Quelle différence entre donation entre époux et donation au dernier vivant ?
La détermination des héritiers par l’effet de la loi ne joue pleinement qu’autant qu’elle n’est pas contrariée par une disposition à cause de mort (ou disposition de dernières volontés) prise par le défunt.
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Ces dispositions à cause de mort regroupent deux types de libéralités prévues par la loi, la personne qui souhaite disposer de ses biens à cause de mort devant impérativement utiliser l’un d’eux :
- le testament, libéralité unilatérale établie par le seul disposant, soumise à des conditions de forme particulière et portant sur un ou plusieurs biens ou sur une quotité ou même sur la totalité de son patrimoine ;
- l’institution contractuelle, libéralité faite sous forme d’un contrat et exceptionnellement permise entre époux, dans un contrat de mariage ou pendant le mariage, ou par des tiers au profit des futurs époux et de leurs enfants à naître du mariage. Autant les premières, connues sous le vocable de « donation entre époux » ou de « donation au dernier vivant », sont fréquentes, autant les secondes sont extrêmement rares.
Ajoutons que les dispositions à cause de mort ne sont pas les seules libéralités. Une personne aura pu transmettre de son vivant, par une libéralité entre vifs, un bien déterminé ou une grande partie voire la totalité de ses biens : il s’agit alors d’une donation.
La donation de biens à venir est une disposition à cause de mort assimilée à un legs. Pour qui souhaite avantager son conjoint, les deux actes peuvent donc remplir le même objet et produisent les mêmes effets :
- le conjoint dispose dans les deux cas de l’option successorale : il peut accepter purement et simplement la libéralité, l’accepter à concurrence de l’actif net ou y renoncer. Sauf stipulation contraire, il peut cantonner son émolument ;
- le maximum qui peut être laissé au conjoint en présence de descendants est le même (la quotité disponible spéciale entre époux), avec les mêmes options ;
- si l’époux a fait de nombreuses donations de son vivant, le risque de réduction pour atteinte à la réserve est le même, puisque les règles d’imputation et de réduction sont dans les deux cas celles des dispositions testamentaires : imputation après les donations et concurremment avec les legs ;
- la date d’effet de la donation au dernier vivant est celle du décès de son auteur, comme celle du legs fait par testament ;
- la révocation de l’acte est possible dans les deux cas jusqu’à la mort de son auteur.
Il n’y a donc pas de raison particulière de privilégier l’un des actes par rapport à l’autre. Tout au plus peut-on observer que la pratique notariale conseille aux époux de faire une donation au dernier vivant, acte obligatoirement notarié, plus sûr en termes de contenu et de rédaction, et qui est généralement établi de façon réciproque entre les conjoints.
I. Donation de biens présents entre époux et donation au dernier vivant
A. Conditions de validité
La donation par contrat de mariage est soumise aux règles de forme du contrat de mariage et non à celles de la donation entre vifs. L’acceptation expresse du donataire n’est pas requise (Code civil, article 1087). Sur le fond, elle échappe au principe d’irrévocabilité spéciale des donations, mais demeure soumise à l’irrévocabilité de droit commun (Code civil, article 1193).
La donation est caduque si le mariage n’est pas célébré (Code civil, article 1088).
Les donations de biens présents entre époux sont soumises aux conditions de fond des donations ordinaires concernant la capacité et le consentement des parties.
Elle suppose, comme toute donation, une intention libérale. Lorsque la donation a pour but de rémunérer la collaboration d’un conjoint à l’activité professionnelle de l’autre, il s’agit d’une donation rémunératoire qui échappe au régime juridique des donations, notamment en ce qui concerne les possibilités de révocation, les règles du rapport successoral et de la réduction des libéralités.
La première chambre civile, dans un arrêt du 9 février 2022, (Cass. 1re civ., 9 févr. 2022, no 20-14272) a précisé que lorsqu’une épouse a sacrifié sa carrière pour le foyer, en excédant ainsi sa simple contribution aux charges du mariage, la somme versée par l’époux constitue une donation rémunératoire. (5)
Elle peut être stipulée avec charges ou conditions comme en droit commun.
En la forme, la donation entre époux peut être ostensible, déguisée ou indirecte ou prendre la forme d’un don manuel. Lorsqu’elle est ostensible, elle doit respecter les exigences de forme du droit commun des donations (Code civil, article 931).
Le tribunal judiciaire de Paris dans un arrêt du 8 février 2022 (TJ Paris, 3e ch., 8 févr. 2022, no 19/14142) a précisé, s’agissant de droits de propriété intellectuelle, que leur cession à titre gratuit est une donation. En vertu de l’article 931, elle doit être passée devant notaire. (6)
La donation peut être réciproque et faite dans un même acte ou dans deux actes distincts (v. Donation (Conditions)).
S’agissant des donations au dernier vivant, elles présentent la caractéristique d’être librement révocables (C. civ. art. 1096, al. 1). Cette révocabilité est dite « ad nutum », c’est-à-dire que le donateur peut révoquer la donation à tout moment sans motif légitime. Il ne peut pas renoncer à son droit de révocation, qui est d’ordre public.
La forme de la révocation est libre ; la révocation peut être expresse, par acte notarié ou testament.
Elle peut également être tacite, et résulter par exemple de l’aliénation du bien objet de la donation au dernier vivant ou de l’incompatibilité des dispositions contenues dans la donation avec celles d’un testament postérieur ou de tout fait ou acte du donateur qui indique d’une manière non équivoque son intention de révoquer la donation. Ce sera le cas, par exemple, si le donateur a fait au profit de son second conjoint une nouvelle donation au dernier vivant portant sur les mêmes biens (1).
La faculté de révocation est strictement personnelle à l’époux donateur. Elle ne peut être exercée ni par ses créanciers ni par ses héritiers même réservataires (2).
B. Objet de la donation entre époux et au dernier vivant
Elle peut porter sur des biens de toute espèce : meubles ou immeubles, propres à l’époux donateur ou communs entre lui et l’époux donataire. Elle peut être en pleine propriété ou en usufruit. Lorsque la donation porte sur une somme d’argent destinée à acquérir un bien, la donation n’est que de deniers et non du bien auquel ils sont employés.
La première chambre civile a précisé, dans un arrêt du 5 janvier 2023 que dans le cas d’une donation en usufruit déjà constituée à titre viager, l’usufruit s’éteint au décès du donateur et non du donataire. (7)
En cas de remise en cause de la donation, les droits du donateur ou de ses héritiers n’ont pour objet qu’une somme d’argent évaluée en fonction de la valeur actuelle du bien ou du bien subrogé à celui-ci à la suite d’une aliénation suivie d’une nouvelle acquisition.
Bien que les droits successoraux du conjoint héritier ne soient pas négligeables, une libéralité entre époux permet dans la majorité des cas d’augmenter les droits de son conjoint. En tout état de cause, si la donation excède la quotité disponible entre époux, elle est sujette à réduction au décès du donateur.
Avant d’évoquer les différentes situations susceptibles de se présenter, il faut signaler que le conjoint survivant ne peut pas cumuler ses droits légaux avec ceux qu’il retire d’une disposition de dernières volontés (3).
Une donation au dernier vivant ne peut pas avoir pour objet de restreindre les droits du conjoint survivant. Si un époux veut retirer à son conjoint certains des droits que la loi lui accorde, c’est par la voie du testament qu’il lui faut procéder (en ce sens, implicitement, Rép. Bocquet : AN 11-4-2006 n° 76457).
La première chambre civile, dans un arrêt du 17 janvier 2024 (Cass. 1re civ., 17 janv. 2024, no 21-20520) a précisé que les legs consentis au conjoint survivant doivent d’abord s’imputer en intégralité sur les droits légaux. (9)
Il en est ainsi à notre avis même dans le cas où les droits retirés sont compensés par d’autres droits, et où, de ce fait, l’acte est globalement protecteur du conjoint (cas, par exemple, de l’époux qui a des enfants d’un précédent mariage et veut octroyer à son conjoint des droits en usufruit, à l’exclusion du quart en pleine propriété prévu par la loi).
II. Effets de la donation entre époux et au dernier vivant
A. Les effets quant à la donation entre époux
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Par contrat de mariage
Le donateur est définitivement lié par la donation (Code civil, article 1093). L’annulation du contrat de mariage entraîne corrélativement celle des donations, sauf à ce qu’elles obéissent à toutes les exigences, de forme et de fond, du droit commun et qu’elles ne soient pas liées par un lien d’indivisibilité au régime matrimonial organisé par le contrat de mariage.
La donation entre futurs époux ne peut être révoquée pour survenance d’enfant (Code civil, article 960, a contrario), mais peut l’être pour ingratitude.
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Donation en cours d’union
La donation de biens présents qui prend effet pendant le mariage est irrévocable, sauf hypothèses d’inexécution des charges ou d’ingratitude (Code civil, article 1096, al. 2). Elle n’est pas révocable pour survenance d’enfant, sauf si cela a été expressément prévu dans l’acte de donation. Le divorce des époux ou leur séparation de corps est sans incidence (4).
La donation de biens présents qui ne prend pas effet pendant le mariage est librement révocable (Code civil, article 1096, al. 2), sauf convention contraire, ou au donataire à démontrer qu’il s’agit d’une donation rémunératoire.
B. Les effets concernant la donation au dernier vivant
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Intérêt d’une donation au dernier vivant en présence de descendants
Dans un arrêt en date du 12 janvier 2022 (Cass. 1re civ., 12 janv. 2022, no 20-12232), la première chambre civile a précisé que l’imputation des libéralités reçues par le conjoint survivant sur ses droits légaux, prévue à l’article 758-6 du Code civil, constitue « un rapport spécial en moins prenant ». (8)
Par rapport aux droits que le conjoint tirerait de la loi, une libéralité entre époux présente les avantages suivants :
– elle permet à l’époux qui a des enfants d’un autre lit de laisser à son conjoint l’usufruit de toute sa succession, ce que la loi ne prévoit que lorsque tous les enfants sont communs ;
– s’il y a moins de trois enfants, elle offre au conjoint survivant une quotité en pleine propriété supérieure à celle prévue par la loi, qui est fixée à un quart, quel que soit le nombre d’enfants : le conjoint qui opte pour la quotité disponible ordinaire recueille la moitié de la succession s’il n’y a qu’un enfant et un tiers s’il y a deux enfants ;
– elle permet de cumuler des droits en propriété et des droits en usufruit, ce que la loi ne prévoit pas ;
– sauf indication contraire de l’acte, elle offre au conjoint survivant le choix entre les trois quotités autorisées. Par comparaison, la loi n’offre de choix au conjoint qu’en présence d’enfants communs, et encore cette option est-elle réduite à deux branches (usufruit du tout ou propriété du quart) ;
– toujours sauf indication contraire de l’acte, elle permet au conjoint survivant de cantonner son émolument à certains biens dont il a été disposé en sa faveur.
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Intérêt d’une donation au dernier vivant en l’absence de descendants
En l’absence de descendants et en présence des père et/ou mère, une libéralité entre époux permet de déshériter les ascendants pour laisser l’intégralité de la succession à son conjoint. Ajoutons toutefois que la libéralité au profit du conjoint ne peut à notre avis faire obstacle au droit de retour institué au profit des père et mère par la loi du 23 juin 2006 en compensation de la suppression de leur droit à réserve.
Les personnes qui ne laissent ni descendants ni ascendants n’ont guère de raison de faire une donation au dernier vivant : leur conjoint hérite de la totalité de leur succession par le seul effet de la loi. La libéralité peut toutefois présenter un intérêt résiduel : s’il existe des biens de famille, la donation au dernier vivant permet de faire obstacle au droit de retour des frères et sœurs, le conjoint recevant la pleine propriété de l’intégralité des biens.
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Protection des héritiers réservataires
Des mesures spécifiques protègent les descendants contre les libéralités effectuées au profit du conjoint survivant.
Si la libéralité au profit du conjoint est faite en pleine propriété, le Code civil permet aux enfants non communs de substituer à l’exécution de cette libéralité l’abandon de l’usufruit de la part de succession qu’ils auraient recueillie en l’absence de conjoint survivant (C. civ. art. 1098).
Recevant alors des droits en nue-propriété dans la succession de leur auteur, ils deviendront pleins propriétaires au décès du conjoint survivant usufruitier. N’étant pas d’ordre public, ce droit à réclamer un usufruit forcé du conjoint peut être écarté par la volonté contraire du disposant. Une telle stipulation permettra d’éviter un démembrement de propriété entre le conjoint et les enfants du lit précédent.
S’agissant d’une libéralité en usufruit consentie au conjoint survivant, l’ensemble des descendants bénéficient d’une protection spécifique. Ils peuvent ainsi demander la conversion de l’usufruit en rente viagère (C. civ. art. 759 s.) ou encore, requérir les mesures conservatoires de la nue-propriété prévues par l’article 1094-3 du Code civil (inventaire des meubles, état des immeubles, emploi des sommes, conversion des titres au porteur en titres nominatifs ou leur dépôt chez un dépositaire agréé).
Indépendamment de ces mesures spécifiques, les enfants peuvent demander dans les conditions de droit commun la réduction des libéralités faites au conjoint et qui empiéteraient sur leur réserve, sauf à ce qu’ils aient renoncé par avance à l’exercice de l’action en réduction.
Sources :
- Cour de Cassation, Chambre civile 1, 28 février 2006, 03-20.150 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007052226?init=true&page=1&query=03-20.150+&searchField=ALL&tab_selection=all
- Cour de Cassation, Chambre civile 1, 19 avril 1988, 86-18.028 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007020190?init=true&page=1&query=86-18.028+&searchField=ALL&tab_selection=all
- Cour de Cassation, Chambre civile 1, 25 octobre 2017, 17-10.644 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035925129?init=true&page=1&query=17-10.644+&searchField=ALL&tab_selection=all
- Cour de Cassation, Chambre civile 1, 14 mars 2012, 11-13.791 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000025529168?init=true&page=1&query=11-13.791&searchField=ALL&tab_selection=all
- 1re civ., 9 févr. 2022, no20-14272 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045167430
- TJ Paris, 3e, 8 févr. 2022, no19/14142 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045652986/
- 1re civ., 5 janv. 2023, no21-13966 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046959991?init=true&page=1&query=21-13966&searchField=ALL&tab_selection=all
- 1re civ., 12 janv. 2022, no20-12232, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045009772?init=true&page=1&query=20-12.232&searchField=ALL&tab_selection=all
- 1re civ., 17 janv. 2024, no21-20520 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000048990950?dateDecision=&init=true&page=2&query=mariage&searchField=ALL&tab_selection=juri
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