Legs ou don en usufruit : la réserve héréditaire est-elle respectée ?

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L’atteinte à la réserve héréditaire doit s’apprécier en imputant le legs en usufruit sur la quotité disponible, non après conversion en valeur pleine propriété, mais en assiette (1).

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Aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi (C. civ., art. 913). La libéralité faite hors part successorale s’impute sur la quotité disponible. L’excédent est sujet à réduction (C. civ., art. 919-2).

De ces textes, la Cour de cassation en déduit que les libéralités faites en usufruit s’imputent en assiette.

En l’espèce, pour rejeter la demande en réduction du legs de l’usufruit d’un immeuble, la cour d’appel a retenu que la valeur de l’usufruit du bien immobilier légué, estimé à soixante pour cent de sa valeur en pleine propriété, était inférieure au montant de la quotité disponible.

En statuant ainsi, alors que l’atteinte à la réserve doit s’apprécier en imputant le legs en usufruit sur la quotité disponible, non après conversion en valeur pleine propriété, mais en assiette, la cour d’appel a violé les textes susmentionnés.

La quotité disponible et la réserve sont calculées en appliquant à la masse de calcul formée dans les conditions indiquées ci-dessus la fraction d’hérédité fixée par la loi en fonction de la qualité et du nombre des héritiers.

Ces chiffres obtenus, la quotité disponible et la réserve sont connues ; il est alors possible d’examiner si le défunt a, de son vivant ou par testament, pris des dispositions qui s’inscrivent dans la fraction de ses biens dont il pouvait disposer ou si, l’excédant, il a empiété sur la fraction réservée aux héritiers réservataires, exposant ainsi les gratifiés à la réduction.

Imputer une libéralité, c’est comparer son montant nominal soit avec la quotité disponible, soit avec la réserve.

Toutes les libéralités ne s’imputent pas sur la quotité disponible : par certaines libéralités, le plus souvent des donations, et plus exceptionnellement des legs, le défunt a pu vouloir remplir de façon anticipée l’un de ses héritiers réservataires de sa part de réserve. Cela conduit à une imputation de la libéralité sur la part de réserve de ce gratifié.

Si le défunt a consenti plusieurs libéralités, il convient de déterminer leur ordre d’imputation. Cet ordre déterminé, chaque libéralité sera imputée soit sur la réserve, soit sur la quotité disponible, en fonction de sa nature (donation ou legs), de son caractère (hors part successorale ou en avancement de part successorale) et parfois de la qualité du gratifié (réservataire ou non-réservataire).

Lorsque, au nombre des bénéficiaires des libéralités, figure le conjoint survivant, cette circonstance introduit un facteur de complexité en raison de la quotité disponible spéciale dont bénéficie ce dernier. Il convient alors de combiner la quotité disponible ordinaire et la quotité disponible spéciale entre époux.

En outre, la technique liquidative de l’imputation se heurte à une difficulté lorsqu’il s’agit de comparer des droits de nature différente. Comment soustraire un droit d’usufruit ou de nue-propriété d’une réserve ou d’une quotité disponible qui sont, elles, en pleine propriété ?

Dans l’absolu, deux méthodes sont envisageables

La première, dite « imputation en assiette » (ou « imputation en nature de droit »), consiste à imputer la totalité de l’assiette de la libéralité sur la partie démembrée de même nature (usufruit ou nue-propriété) du secteur d’imputation qui lui correspond (réserve ou quotité disponible). Autrement dit, on impute, par exemple, une libéralité hors part en usufruit sur l’usufruit de la quotité disponible. On verra que c’est la seule méthode valide.

La seconde, dite « imputation après conversion », consisterait à convertir le droit démembré en valeur pleine propriété, avant de l’imputer. Elle est à exclure, car elle porterait atteinte à la réserve en sous-estimant la portée véritable de la libéralité en démembrement, dont la valeur est notamment tributaire de l’âge de l’usufruitier.

 

I. Faveur pour l’imputation en assiette

Si la solution de la cour d’appel avait prospéré, la réserve aurait perdu sa substance. Lorsque la réserve est en pleine propriété, la libéralité en usufruit ne devrait pouvoir occuper qu’un seul espace au moment de l’imputation, à savoir l’usufruit de la quotité disponible. (2)

Avec l’imputation en assiette, on se rend compte, en l’espèce que l’usufruit légué dépasse la quotité disponible. La chose se voit aisément dans l’hypothèse où le bien légué est le seul bien du de cujus : concéder l’usufruit sur ce bien empiétera forcément sur la réserve de l’héritier qui doit être en pleine propriété.

En opérant une conversion en valeur de l’usufruit, on transforme la libéralité en usufruit en libéralité en pleine propriété et on change alors le secteur d’imputation au sein de la quotité disponible. Et l’on peut aboutir, comme au cas d’espèce, à faire en sorte que ce qui dépassait en usufruit sur la réserve soit relogé au sein de la quotité disponible, dans la partie en nue-propriété.

En faveur de l’imputation en assiette, il a pu être ajouté qu’elle était plus protectrice de la volonté du disposant : « en effet la conversion peut aboutir à un résultat que n’a pas voulu le disposant, savoir lui interdire de disposer par ailleurs de la nue-propriété de la quotité disponible ».

En doctrine, la difficulté était perçue et, pour les écrits les plus récents, l’imputation en assiette semble l’emporter.

 

II. Conséquences de l’atteinte à la réserve

La libéralité étant en l’espèce en usufruit et dépassant la quotité disponible, se pose la question de la réduction. Elle est en effet quelque peu aménagée par l’article 917 du Code civil relatif aux libéralités en usufruit (nous admettrons ici que les conditions d’application de l’article, du reste peu certaines, semblent remplies).

Le réservataire aura le choix : ou subir l’usufruit pour récupérer au décès de sa belle-mère l’entière propriété de la maison, ou agir en réduction et abandonner alors l’entière propriété de la quotité disponible au gratifié. Rappelons à cet égard que la manière d’imputer les libéralités effectuées en usufruit a pu être liée à la compréhension de l’article 917 du Code civil, à la détermination de sa raison d’être.

Alors que l’option a pu être fondée sur l’idée qu’il était difficile d’évaluer les droits viagers, autrement dit qu’il était difficile d’évaluer la valeur d’un usufruit, il en avait été tiré la conséquence qu’il importait d’évaluer la libéralité en usufruit pour l’imputer, c’est-à-dire de la convertir.

Ainsi, lorsque l’article 917 du Code civil était fondé sur « les difficultés d’estimation des droits viagers » avait « ainsi été favorisée une interprétation restrictive et contestable du texte dans l’idée erronée que l’imputation et la réduction des libéralités faites en démembrement de propriété nécessiteraient leur conversion, alors qu’elles devraient être prises telles qu’elles, l’excédent étant caractérisé dès lors que l’assiette dépasse les limites de la quotité disponible ».

La présente solution devrait mettre définitivement fin aux hésitations puisqu’elle affirme clairement qu’il importe d’imputer la libéralité d’un usufruit en assiette, sans procéder à une quelconque conversion. C’est donc sur l’autre fondement de l’article 917 du Code civil qu’il importe désormais de se concentrer, à savoir l’équité.

Si le réservataire doit choisir entre, d’une part, la réduction et l’abandon de la quotité disponible et, d’autre part, le maintien de la libéralité en usufruit, c’est pour éviter qu’il cumule et la pleine propriété de sa réserve (conséquence de l’action en réduction classique) et la nue-propriété du disponible (conséquence du fait que la libéralité ne porte que sur l’usufruit du disponible). Comme cela a été parfaitement expliqué : « c’est dans l’équité que l’article 917 trouve son fondement.

La loi ne veut pas que le réservataire puisse tout à la fois imposer un retranchement au gratifié afin d’être rempli de sa réserve et recevoir une partie de la quotité disponible : qu’il puisse en même temps réclamer ce que le de cujus ne pouvait lui retirer et conserver ce dont il aurait pu le priver.

Dans le cas, donc, où l’exécution de la libéralité aboutirait à ce qu’il recevrait, non pas moins, mais autre chose que sa réserve, la sanction se nuance : s’il veut sa réserve, il l’aura mais rien de plus. Les intérêts en présence sont ainsi conciliés : la réserve au réservataire, le disponible au gratifié » (3).

C’est dire que la solution de la Cour de cassation devrait permettre de jeter des rayons de clarté sur toute la méthode liquidative en présence d’une libéralité en usufruit et d’abandonner, à cet endroit du moins, toute conversion en capital ou encore, c’était une autre conséquence de la lecture désormais obsolète de l’article 917 du Code civil, toute référence aux revenus générés par l’usufruit.

Fallait-il pour autant viser l’article 917 du Code civil ? Il nous semble que non. L’article 917 du Code ne traite pas du calcul de la réserve, mais des conséquences de l’atteinte à celle-ci, autrement dit des modalités de la réduction.

Or tel n’était pas le problème au cas présent visiblement et ça aurait été sans doute nourrir les confusions que de mentionner cet article. Il importe, en effet, de bien distinguer les modalités d’imputation de la libéralité en usufruit, qui devrait toujours se faire en assiette, des conséquences de l’atteinte à la réserve par une telle libéralité, qui dépendront de la mise en œuvre ou non de l’article 917 du Code civil ; quand bien même jusqu’alors il pouvait arriver que le jeu de cet article fût utilisé à contre-courant et dictât les modalités d’imputation de la libéralité.

Si la solution rendue permet sans doute de mettre les choses en ordre, le système ne saurait malgré tout être totalement cohérent avec la généralisation de la réduction en valeur. Jusqu’ici, pour mesurer l’atteinte à la réserve, le raisonnement est tenu, à juste titre, en considérant que la réserve est une part de la succession, en nature, en pleine propriété.

Mais au moment de sanctionner l’atteinte à la réserve ce ne sont plus des droits en pleine propriété sur les biens de la succession qui sont obtenus (on écarte ici l’option du réservataire qui laisserait la libéralité en usufruit s’accomplir pour se contenter, temporairement de la nue-propriété) mais une somme d’argent.

Ainsi, d’une part, l’héritier n’accède en définitive pas à la pleine propriété du bien et, d’autre part, pour calculer cette indemnité il conviendra de convertir l’usufruit.

L’indemnité de réduction viendra en effet donner à l’héritier l’équivalent en valeur de la portion d’usufruit qui dépasse sur sa réserve (pour reprendre l’analogie précédemment exploitée : le voisin reçoit la valeur du morceau de toit qui empiète, mais l’empiètement demeure).

On comprend que Michel Grimaldi interpelle ses lecteurs de la sorte : « il faudrait s’interroger sur la cohérence d’un système où la conversion de l’usufruit est repoussée [écartée] au stade de la détection des libéralités réductibles, mais acceptée à celui de leur réduction ».

 

Sources :

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045967920?init=true&page=1&query=20-23.215&searchField=ALL&tab_selection=all
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000038238568?init=true&page=1&query=18-11.640+&searchField=ALL&tab_selection=all
  3. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037196676?init=true&page=1&query=17-16.515&searchField=ALL&tab_selection=all

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