Un héritier peut-il contester une donation au dernier vivant

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La donation au dernier vivant est l’acte par lequel l’instituant dispose, pour le temps où il ne sera plus, de tout ou partie de ses biens en faveur de l’institué qui l’accepte (1). À la lecture de cette définition, on peut constater qu’il s’agit là d’un pacte sur succession future qui est exceptionnellement permis par la loi.

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Cette donation peut être consentie par le contrat de mariage – elle est alors irrévocable – ou constituée en cours d’union par acte notarié, et dans cette hypothèse elle a un caractère révocable.

En général, la donation de biens à venir se fera sous la forme d’un usufruit ou laissera le choix au conjoint survivant entre l’usufruit et sa pleine propriété d’une partie des biens. Dans tous les cas, la limite sera marquée par la quotité disponible entre époux.

La donation au dernier vivant garde tout son intérêt, même si la réforme du droit des successions a amélioré le sort du conjoint survivant. À la condition de ne pas porter atteinte aux droits des héritiers réservataires, il peut par donation bénéficier de la totalité de la quotité disponible en complément de sa vocation ab intestat.

Vous avez fait le choix avec votre époux de donner au dernier conjoint survivant. La donation entre époux permet d’améliorer les droits du conjoint survivant. La donation au dernier vivant offre une protection à l’époux survivant, tout en modifiant la part d’héritage après le décès de l’autre époux. Cette donation prend ainsi effet au décès du donateur, on peut d’ailleurs l’apparenter à une disposition testamentaire.

La donation entre époux porte sur tous les biens que l’époux donateur possédera au jour de son décès. Depuis la loi du 3 décembre 2001, le conjoint n’est plus étranger à la famille, toutefois, de nombreux cas d’espèce engendrent encore beaucoup de blocages et de conflits en matière de succession.

 

I. Pourquoi consentir une libéralité au dernier vivant ?

Bien que les droits successoraux légaux du conjoint héritier ne soient pas négligeables, une libéralité entre époux permet dans la majorité des cas d’augmenter les droits de son conjoint.

Avant d’évoquer les différentes situations susceptibles de se présenter, il faut indiquer que la loi n’autorise pas de cumul des vocations légale et libérale du conjoint. Les libéralités qu’il reçoit s’imputent sur ses droits dans la succession ; si elles sont inférieures à sa vocation légale, le conjoint peut réclamer le complément, dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux (2).

A. En présence de descendants

Par rapport aux droits que le conjoint tirerait de la loi, une libéralité entre époux présente les avantages suivants :

  • elle permet à l’époux qui a des enfants d’un autre lit de laisser à son conjoint l’usufruit de toute sa succession, ce que la loi ne prévoit que lorsque tous les enfants sont communs ;
  • s’il y a moins de trois enfants, elle offre au conjoint survivant une quotité en pleine propriété supérieure à celle prévue par la loi, qui est fixée à un quart, quel que soit le nombre d’enfants : le conjoint qui opte pour la quotité disponible ordinaire recueille la moitié de la succession s’il n’y a qu’un enfant et les deux tiers s’il y a deux enfants ;
  • elle permet de cumuler des droits en propriété et des droits en usufruit, ce que la loi ne prévoit pas ;
  • dans le cas le plus fréquent où elle porte sur la quotité disponible spéciale entre époux, et sauf indication contraire de l’acte, elle offre au conjoint survivant le choix entre les trois quotités autorisées. Par comparaison, la loi n’offre de choix au conjoint qu’en présence d’enfants communs, et encore cette option est-elle réduite à deux branches (usufruit du tout ou propriété du quart). La libéralité peut même porter sur toute la succession, sauf demande en réduction des descendants ;
  • toujours sauf indication contraire de l’acte, elle permet au conjoint survivant de cantonner son émolument :

En présence de descendants, communs ou non, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur, sauf indication contraire du testament ou de la donation au dernier vivant (C. civ. art. 1094-1, al. 2). En d’autres termes, il peut limiter la libéralité qui lui est faite (cette possibilité ne lui est pas offerte lorsqu’il est réduit à ses droits légaux). Le conjoint peut par exemple cantonner la libéralité à certains biens ou limiter ses droits à l’usufruit de tout ou partie des biens qui lui ont été laissés en pleine propriété.

L’exercice de la faculté de cantonnement ne constitue pas une libéralité consentie par le conjoint aux autres successibles, au premier rang desquels ses enfants et/ou beaux-enfants (C. civ. art. 1094-1, al. 2 in fine). Il n’y aura donc ni rapport ni réduction. Autre conséquence de l’absence de libéralité, l’avantage indirectement consenti par le conjoint aux autres successibles n’est pas taxable aux droits de donation. Le bénéficiaire indirect du cantonnement effectué par le conjoint est imposable sur ce qu’il reçoit en plus au tarif fixé en fonction de son lien de parenté avec le défunt (CGI art. 788 bis).

Du fait de l’exonération du conjoint survivant, le régime fiscal du cantonnement est désavantageux pour les enfants communs. Il est fiscalement préférable que le conjoint recueille les biens (en franchise d’impôt) avant d’en faire à son tour donation aux enfants, avec le bénéfice de l’abattement et des plus basses tranches du barème.

La non-taxation du cantonnement n’est en réalité avantageuse que dans le cas – plus rare – où l’enfant qui en bénéficie n’est pas un descendant du conjoint, mais un enfant d’un autre lit du défunt. La neutralité fiscale du cantonnement évite alors à l’enfant d’acquitter les droits au taux de 60 % applicable entre personnes non parentes.

B. En l’absence de descendants

En l’absence de descendants et en présence des père et/ou mère, une libéralité entre époux permet de déshériter ces derniers pour laisser l’intégralité de la succession à son conjoint. Avec une limite : la libéralité au profit du conjoint ne peut pas à notre avis faire obstacle au droit de retour légal des père et mère du défunt.

Les personnes qui ne laissent ni descendants ni ascendants n’ont guère de raison de faire une donation au dernier vivant : leur conjoint hérite de la totalité de leur succession par le seul effet de la loi (C. civ. art. 757-2). La libéralité peut toutefois présenter un intérêt si le défunt laisse des frères et sœurs et s’il détient des biens de famille, car ces biens ont vocation à revenir pour moitié aux frères et sœurs du défunt. Une donation au dernier vivant permet de faire obstacle au droit de retour des frères et sœurs, le conjoint recevant la pleine propriété de l’intégralité des biens (en ce sens, Rectificatif à la Rép. Poignant : AN 13-2-2007 p. 1636).

Dans les deux cas de figure, et bien que la loi ne le prévoie pas expressément, le conjoint peut à notre avis cantonner son émolument s’il le souhaite, de la même façon qu’en présence de descendants.

Si des dispositions ont déjà été prises en faveur du conjoint, Il faut penser à vérifier régulièrement que la donation au dernier vivant ou le legs au profit du conjoint est toujours pertinent(e) au regard des objectifs du disposant, de façon à pouvoir actualiser, si nécessaire, les dispositions adoptées.

Cette vérification est indispensable si la libéralité a été effectuée avant la loi du 3 décembre 2001 qui a radicalement modifié les droits successoraux du conjoint survivant (loi applicable, pour l’essentiel, aux successions ouvertes depuis le 1-1-2002) et elle est très fortement conseillée si la libéralité, postérieure à la loi de 2001, est antérieure à la réforme des successions opérée par la loi du 23 juin 2006 (qui concerne les successions ouvertes depuis le 1-1-2007). À défaut, les dispositions adoptées risquent d’être sans effet. En témoignent les contentieux, nombreux, sur l’interprétation des dispositions à cause de mort prises avant ces réformes (ou entre les deux) par des conjoints décédés après leur entrée en vigueur. Or, la recherche de la volonté du testateur, qui relève de l’interprétation souveraine des juges du fond, est nécessairement aléatoire.

 

II. Protection de la réserve des descendants

A. Mesures communes à tous les enfants

Sauf s’ils y renoncent, les enfants peuvent demander dans les conditions de droit commun la réduction des libéralités consenties au conjoint qui empiéteraient sur leur réserve.

Le droit successoral garanti aux héritiers les plus proches, descendants et conjoint, une fraction du patrimoine du défunt. Il s’agit de la réserve héréditaire. Le conjoint n’en bénéficie qu’à titre subsidiaire, en l’absence de descendance.

Le défunt a pu faire des libéralités soit par donation entre vifs, soit par testament ou donation au dernier vivant ; mais ces libéralités ne seront efficaces que si leur montant n’excède pas la quotité disponible.

Ce n’est qu’après le décès que l’on pourra déterminer si les libéralités faites par le défunt excèdent la quotité disponible et sont par conséquent réductibles. En effet, c’est seulement à cette date que l’on pourra :

  • connaître la qualité et le nombre d’héritiers réservataires laissés par le défunt ;
  • mesurer l’importance du patrimoine du défunt, donc le seuil à partir duquel les libéralités qui excèdent la quotité disponible seront réductibles ;
  • déterminer parmi les libéralités consenties par le défunt lesquelles excèdent la quotité disponible et pour quelle fraction elles doivent être réduites pour respecter la réserve.

Un droit de prélèvement compensatoire sur les biens situés en France, au profit des enfants lésés par l’application d’une loi successorale étrangère qui ne connaîtrait pas la réserve, a été instauré pour les successions ouvertes depuis le 1er novembre 2021 (C. civ. art. 913, al. 3 crée par la loi 2021-1109 du 24-8-2021 confortant le respect des principes de la République : BPAT 5/21 inf. 200). Il est inspiré de l’ancien droit de prélèvement lequel avait été censuré par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 5-8-2011 n° 2011-159 QPC :  BPAT 5/11 inf. 282).

Une libéralité n’est réductible que pour autant que, excédant la quotité disponible, elle porte atteinte à la réserve, et dans la seule mesure nécessaire au respect de cette réserve.

Pour savoir si une libéralité est réductible, il convient de comparer ce dont le défunt a disposé, par libéralités entre vifs (donations) ou à cause de mort (testament ou donation entre époux), avec la fraction de ses biens dont il pouvait disposer. La première opération consiste à chiffrer la réserve et la quotité disponible, la seconde à imputer les libéralités sur ces masses dans un ordre et selon des modalités déterminées par la loi.

Lorsque le défunt a réalisé des libéralités en usufruit, les enfants (communs ou non) ont la possibilité d’en demander la réduction pour parfaire leur réserve, en faisant l’abandon de la quotité disponible en pleine propriété (C. civ. art. 917).

Toutefois, ce texte n’a pas vocation à s’appliquer lorsque le bénéficiaire de l’usufruit est le conjoint survivant. En effet, la quotité disponible spéciale du conjoint survivant prévue à l’article 1094-1 du Code civil lui permet de recueillir la totalité des biens en usufruit sans que les enfants puissent se plaindre d’une atteinte à leur réserve. En pratique, afin d’éviter toute discussion sur l’application de l’article 917 aux libéralités en usufruit entre époux, le disposant peut l’écarter par une stipulation particulière, ce texte n’étant pas d’ordre public.

B. Mesures spécifiques aux enfants non communs

La présence d’enfants d’un autre lit ne modifie pas la quotité disponible spéciale entre époux.

Une mesure de protection spécifique existe cependant au profit de ces enfants, lorsque leur beau-père ou belle-mère – dont ils n’ont pas vocation à hériter – a reçu une libéralité en pleine propriété. Chaque enfant non commun peut exiger, en ce qui le concerne, que la libéralité en propriété soit convertie en une libéralité en usufruit, moyennant l’abandon au conjoint de la part d’usufruit qu’il aurait recueilli en son absence (C. civ. art. 1098). Mais cet usufruit forcé du conjoint survivant trouve rarement à s’appliquer en pratique :

  • le défunt ne doit pas s’y être opposé, même tacitement, dans l’acte de donation (ou dans le testament). Une donation au dernier vivant laissant au conjoint survivant le choix entre les trois quotités autorisées exclut la possibilité d’un usufruit forcé (3) ;
  • les enfants ne doivent pas avoir été privés de l’usufruit de leur part d’héritage par la donation (ou le legs) : l’usufruit forcé ne peut se concevoir que s’il reste un usufruit à laisser au conjoint en échange de la libéralité en pleine propriété dont il est privé. Pas d’usufruit forcé, donc, si le conjoint survivant reçoit la quotité disponible spéciale du 1/4 en pleine propriété et des 3/4 en usufruit.

 

Sources :

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007018781?init=true&page=1&query=85-15.392&searchField=ALL&tab_selection=all
  2. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 octobre 2017, 17-10.644, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  3. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 3 décembre 1996, 94-21.799, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

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