Une saisie est-elle possible lors de la vente d’un bien successoral ?
L’indivision suppose la coexistence de droits de même nature sur un même bien. Elle peut ne porter que sur une partie des droits des intéressés (1). Ainsi, il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente (2). Aucune indivision en usufruit n’existe entre l’héritier qui recueille 1/4 en pleine propriété et la totalité de l’usufruit et l’autre qui est nu-propriétaire des 3/4 de la succession (3).
En revanche, entre des usufruitiers, une indivision sur un même bien ou une même masse de biens peut exister. Entre le plein propriétaire et le nu-propriétaire d’une quote-part de biens indivis naît également une indivision en nue-propriété et entre le plein propriétaire et l’usufruitier de quote-part, une indivision en usufruit, car la pleine propriété comprend, dans son principe, usufruit et nue-propriété.
Ainsi, il existe une indivision en nue-propriété entre le conjoint survivant, plein propriétaire de la moitié des biens communs et usufruitier de l’autre moitié et un héritier recueillant la nue-propriété de l’autre moitié (4).
L’usufruit est défini à l’article 578 du Code civil comme “le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance”. La répétition du mot “propriété” suscite d’emblée la comparaison.
Le droit de propriété est le droit « le plus » complet, « le plus » absolu (pour reprendre la redondance de l’article 544 du Code civil), constitué de la réunion des trois prérogatives : l’usus, le fructus et l’abusus. En revanche, l’étymologie d’usufruit révèle son contenu : usufruit égale usus plus fructus (G. Mémeteau, Droit des biens : Bruylant, coll. Paradigme, 2018).
L’usufruitier ne détient qu’un droit atrophié, amputé par rapport au propriétaire. Il détient l’usus et le fructus, malgré la lettre minimaliste du texte qui évoque seulement “le droit de jouir”. Par exemple, l’usufruitier peut habiter une maison, cultiver les terres, exercer une servitude et généralement tous les droits dont le propriétaire peut user, de la même manière que le propriétaire lui-même, à charge d’en conserver la substance. De plus, l’usufruitier peut jouir de tous les fruits naturels, industriels ou civils produits par la chose, il peut les recueillir, les percevoir, les consommer, les dépenser ou les conserver librement.
Mais, alors que reste-t-il au maître de la chose ? Le maître ne conserve que l’abusus, mais un abusus dépouillé, qui ne lui permet plus de disposer absolument et physiquement de sa chose (en la détruisant), qui lui permet seulement d’en disposer juridiquement (en la vendant).
La terminologie de nu-propriétaire évoque ce dépouillement du maître. Cette définition de l’usufruit, qui recèle « en quelques mots, l’entier droit de l’usufruit » est immuable. Résistant aux évolutions (d’esprit, de contexte, d’objet) et propositions (article 575 de l’avant-projet de réforme du droit des biens), l’usufruit qu’elle définit présente, pourtant, autant d’intérêts que d’inconvénients.
Quels sont les caractères de l’usufruit ? Quelle est la portée de l’arrêt de la Cour de cassation, 1re chambre civile du 15 mai 2019 ?
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I. Caractères de l’usufruit
A. Caractère démembré
Le démembrement consiste, pour un propriétaire, à dissocier les utilités de sa chose (usus, fructus, abusus) afin de réaliser un partage de ces utilités entre lui et un tiers. On parle de démembrement, car « l’usufruitier et le nu-propriétaire sont respectivement titulaires d’une partie des prérogatives du propriétaire », le premier détient l’usus et le fructus et le second détient l’abusus. Pourtant, cette présentation classique de l’usufruit est contestée.
Les droits dissociés « ne constituent pas des fractions de (la propriété), dont l’addition serait égale au tout que serait la propriété pleine et entière ».
« Quantitativement, l’usufruitier a moins de pouvoir que le propriétaire n’en perd… ; quant au nu-propriétaire, il a moins de pouvoir que ce qu’il aurait si son droit était ce qu’il reste de la propriété après ablation de l’usus et du fructus ». L’usus et le fructus de l’usufruitier ne sont pas identiques à ceux du droit de propriété. L’usufruitier, qui doit jouir “raisonnablement” (Code civil article 601) ne reçoit pas « l’hypothétique droit de jouissance du propriétaire […], mais un droit original » (F. Zenati, Essai sur la nature juridique de la propriété, contribution à la théorie du droit subjectif : Thèse 1981, p. 439).
L’abusus du nu-propriétaire n’est pas, non plus, identique à celui du droit de propriété. Le nu-propriétaire a un droit de disposer dépouillé… Certains préféreront l’idée d’une « propriété temporaire » ou d’une « charge réelle grevant le bien d’autrui » (N. Kilgus, thèse préc. n° 3, spéc. n° 137).
Pourtant, « l’idée de démembrement […] n’est pas contraire à la réalité, si l’on admet qu’elle est plus une image que l’expression d’une vérité physique » (F. Terré, Ph. Simler, préc., spéc. n° 771).
Si la nature réelle de l’usufruit est parfaitement concevable lorsqu’il porte sur des biens corporels, car l’usufruitier a un lien direct et immédiat avec le bien-objet de l’usufruit, cette nature paraît discutable lorsque l’usufruit porte sur des biens incorporels, car leur incorporalité complique ou empêche l’existence d’un lien direct et immédiat entre l’usufruitier et le bien. L’usufruit d’une créance constituerait tantôt une énigme, posant un problème « d’agencement des droits subjectifs », tantôt un « monstre juridique, une impossibilité rationnelle absolue.
Elle est évocatrice et pragmatique, puisque l’usufruitier a la qualité pour suivre sa créance, agir en recouvrement.
L’usufruit étant un droit réel, le droit de l’usufruitier est opposable à tous, aux créanciers du nu-propriétaire, à l’acquéreur de la nue-propriété (5). Le droit de l’usufruitier comporte un droit de suite et un droit de préférence, car l’usufruitier peut exercer son droit sur la chose en quelques mains qu’elle passe…
Le droit de l’usufruitier est mobilier ou immobilier selon son objet. Si son droit porte sur un immeuble, l’usufruit a le caractère d’un droit réel immobilier, il faudra (lors de sa création ou de sa mutation) satisfaire aux formalités de la publicité foncière et dresser un acte authentique.
Si son droit porte sur un meuble immatriculé (navire, bateau, aéronef, fonds de commerce…), l’usufruit a le caractère d’un droit réel mobilier, il devra, néanmoins, être publié conformément aux textes qui régissent ces biens.
« Le droit d’usufruit étant un droit réel qui se détache (du bien) lui-même et constitue, au profit de celui auquel il est conféré, une véritable propriété dont il a la libre disposition », l’usufruitier peut le grever, le céder, le posséder, le revendiquer ou le protéger. En effet, l’usufruitier peut inscrire un gage ou une hypothèque sur son droit (même si cette sûreté réelle est rare et fragile, en raison du caractère viager du droit), sauf s’il s’agit de garantir son droit.
En revanche, l’usufruitier n’étant pas créancier du nu-propriétaire, il ne peut inscrire d’hypothèque sur un bien appartenant au nu-propriétaire pour garantir son usufruit (6). L’usufruitier peut céder ou usucaper son usufruit. L’usufruit étant susceptible de possession, l’usufruitier peut l’acquérir par prescription trentenaire, peut-être en joignant sa possession à celle de son auteur ou par prescription abrégée, s’il justifie d’un juste titre et d’une possession de bonne foi.
En revanche, l’usufruitier ne peut pas prescrire la propriété, sauf s’il intervertit son titre (Code civil, article 2268). L’usufruitier peut revendiquer son usufruit, en exerçant l’action pétitoire (7), plus spécialement l’action confessoire, si son bien-objet de l’usufruit est usurpé par un tiers. L’usufruitier peut protéger son usufruit par le référé possessoire, si sa jouissance est troublée.
B. Caractère temporaire
L’usufruit a un caractère viager, car, lorsqu’il est consenti à une personne physique, il s’éteint de plein droit à sa mort (ou en cas d’absence, à partir de la transcription du jugement déclaratif d’absence, qui emporte “tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus” : Code civil, article 128.
Si, par extraordinaire, l’absent venait à réapparaître, il retrouverait ses droits. Si, la procédure d’absence a été diligentée de bonne foi, l’absent retrouverait le bénéfice de l’usufruit jusqu’à sa mort et recouvrerait “ses biens et ceux qu’il aurait dû recueillir pendant son absence dans l’état où ils se trouvent, le prix de ceux qui auraient été aliénés ou les biens acquis en emploi des capitaux ou des revenus échus à son profit” : Code civil, article 130.
Si la procédure d’absence a été engagée de mauvaise foi par le nu-propriétaire [en sachant que l’usufruitier n’était pas mort], l’absent pourrait exiger de celui “qui a provoqué par fraude une déclaration d’absence […] de restituer [lui] les revenus des biens dont [il] aura eu la jouissance et de lui en verser les intérêts légaux à compter du jour de la perception, sans préjudice, le cas échéant, de dommages-intérêts complémentaires” : Code civil, article 131).
Calqué sur la durée de vie, l’allongement de la durée de vie engendre d’autant l’allongement de la durée de l’usufruit et risque d’accroître l’impécuniosité de l’usufruitier, l’impatience du nu-propriétaire et une lassitude, de part et d’autre, dans la gestion. Il est alors possible d’imaginer un usufruit plus court, voire, plus étonnant, plus long.
L’usufruit plus court l’usufruit est consenti à une personne physique, la loi ou les parties peuvent assigner une durée moindre que la durée de vie de l’usufruitier. L’usufruit peut être accordé « pour un temps » déterminé (Code civil, article 617, al. 3), jusqu’à l’âge d’un tiers (Code civil, article 620), jusqu’aux 16 ans ou jusqu’à l’émancipation par mariage de l’enfant (Code civil, article 386-2). Ces termes déterminés sont alternatifs, car l’usufruit s’éteint avant ces termes, si l’usufruitier décède avant.
Lorsque l’usufruit est constitué au profit d’une personne morale, une fiction aurait pu transposer le caractère viager de l’usufruit aux personnes morales et l’éteindre à leur dissolution.
Mais, ce terme excessivement lointain (99 ans) risquant de raviver le spectre des usufruits perpétuels, la loi assigne une durée plus courte. L’article 619 du Code civil dispose en substance que l’usufruit accordé à une personne morale “ne dure que trente ans”. La question se pose de savoir si ce texte est supplétif, auquel cas les parties peuvent stipuler des durées plus longues.
L’usufruit plus long peut être consenti sur plusieurs têtes, au profit de plusieurs usufruitiers, à condition qu’ils existent tous au jour de l’ouverture de l’usufruit. Cette condition d’existence au jour de la naissance de l’usufruit permet d’éviter un terme excessivement lointain (s’il était possible de désigner tous les héritiers à venir de l’usufruitier, un tel usufruit ne s’éteindrait que dans le cas hypothétique où la famille de l’usufruitier, ravivant le spectre des usufruits perpétuels.
L’usufruit plural, sur la tête d’au moins deux usufruitiers est, néanmoins, plus long, qu’il s’établisse simultanément [lorsque les usufruitiers exercent conjointement ou concurremment leur droit] ou successivement [lorsque les usufruitiers profitent exclusivement de l’usufruit selon un ordre établi].
L’usufruit conjoint est constitué par deux usufruits sur le même bien, qui s’exercent conjointement ou simultanément. Le droit d’usufruit est en indivision entre ses titulaires. Par exemple, un constituant peut désigner deux époux usufruitiers, qui se partagent les fruits de la chose dont ils jouissent simultanément. La question se pose de savoir ce qu’il reste au survivant des usufruitiers après le décès du premier.
Le survivant pourra-t-il prétendre à un usufruit exclusif sur la totalité du bien ? Ou, l’assiette de son usufruit sera-t-elle réduite à proportion de la quote-part ayant bénéficié à l’usufruitier prédécédé ? L’usufruit conjoint s’éteint partiellement au fur et à mesure des décès.
Le droit de l’usufruitier survivant est réduit à sa quote-part du bien grevé. Cette extinction progressive profitant au nu-propriétaire peut être évitée de deux manières. La première manière est d’insérer une clause de réversibilité d’usufruit, qui permet au survivant de continuer à jouir de l’usufruit sur la totalité du bien.
Chaque indivisaire se réserve l’usufruit de sa quote-part et en investit l’autre, à compter de son prédécès. Autrement dit, la part de celui des usufruitiers qui est prédécédé accroît celle de l’autre, qui en bénéficie pour la totalité, jusqu’au décès du dernier d’entre eux. La seconde manière, en l’absence de clause de réversibilité d’usufruit, est plus conceptuelle.
Le fait que l’extinction du premier usufruit profite à l’usufruitier survivant et non au nu-propriétaire peut s’expliquer par la nature même de l’indivision. Un droit indivis grève toujours la totalité de la chose, même si c’est concurremment avec autrui.
Certes, l’idée de quote-part facilite les opérations de liquidation, mais elle ne traduit pas la nature même de l’indivision. « Lorsqu’un des deux usufruits s’éteint par la mort de son titulaire, la situation de concurrence disparaît, mais l’usufruit du survivant continue à grever l’intégralité de la chose : le nu-propriétaire ne peut donc profiter de cette extinction ».
II. La portée de l’arrêt de la Cour de cassation, 1re chambre civile du 15 mai 2019
A. Absence d’indivision entre usufruit et nue-propriété
L’enjeu théorique principal soulevé par la décision analysée consistait à préciser les rapports juridiques nés entre un héritier, titulaire de droits en nue-propriété, et un conjoint survivant qui lui, s’était vu attribuer des droits en usufruit et en nue-propriété.
Il s’agissait alors de s’intéresser à la situation particulière, mais courante en pratique, nommée par certains auteurs : indivisions complexes qui combinent le régime de l’indivision et l’existence d’un démembrement de droit. Le cœur du problème consiste à délimiter les rapports d’indivision. Alors que les juges du fond avaient retenu la présence d’une indivision faisant obstacle à l’exercice des droits de saisie des créanciers, les hauts magistrats ont au contraire exclu l’indivision à l’égard du droit de jouissance des biens.
Cette solution est logique puisque seul le conjoint survivant exerce l’usufruit et donc un droit de jouissance sur la totalité des biens. Elle s’inscrit donc dans une approche orthodoxe du régime de l’indivision qui représente un procédé de gestion en commun des biens supposant une nature similaire des droits des titulaires.
Dans l’affaire jugée ici, l’indivision en jouissance n’est pas retenue légitimement entre le titulaire d’un usufruit exclusif sur la totalité des biens et celui qui se prévaut des trois quarts de la propriété. En revanche, le régime de l’indivision s’applique à l’égard des droits en nue-propriété. Notons que la jurisprudence consacre dans la même logique l’existence d’une indivision en jouissance dans d’autres circonstances. Ainsi, des rapports d’indivision sont reconnus, tant par le législateur que la jurisprudence, entre les droits en usufruit ou des droits d’usage et d’habitation et les droits de jouissance d’un plein propriétaire.
Par exemple, dans une décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 7 juillet 2016, les juges ont reconnu que le propriétaire, qui a le droit de jouir de son bien de la façon la plus absolue, dispose de droits concurrents avec le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation s’exerçant conjointement sur le bien. Il existe, par conséquent, une indivision entre eux quant à l’exercice de ce droit d’usage et d’habitation.
De la même façon, la jurisprudence a pu identifier une indivision entre le titulaire d’un droit en pleine propriété portant sur une quote-part de l’universalité des biens provenant d’une communauté entre époux et le nu-propriétaire du surplus (8). D’une manière plus générale, les mêmes combinaisons techniques devraient être retenues pour l’ensemble des démembrements de droit, qu’ils soient de source légale ou de source conventionnelle (9). Comme le droit spécial de jouissance consacré par la jurisprudence.
La solution retenue par la première chambre civile est respectueuse de la logique des démembrements de droit : l’usufruit et la nue-propriété constituent des droits réels de nature différente qui s’exercent sur le même bien. Leur exercice concurrent sur le bien, exclusif du régime de l’indivision, est alors un gage du respect de l’autonomie de ces droits.
Cette décision mise en opposition au sens de l’arrêt rendu par les juges du fond permet de mettre en lumière les implications techniques attachées à l’absence d’indivision entre les deux titulaires de droits réels. Le rejet du régime de l’indivision présente deux intérêts majeurs. Le premier concerne le sort réservé aux créanciers comme le dévoile l’arrêt commenté.
L’existence de l’indivision fait obstacle aux droits de poursuite des créanciers personnels sur les biens indivis. Consacrée à l’article 815-17 du Code civil, cette règle se justifie par la conception aujourd’hui retenue des biens indivis. Ils constituent une masse de biens indéterminée à l’égard de laquelle la propriété individuelle n’est pas établie. Cette masse indivise n’est pas dotée de la personnalité morale. Dans ce contexte, seuls les créanciers dont les droits sont nés de la gestion des biens indivis ont
la faculté de saisir ces derniers. La deuxième porte sur l’impossibilité de recourir au partage, technique propre à l’indivision, dans les rapports entre usufruitier et nu-propriétaire.
En revanche, la question se pose bien dans les hypothèses où il y a une pluralité d’usufruitiers ou de nus-propriétaires puisque, dans ce cas de figure, on doit reconnaître l’existence d’une indivision en usufruit ou en nue-propriété.
Cette situation est prévue à l’article 817 du Code civil qui énonce que « celui qui est en indivision en jouissance peut demander le partage de l’usufruit indivis par voie de cantonnement sur un bien, ou en cas d’impossibilité, par voie de licitation de l’usufruit.
Lorsqu’elle apparaît seule protectrice de l’intérêt de tous les titulaires de droits sur les biens indivis, la licitation peut porter sur la pleine propriété ». En parallèle, en application de l’article 819 du Code civil, celui qui est pour partie plein propriétaire et qui se trouve en indivision avec des usufruitiers et des nus-propriétaires peut user de la même faculté.
La question peut être soulevée d’apprécier la portée du principe d’autonomie des droits de l’usufruitier et du nu-propriétaire et de l’absence d’indivision entre eux. Si l’analyse classique privilégie une approche plutôt stricte en niant l’existence de tout intérêt commun, cette analyse doit être tempérée.
Les rapports entre usufruitier et nu-propriétaire sont organisés par le Code civil sur le principe d’une autonomie entre les droits réels qui se manifeste par un cloisonnement dans leur exercice.
Ce cloisonnement a pu être évoqué par certains auteurs de manière stricte en affirmant qu’il y avait « une séparation d’intérêts entre usufruitier et nu-propriétaire » « dont les droits sur la chose sont juxtaposés, mais séparés », ou encore, en affirmant que ces droits se côtoyaient en s’ignorant. Ainsi, dans le régime légal, les règles de cogestion restent exceptionnelles ou encore, l’extinction du démembrement ne donne lieu, en principe, à aucun règlement pécuniaire entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.
Mais ce principe de cloisonnement ne peut être analysé de manière absolue, car il ne correspond pas à la réalité de la gestion des biens démembrés qui implique l’existence d’un intérêt commun et un minimum de coopération.
B. Mise en œuvre de la saisie-attribution à l’égard de l’usufruit
L’absence d’indivision entre les titulaires de droits en usufruit et ceux en nue-propriété permet de légitimer la mise en œuvre de la saisie-attribution par la société créancière à l’encontre de la débitrice usufruitière.
La saisie-attribution est une procédure civile d’exécution forcée qui permet à un créancier muni d’un titre exécutoire, constatant une créance liquide et exigible, de saisir entre les mains d’un tiers la créance de son débiteur. Cette procédure a vocation à s’appliquer à toutes les créances de sommes d’argent.
La décision commentée aboutit à admettre que le prix de l’usufruit, qui n’était pas indivis, pouvait être saisi pour obtenir le paiement d’une dette qui était personnelle à l’usufruitière. Les juges indiquent que la saisie-attribution porte sur la part du prix correspondant à la valeur de l’usufruit.
Cette précision fait référence aux modalités légales de répartition du prix de vente d’un bien démembré telle qu’elle est fixée à l’article 621 du Code civil. Ce dernier prévoit, en effet, « qu’en cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits ».
Cette solution, qui était initialement celle retenue par la jurisprudence (10), fait donc obstacle à ce que le démembrement se reporte automatiquement sur le prix de vente en donnant lieu à un quasi-usufruit.
Toutefois, cette règle n’étant que supplétive, les parties peuvent faire échec au principe de ventilation du prix de vente entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. La part du prix qui peut faire l’objet d’une saisie-attribution doit donc correspondre à la valeur comparative de l’usufruit avec la nue-propriété. Il convient dès lors de préciser les modalités d’évaluation de la valeur de l’usufruit.
Le législateur a prévu, en droit fiscal à l’article 669 I du Code général des impôts, un mécanisme d’évaluation qui a vocation à s’appliquer de manière impérative pour la liquidation des droits d’enregistrement et de la publicité foncière.
Ce texte fixe un barème en fonction des tables de mortalité en partant du postulat que la valeur de la pleine propriété d’un bien équivaut à la somme de celle de l’usufruit et de la nue-propriété.
En pratique, ce dispositif est devenu la règle qui s’applique, quel que soit le type de cession à défaut d’un autre mode d’appréciation choisi par les parties. Une évaluation dite économique plus conforme à la réalité de la valeur des droits démembrés en prenant notamment en considération la dévaluation due à l’existence d’un démembrement de droit peut, en effet, être opérée.
La difficulté de mise en œuvre pratique de la saisie-attribution est donc double. Il découle, non seulement, du fait que la répartition du prix de vente entre usufruitier et nu-propriétaire peut être maîtrisée conventionnellement par les parties, mais aussi, des règles d’évaluation de l’usufruit qui laissent place, elles aussi, à la convention.
La solution retenue, respectueuse du mécanisme de démembrement de droit, s’inscrit dans une logique de protection des créanciers personnels de l’usufruitier ou du nu-propriétaire. Le démembrement de droit, contrairement à l’indivision, n’induit pas de paralysie des droits des créanciers. Le démembrement représente, dès lors, une technique de gestion patrimoniale économiquement attractive puisque les droits des créanciers sont préservés.
Si la solution a été rendue en l’espèce à l’égard du droit d’usufruit, elle devrait être transposable à l’ensemble des droits démembrés, notamment, les droits d’usage, d’habitation et le droit réel spécial de jouissance. En effet, le droit d’usufruit est classiquement vu comme le modèle des droits de jouissance, en témoigne le renvoi opéré par les textes du Code civil régissant les droits d’usage et d’habitation aux articles dédiés à l’usufruit.
Ainsi, en l’absence de précision des textes sur les droits d’usage et d’habitation, les règles régissant le droit d’usufruit s’appliquent de manière subsidiaire. Le droit d’usufruit, comme tous les démembrements de droit, représente une valeur patrimoniale saisissable dans le patrimoine de son titulaire. Une nuance doit cependant être apportée concernant le droit d’usage et le droit d’habitation qui présentent une dimension personnelle plus marquée que le droit d’usufruit comme le révèle l’impossibilité de les céder ou de les louer.
SOURCES :
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000032867695&fastReqId=1781788036&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007031534&fastReqId=1258614007&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000039122466&fastReqId=1708790076&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007035578&fastReqId=349131571&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007024177&fastReqId=1817163642&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028357208&fastReqId=1597170256&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007048373&fastReqId=431660808&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000023434579&fastReqId=1513965016&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000026573047&fastReqId=1120997139&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007019368&fastReqId=976165480&fastPos=1
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