Lorsque la tontine est une donation déguisée : rapport à succession

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La tontine s’apparente à un placement à long terme. La clause de tontine peut directement être insérée dans l’acte de vente d’un bien immobilier.

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La clause de tontine aussi appelée « clause d’accroissement » de « réversion », de « condition de survie » ou pacte tontinier, permet de régler le sort de la propriété d’un bien au décès des divers contractants qui en sont parties et, parfois même, d’en attribuer la jouissance viagère à l’un d’eux, qu’importe que ce dernier soit un héritier ou non. Le recours à la tontine peut se faire à l’occasion de l’achat d’un bien immeuble ou pour autre bien.

Selon Pierre Mazeaud, c’est un acte par lequel « chaque partie a payé d’un risque qu’elle consentait la chance qu’elle espérait ». Cependant, la tontine se distingue du pari, car c’est un acte de protection du survivant voulu par les deux parties. En effet, le pacte tontinier est fondé sur le plan juridique pour chaque partie sur une condition suspensive de survie et résolutoire de prédécès.

C’est pourquoi elle est souvent pratiquée à l’occasion de l’achat d’un bien immobilier par des époux séparés de biens ou deux concubins, pacsés ou non, afin d’anticiper leur décès et les conséquences de la succession qui pèsent sur le partenaire survivant. À titre indicatif, il existe deux types de tontines. On peut citer d’une part la tontine immobilière et d’autre part la tontine financière.

Nous nous pencherons à travers cet article exclusivement sur la tontine immobilière.

La tontine immobilière offre de multiples avantages (I) sous réserve de respecter certaines conditions (II). Il arrive que cette clause soit requalifiée (III) ou qu’elle soit privée de son efficacité en raison d’une séparation survenue dans la vie conjugale (IV), ce qui emporte diverses conséquences.

 

I. Les avantages du pacte tontinier

  • Avantage n° 1 = Le bien ne tombe pas dans la masse successorale

Ainsi, cette clause garantit au survivant signataire la propriété de la totalité du bien, comme s’il en avait toujours été le seul propriétaire. Les héritiers du de cujus ne pourront prétendre à aucun droit sur ledit bien. Cette opération a pour objectif de sécuriser la situation du conjoint survivant.

Précision. En raison du fondement juridique inhérent au mécanisme du pacte tontinier, il semble inenvisageable de restreindre celui-ci à la seule jouissance de l’usufruit du bien, étant donné que la nue-propriété est acquise conjointement par les coacquéreurs. En effet, le pacte tontinier ne confère pas au survivant un droit exclusif sur une fraction de l’héritage du défunt préalablement décédé, mais octroie à chaque acquéreur la pleine propriété du bien acquis à compter de sa date d’acquisition, sous la condition suspensive du décès de son cocontractant.

  • Avantage n° 2 = L’exonération du paiement des droits de succession dans certains cas

L’avantage principal de la tontine réside dans son régime fiscal. Les biens immobiliers acquis par un pacte tontinier ne sont pas soumis à l’impôt sur la fortune immobilière. Il faut toutefois noter que la partie survivante de la tontine n’est pas exemptée de droit de succession.

Pour limiter l’évasion fiscale résultant du recours aux pactes tontiniers, qui constituait un moyen d’éluder le paiement des droits de succession, l’article 69 de la loi de finances pour 1980 (L. n° 80-30, 18 janv. 1980), codifié à l’article 754 A du CGI, a assujetti par principe aux droits de mutation à titre gratuit les biens recueillis en vertu d’une clause de tontine insérée dans un contrat d’acquisition en commun.

Selon les dispositions de l’article 754 A du Code général des Impôts « Les biens recueillis en vertu d’une clause insérée dans un contrat d’acquisition en commun selon laquelle la part du ou des premiers décédés reviendra aux survivants de telle sorte que le dernier vivant sera considéré comme seul propriétaire de la totalité des biens sont, au point de vue fiscal, réputés transmis à titre gratuit à chacun des bénéficiaires de l’accroissement.

Cette disposition ne s’applique pas à l’habitation principale commune à deux acquéreurs lorsque celle-ci a une valeur globale inférieure à 76 000 €, sauf si le bénéficiaire opte pour l’application des droits de mutation par décès. »

L’acquéreur survivant devra donc payer des droits de mutation à titre gratuit, calculés sur le degré de parenté qu’il entretient avec le défunt et la valeur de la part qu’il recueille. Ces droits sont gratuits entre époux et partenaires pacsés cependant ils s’élèvent à 60 % entre concubins.

À ce principe, il existe toutefois une exception. Ainsi, quand le bien constitue la résidence principale des acquéreurs au moment du décès et que sa valeur est inférieure à 76 000 €, le survivant ne paie que des droits de mutation à titre onéreux (soit le taux maximum légal de 5,81 %) ».

Explications. Le pacte tontinier juridiquement assimilé à un contrat conclu à titre onéreux. Selon cette qualification, les parts transmises au survivant devraient logiquement être soumises aux droits de mutation à titre onéreux, et non aux droits de succession (droits de mutation à titre gratuit).

Cependant fiscalement elle revêt une qualification différente. Afin d’éviter les fraudes et autres abus, l’administration a soumis la tontine aux règles fiscales des successions.

Précisions. La loi TEPA du 21 août 2007, également appelée “paquet fiscal”, applicable aux décès survenus à compter du 22 août 2007 a bouleversé l’économie de cette disposition en exonérant totalement certains successeurs : conjoint survivant, partenaire survivant, frères et sœurs vivant sous le même toit de droits de succession.

À défaut d’adaptation par l’Administration de sa doctrine, l’article 754 A pouvait conduire à des taxations incohérentes aux termes desquelles un successeur pourtant totalement exonéré de droits de succession pouvait se trouver redevable des droits de mutation à titre onéreux en vertu du deuxième alinéa, pourtant censée constituer une mesure de faveur.

L’article 33 de la loi de finances pour 2010 (L. n° 2009-1673, 30 déc. 2009) a mis un terme à ces situations incohérentes en offrant au tontinier survivant, aux termes du nouvel article 754 A, alinéa 2, du CGI, la faculté d’opter pour les droits de mutation à titre gratuit, afin de bénéficier de l’exonération de droits de succession instaurée à son profit.

 

II. Les conditions de validité de la clause de tontine

Pour la valider et en admettre l’irrévocabilité entre époux et entre concubins, la Cour de cassation a parfois qualifié cette tontine de contrat aléatoire (Civ. 1re, 3 févr. 1959). Un contrat est aléatoire lorsque ses effets dépendent « d’un événement incertain ».

Ainsi, pour être valable, la clause de tontine doit respecter certaines conditions. La première étant que tous les acquéreurs doivent financer le bien de manière équivalente tandis que la deuxième condition repose sur l’espérance de vie. Celle-ci doit être similaire pour chacun des acquéreurs. Enfin ce pacte devra se fonder sur l’existence d’un aléa et non sur un évènement prévisible.

A. Le financement du bien

La validité du pacte tontinier est subordonnée à la participation égalitaire des acquéreurs. Un déséquilibre significatif des apports lors de l’achat peut donc conduire à la requalification de cette opération en donation déguisée. En revanche, ce principe supporte des exceptions.  Ainsi, une différence dans le montant de la participation peut se justifier si un contrat antérieur lie les parties (le remboursement d’un prêt par exemple) ou si le plus jeune des acquéreurs supporte la charge la plus importante du prix, en raison de son espérance de vie plus longue. (CA Montpellier, 3 mai 2012, n° 11/00002).

Cependant, le déséquilibre dans le financement doit être expliqué clairement, de manière précise et circonstanciée.

Risques.  Si les acquéreurs ne s’entendent plus (ou souhaitent se séparer), ils peuvent décider de vendre le logement ou se mettre d’accord pour que l’un d’eux rachète la part de l’autre. L’unanimité est dans ce cas nécessaire, car, à l’inverse de ce qui se passe dans l’indivision, les acquéreurs ne peuvent provoquer le partage en justice, ni même exiger la vente du logement. L’application de l’article 815 du Code civil est donc vaine. De plus, aucun nouveau partenaire ne peut entrer dans la tontine sans l’unanimité des parties déjà présentes.

B. L’espérance de vie des acquéreurs

En plus de l’obligation de financement à parts égales, les acquéreurs doivent avoir une espérance de vie similaire.

Cependant, la jurisprudence a reconnu que la différence d’âge entre les intéressés n’altère pas nécessairement la clause du caractère aléatoire exigé pour sa validité (Cass. 1re civ., 11 janv. 1983, n° 81-16.307). Par une interprétation souveraine, les juges du fond ont pu estimer que la différence d’âge n’était pas de nature à faire reconnaître une absence d’aléa.

En revanche, il a été jugé que la différence d’âge de 15 ans qui aurait pu ne pas être significative, en elle-même, était accompagnée d’une disparité dans les chances de survie des intéressés, en raison de leur état de santé respectif et entraînait la nullité de la clause de tontine. Mais, la jurisprudence a aussi pu estimer qu’une différence d’âge de 18 ans n’excluait pas l’aléa.

Enfin, si l’un des acquéreurs a connaissance que l’autre est atteint d’une maladie dont l’issue ne peut être que fatale, le caractère aléatoire ne sera pas retenu.

Ces conditions ont vocation à limiter les abus qui pourraient être commis sous l’égide d’un pacte tontinier. En effet, il serait alors facile pour des grands-parents de procéder à un achat en tontine avec leurs petits-enfants, afin que ces derniers deviennent propriétaires du bien au terme de la tontine.

C. L’existence d’un aléa

La validité du pacte tontinier repose sur l’existence d’un élément aléatoire.
Chacun des acquéreurs doit contribuer financièrement de manière équitable à l’opération, sans déséquilibrer les probabilités de survie des parties impliquées. Si ces conditions ne sont pas remplies, l’opération peut être requalifiée en tant que libéralité, avec toutes les implications juridiques qui en découlent, telles que la réduction ou le rapport à la succession du prédécédé. Ainsi une clause de tontine dépourvue d’aléa est assimilée à une donation déguisée. Dans cette situation, l’opération vise à dissimuler une donation afin d’éviter les réglementations fiscales en matière de succession (Comité de l’abus de droit fiscal (CADF), avis sur l’affaire n° 2021-08, 6 mai 2021). Autrement dit, cela est constitutif d’un abus de droit.

Pour l’administration fiscale, lorsqu’un contribuable réalise un acte ayant un caractère fictif ou pris uniquement dans le but d’éluder ou d’atténuer l’impôt, il commet un abus de droit.

En revanche, si l’acte est valable, il est à l’abri d’une contestation ultérieure fondée sur l’atteinte à la réserve des héritiers.

Remarques sur la rédaction de la clause. La clause de tontine devra préciser les quotes-parts de chacune des parties et fixer un terme à la tontine. Ce peut être soit au décès d’un certain nombre de parties, soit lorsqu’il ne reste plus qu’un survivant.
Il est important de ne pas oublier d’insérer un mécanisme de résolution des conflits, médiation par exemple. Pour rappel, la tontine est un mécanisme contractuel par conséquent elle ne fait pas l’objet d’un enregistrement ou d’une déclaration officielle.

III. La requalification du pacte tontinier

A. Les conséquences de la requalification

A l’occasion d’un arrêt rendu le 12 janvier 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 12 janv. 2022, n° 20-12.232) souligne que lorsque la clause de tontine insérée dans l’acte d’achat du bien immobilier s’avère être une donation déguisée du défunt en faveur de sa partenaire, cette donation se retrouve soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l’article 758-6 du Code civil.

Dans l’affaire étudiée, le défunt laisse pour lui succéder le 27 juin 2013 son épouse et ses deux enfants issus d’un précédent mariage. Par acte du 2 mai 2013 contenant un pacte tontinier, il avait acquis un appartement avec son épouse. Des difficultés surviennent lors des opérations de partage de la succession.

L’arrêt d’appel (CA Colmar, 19 déc. 2019) ordonne le rapport à la succession de la donation déguisée au profit de l’épouse, constituée par le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel. Selon l’article 758-6 du Code civil, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1.
Aussi, il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du Code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6. La cour d’appel ayant retenu que le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement constituait une donation déguisée du défunt en faveur de son épouse, il s’ensuit que cette donation est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l’article 758-6 du Code civil.

Le rapport. Pour rappel, le rapport est une opération qui repose sur l’intention légalement présumée du disposant. Le rapport civil consiste à réintégrer fictivement dans le patrimoine du défunt les donations passées. Les bénéficiaires des donations n’ont pas à rendre les biens reçus. C’est leur valeur qui est ajoutée au patrimoine du défunt. Son principal objectif est donc de rétablir l’égalité du partage tout en préservant la sécurité du gratifié et de ses ayants cause. Elle s’applique aux donations notariées, déguisées, indirectes. Il revient aux héritiers qui allèguent l’existence d’une donation déguisée d’apporter la preuve que les donateurs ont financé avec une intention libérale l’acquisition du bien dont ils demandent le rapport (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-10.960).

Il convient de rappeler qu’au contraire, le legs fait à un héritier est réputé hors part successorale (article 843 du Code civil).

B. Notion d’abus de droit

Jusqu’au 1er janvier 2021, uniquement les actes fictifs ou ceux conçus dans le seul but d’échapper ou de réduire les charges fiscales pouvaient être soumis à des poursuites dans le cadre d’une procédure pour abus de droit (conformément à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales). Depuis le 1er janvier 2021, pour les actes réalisés à partir du 1er janvier 2020, la notion d’abus de droit englobe également les actes principalement motivés par des considérations fiscales (conformément à l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales).

Mutation à titre gratuit. On parle de « mutation à titre gratuit » quand la propriété d’un bien immobilier est transférée sans aucune contrepartie financière. Seule la volonté du propriétaire s’exprime, le bénéficiaire n’a aucun rôle actif et ne fait que recevoir la mutation.
Un transfert de propriété est dit « à titre gratuit » lorsqu’il s’agit d’une donation, d’une succession, d’un partage de communauté conjugale, ou encore d’un apport de biens à un trust.

La notion de « mutation à titre gratuit » est fréquemment utilisée en droit de la propriété et de la famille. Ce mécanisme permet notamment d’échapper à l’impôt sur les plus-values immobilières.

 

IV. Conséquence de la séparation des époux

Lorsque des époux acquièrent ensemble un bien immobilier en insérant une clause d’accroissement dans l’acte d’achat, et qu’ils se séparent ensuite, seul celui qui occupe le bien ainsi acquis, devra une compensation à son ancien partenaire, car la jouissance exclusive du bien reste « pendente conditione » en attendant le partage (Civ. 1re, 9 nov. 2011, no 10-21.710).

 

SOURCES :

  1. La revue fiscale du patrimoine n° 2, février 2022, 35 – Droits d’enregistrement – Requalification d’un pacte tontinier en donation déguisée et rapport des libéralités (Lexis)
  2. François Fruleux – Champ d’application des droits de succession – le 30 septembre 2022 (Lexis)
  3. Fabrice Collard – Fascicule 40 : Rapport à succession – le 31 mai 2020 (Lexis)
    Article 758-5 du Code civil :
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006431275
  4. Article 758-6 du Code civil : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006431280/
  5. https://www.immobilier.notaires.fr/fr/conseil-immobilier?idConseil=121
  6. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34128

 

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