière de prescription de l’action en réduction : un point de départ du délai « glissant » en fonction de la date de découverte de l’atteinte à la réserve et un délai butoir de dix ans. Cinq ans où, en cas de découverte ultérieure de l’atteinte à la réserve, au maximum dix ans après l’ouverture de la succession, l’action sera donc prescrite.

II. Modalités de la réduction

A. Domaines respectifs de la réduction en valeur et de la réduction en nature

L’article 924, alinéa 1er du Code civil, s’applique, de manière générale, à toute libéralité qui excède la quotité disponible. Cela vise donc, selon la définition de la libéralité donnée à l’article 893 du Code civil, tout “acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne”.

C’est dire que la réduction en valeur s’applique de manière identique aux donations et aux legs, ce qui garantit l’exécution de ces derniers et renforce par là même le pouvoir de la volonté du disposant. Sous l’empire de la législation antérieure, l’article 925 du Code civil, abrogé par la loi du 23 juin 2006, frappait de caducité toutes les dispositions testamentaires lorsque la valeur des donations entre vifs excédait ou égalait la quotité disponible.

Autrement dit, lorsque l’imputation des donations avait absorbé tout le disponible, les legs ne pouvaient s’exécuter faute de secteur d’imputation. L’application généralisée de la réduction en valeur supprime cet obstacle et permet dès lors aux legs de s’exécuter puisque même s’il n’existe plus de surface d’imputation, le légataire pourra toujours indemniser en argent les héritiers réservataires privés, en tout ou en partie, de leur réserve en nature.

De même, la généralité des termes de l’article 924, alinéa 1er, permet d’appliquer la réduction en valeur aux allotissements par donation-partage ou testament-partage, qui entrent désormais dans la définition légale de la libéralité, d’autant plus que celle-ci peut avoir, selon le principe posé à l’article 721 du Code civil, une fonction dévolutive. La réduction en valeur s’applique également aux libéralités à titre universel comme aux libéralités à titre particulier, aux libéralités préciputaires, imputables sur la quotité disponible, comme aux libéralités en avancement d’hoirie (ou de part successorale), imputables sur la réserve.

Au-delà de l’extension à toutes les libéralités, le domaine de la réduction en valeur a été étendu par la loi du 23 juin 2006 à tous les biens faisant l’objet d’une libéralité réductible. C’est là aussi une innovation importante, car, auparavant, la loi admettait la réduction en valeur essentiellement pour des raisons économiques, lorsqu’une réduction en nature aurait risqué de nuire à la valeur économique du bien sur lequel portait la libéralité réductible.

Ainsi, l’ancien article 867 du Code civil prévoyait la réduction en valeur des legs portant « sur un bien ou sur plusieurs biens composant un ensemble », car, dans un tel cas, la réduction en nature aurait entraîné soit un partage soit une licitation qui aurait vraisemblablement provoqué une perte de l’utilité ou de la valeur économique du bien.

Dans ces conditions, la réduction en valeur apparaissait simplement comme une dérogation, justifiée par des motifs économiques, au principe juridique de l’égalité en nature dans le partage de la réserve.

L’extension de la réduction en valeur à toutes les libéralités, quel qu’en soit l’objet change entièrement la perspective. Il ne s’agit plus de déroger, pour des raisons économiques, à un principe juridique ; c’est le principe de droit lui-même qui a changé ou, plutôt, qui a été inversé : la réduction en valeur est devenue le principe.

En conséquence, toutes les conditions posées naguère à la réduction en valeur et qui portaient, notamment, sur les biens faisant l’objet de la libéralité, ont disparu, ce qui étend sensiblement les possibilités de dévolution volontaire, en particulier au moyen de legs.

Un testateur peut très bien, à présent, attribuer l’intégralité des biens composant son patrimoine héréditaire, même s’ils ne forment pas un « ensemble de biens » au sens de l’ancien article 867 du Code civil, à un seul successible, voire à un tiers étranger à la famille ; dans tous les cas, le legs sera exécuté et le légataire recevra effectivement les biens qui lui ont été légués, à charge simplement pour lui, s’il y a atteinte à la réserve, d’indemniser en argent les réservataires privés de corps héréditaires.

Dernière extension (et non des moindres) du domaine de la réduction en valeur : l’article 924, alinéa 1er du Code civil, étend le bénéfice de la réduction en valeur à tout gratifié, « successible ou non successible ».

Tandis que, sous l’empire de la législation antérieure, seules bénéficiaient de la réduction en valeur les libéralités consenties à des successibles (Code civil, articles 866 et 867 anciens), voire à des réservataires (Code civil, article 924 ancien), ce sont désormais tous les bénéficiaires de libéralités, qu’ils soient ou non successibles, qui se voient appliquer la réduction en valeur.

Cela change totalement le sens de la réduction en valeur. En effet, tant que celle-ci « s’inscrivait dans le cercle des cohéritiers venant au partage, on pouvait l’expliquer par le principe de l’égalité en valeur ; les restitutions et indemnités en valeur n’étaient qu’une manière d’établir en numéraire l’équilibre de la répartition, elles opéraient comme des soultes. Mais lorsque ce mode d’indemnisation bénéficie à des gratifiés non successibles, ce n’est plus l’égalité du partage qui est en cause, c’est la nature de la réserve ».

B. Exécution de la réduction

La réduction des libéralités excédentaires s’exécute suivant un ordre déterminé par les dispositions d’ordre public de l’article 923 du Code civil qui reproduit, en sens inverse, l’ordre d’imputation des libéralités.

Les legs seront donc réduits en premier, au marc le franc (Code civil, article 926), sauf disposition contraire du testateur (Code civil, article 927), suivis des donations, en commençant par les plus récentes. Cet ordre de réduction a un caractère d’ordre public (Beignier B., Torricelli-Chrifi S., Libéralités et successions, oct. 2022) (7).

Cet ordre de réduction n’étant que l’ordre d’imputation inversé, on se reportera à ce qui a été dit à ce sujet dans le fascicule précédent. Il convient en revanche d’envisager ici comment elle s’exécute puisque la réduction en valeur se traduit par une indemnité équivalente à “la portion excessive de la libéralité” (Code civil, article art. 924, al. 1er) versé par le gratifié (donataire ou légataire) aux héritiers réservataires, il est nécessaire de commencer par en chiffrer le montant.

L’article 924-2 in limine du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 23 juin 2006, fixe en ces termes la règle applicable :

Le montant de l’indemnité de réduction se calcule d’après la valeur des biens donnés ou légués à l’époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet.

Si le bien donné ou légué est l’objet d’une libéralité qui s’impute entièrement sur la réserve des héritiers, il doit faire l’objet d’une réduction totale et, par conséquent, c’est sa valeur entière qui doit être prise en considération. Or, puisqu’il résulte de l’article 924-2, précité, que l’évaluation doit se faire à l’époque du partage, donc au moment présent, c’est cette valeur actuelle qui est prise en compte. La solution est donc simple.

La solution est moins évidente lorsque la libéralité s’impute pour partie sur la quotité disponible et pour le surplus sur la réserve. Sans doute est-il certain que, dans ce cas, la réduction doit être simplement partielle, mais il faut alors savoir comment la pratiquer. Or, deux systèmes sont concevables : ou bien celui de la réduction arithmétique ou bien celui de la réduction proportionnelle.

Dans le système de la réduction arithmétique, on retient uniquement le montant du dépassement de la quotité disponible évalué au moment du décès. Au contraire, dans le système de la réduction proportionnelle, l’évaluation du montant du dépassement se fait à l’époque du partage.

 

SOURCES :

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000035924991&fastReqId=470809297&fastPos=1
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007010889&fastReqId=563712937&fastPos=1
  3. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036635142&fastReqId=1937499425&fastPos=1
  4. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000034086881&fastReqId=1758198858&fastPos=1
  5. https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CAPARIS-14122022-21_08772?em=Cour%20d%27appel%20de%20paris%2C%20P%C3%B4le%203%20-%20Chambre%201%2C%2014%20d%C3%A9cembre%202022%2C%20%2021%2F08772
  6. https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CAANGERS-08122022-19_00574em=Cour%20d%27appel%20de%20angers%2C%201%C3%A8re%20Chambre%20section%20B%2C%208%20d%C3%A9cembre%202022%2C%20%2019%2F00574
  7. Beignier B., Torricelli-Chrifi S., Libéralités et successions, oct. 2022
  8. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043982285

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