La sortie d’indivision par voie judiciaire
L’indivision est une situation dans laquelle plusieurs personnes sont propriétaires d’un même bien. C’est une situation particulière qui n’est pas aisée et qui peut être source de conflits entre les différents propriétaires, appelés coïndivisaires.
L’indivision est une notion juridique très vaste, comme le souligne C. Atias dans son ouvrage “Droit civil, Les biens” (n° 171, p. 132). Cela se manifeste à la fois par la diversité des biens auxquels elle peut s’appliquer (par exemple, l’application du régime de l’indivision aux algorithmes, comme l’a exposé P.-Y. Gautier dans “De la propriété des créations issues de l’intelligence artificielle” : JCP G 2018, 913), ainsi que par la variété des situations qui peuvent la générer.
L’indivision peut avoir différentes origines, que ce soit par exemple l’acquisition en commun d’un bien par plusieurs personnes, l’acquisition de droits indivis, la dissolution d’une communauté matrimoniale, d’une société ou d’une association. Cependant, la principale source d’indivision est la succession attribuée par la loi ou par la volonté du défunt à plusieurs personnes.
L’indivision successorale ou héréditaire, comme le décrit H. Capitant dans “L’indivision héréditaire” (Rev. crit. législ. et jurispr. 1924, p. 19 et 84), se produit presque inévitablement à chaque transmission d’un patrimoine d’une génération à une autre. C’est une conséquence directe du principe de la continuité de la personne du défunt.
Durant cette période d’indivision, les héritiers sont tenus de gérer les biens en parfaite entente. Ils jouissent de droits égaux sur les biens et doivent prendre des décisions de concert, qu’il s’agisse de la vente du bien, de sa conservation ou de sa répartition entre les héritiers. Dans la pratique, cela peut se révéler complexe, surtout si les héritiers ont des intérêts ou des perspectives divergents.
La durée de l’indivision successorale peut varier selon la volonté des héritiers et la complexité de la situation. Dans certains cas, les héritiers peuvent décider de mettre fin à l’indivision en procédant au partage des biens.
C’est à ce titre qu’est consacrée la liberté de sortie de l’article 815 du Code civil : « nul ne peut être contraint à demeurer en indivision, à moins qu’il n’ait été sursis par jugement ou autrement ». Le droit de demander le partage est inhérent à l’indivision. Cependant, quitter une indivision n’est pas chose facile et de nombreux conflits peuvent apparaître.
Du fait des crises qui peuvent surgir entre les indivisaires, l’indivision ne pourra dans certains cas être levée qu’avec l’intervention d’un juge. En effet, un principe de l’unanimité qui gouverne la gestion de l’indivision peut s’avérer être un frein dans certaines situations. La législation a ainsi introduit, dans certaines circonstances, des nuances, voire des exceptions significatives.
Un coïndivisaire pourrait effectivement, par sa seule abstention, entraver toute décision concernant les biens partagés qui doit être prise à l’unanimité. Afin d’éviter de telles situations de blocage préjudiciables à l’ensemble des indivisaires que la réforme de l’indivision opérée par la loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 (JO 1er janv. 1977) a prévu, dans les articles 815-4 à 815-7 du Code civil, divers cas d’intervention judiciaire dans la gestion de l’indivision.
La loi du 23 juin 2006, dans un souci de clarté, a regroupé ces dispositions, sans les modifier, dans un paragraphe 2, intitulé “Des actes autorisés en justice”, de la première section du chapitre du Code civil consacré au régime légal de l’indivision.
Elle a également introduit à l’article 815-3 du Code civil, la possibilité pour « le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis » de passer sans le consentement de leurs coïndivisaires certains actes d’administration voire de disposition. A travers cette nouvelle disposition la loi a remis en cause le droit individuel de tout indivisaire sur les biens indivis, que protège et exprime traditionnellement la règle de l’unanimité.
Ultérieurement, les lois n° 2009-526 du 12 mai 2009 et n° 2009-594 du 27 mai 2009 ont ajouté deux cas supplémentaires d’intervention judiciaire aux articles 815-5-1 et 815-7-1.
Il est toutefois essentiel de souligner qu’en vertu de l’article 1360 du Code de procédure civile, tel que stipulé dans le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006, l’assignation en vue du partage doit spécifier les efforts entrepris pour parvenir à un partage amiable, sous peine d’être irrecevable.
Il est donc primordial d’explorer au préalable les possibilités de mettre fin à l’indivision sans recourir à l’intervention du tribunal, car cette approche est sans conteste préférable à une procédure judiciaire. En effet, cette dernière est caractérisée par sa complexité, sa longue durée et son coût élevé, sans garantie que son résultat soit conforme aux attentes de la partie demanderesse.
I. FORMES DE SORTIE D’INDIVISION PAR VOIE JUDICIAIRE
Lorsqu’une demande de partage est formulée, mais que certains des indivisaires entendent demeurer dans l’indivision, le tribunal peut être sollicité afin que le demandeur au partage reçoive sa part sans que l’indivision soit close pour les autres.
Ce dispositif d’attribution éliminatoire intervient, sans préjudice de l’application des articles 831 à 832-3 du Code civil. Dans ce cas-là, il ne s’agit pas, à proprement parlé, d’un partage, mais d’une attribution de part en numéraire, à celui qui souhaite sortir de l’indivision.
La sortie d’une indivision peut également prendre la forme d’une autorisation. Celle-ci peut prendre la forme d’une représentation judiciaire en matière d’indivision.
En vertu de l’article 815-14 du Code civil, l’indivision peut également prendre fin par l’intermédiaire d’une cession des droits indivis, également connue sous le nom de cession de parts indivises.
L’article 815-14 alinéa 1er du Code civil dispose ainsi : « l’indivisaire qui entend céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l’indivision, tout ou partie de ses droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens est tenu de notifier par acte extrajudiciaire aux autres indivisaires le prix et les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d’acquérir ». Autrement dit, la cession de parts indivises désigne l’acte par lequel un copropriétaire d’un bien en indivision transfère tout ou une partie de ses droits sur le bien à un tiers.
Il faut préciser qu’un droit de préemption est prévu en la matière « le droit de préemption de l’art. 815-14 n’est applicable qu’en cas de cession de droits dans le bien indivis, non en cas de cession du bien indivis lui-même » (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 30 juin 1992, 90-19.052, publié au bulletin).
Cette solution offre aux indivisaires la possibilité de conclure un accord visant à rechercher une offre d’achat sur le marché pour le bien indivis, tout en reconnaissant à un autre copropriétaire un droit de préemption pour acquérir les parts des autres indivisaires.
L’objectif de ce droit de préemption est de préserver l’unité de l’indivision en évitant l’entrée d’une personne extérieure, ce qui maintient les liens affectifs et la cohésion entre les copropriétaires. Cependant, il est important de noter que l’exercice du droit de préemption peut également permettre à un copropriétaire de devenir le propriétaire exclusif du bien indivis en acquérant les parts des autres copropriétaires.
S’agissant de la demande de représentation de l’indivisaire, on distingue deux situations dans lesquelles le tribunal judiciaire peut intervenir. D’une part, l’article 815-4 du Code civil prévoit la possibilité d’organiser la représentation judiciaire d’un indivisaire incapable de donner son consentement.
D’autre part, l’article 815-5 permet à tout indivisaire, sous certaines conditions, d’obtenir l’autorisation de passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire.
Les dispositions de l’article 815-4 du Code civil peuvent être appelées à jouer lorsqu’un indivisaire est hors d’état de manifester sa volonté. Cette condition se trouve remplie quand ce dernier est dans l’impossibilité de manifester sa volonté en raison, par exemple de la maladie, de l’éloignement, ou le fait que l’on ne parvienne pas à entrer en contact avec l’indivisaire en question.
Le texte vise au premier chef le cas de la personne qui est dans l’incapacité de donner un consentement valable. Si elle ne fait pas l’objet d’une mesure de protection, il est incontestable que l’article 815-4 du Code civil pourra être utilisé pour la faire représenter. Il n’existe pas, pour l’article 815-4 de texte consacré à la mise en œuvre de cette procédure spécifique d’habilitation judiciaire.
En la matière, la jurisprudence a précisé les contours de cette action : « l’autorisation judiciaire prévue а l’art. 815-5 exige la preuve préalable que le refus opposé par l’un des indivisaires met en péril l’intérêt de tous les co-indivisaires, et pas seulement que l’opération projetée est avantageuse » (Paris, 25 janv. 1983: Gaz. Pal. 1983. 1. 190; RTD civ. 1984. 135, obs. Patarin).
Constitue une cause permettant l’autorisation, par exemple, l’aliénation d’un indivisaire : « le refus de l’un des indivisaires de consentir а l’aliénation des biens indivis pour assurer le paiement des droits de succession met en péril l’intérêt commun des indivisaires ; en effet, bien que constituant une dette personnelle de chaque héritier, les droits de succession peuvent être poursuivis solidairement contre les divers héritiers et sur les biens de la succession » (Cour de Cassation, Chambre Civile 1, du 14 février 1984, 82-16.526, publié au bulletin)
Un autre cas de figure qui peut exister, il s’agit de la possibilité pour le tribunal judiciaire, plus précisément son président, par ordonnance, d’ordonner une mesure urgente requise par l’intérêt commun.
Dans ce cas, il n’est pas nécessaire que l’un des indivisaires s’y oppose, il y a juste une urgence à agir pour préserver les biens indivis. Il peut s’agir d’interdire le déplacement de certains biens (815-7 du Code Civil), de faire nommer un séquestre (815-7 du Code Civil) qui permet la vente d’un bien indivis en cas de mesure urgente.
Enfin, la sortie d’une indivision est possible via licitation. La licitation (vente aux enchères du bien et partage par la vente des droits) est également envisageable ou simplement un partage judiciaire sans licitation lorsque cela est possible. L’article 1377 du Code de procédure civil rappelle que : « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ».
La licitation par voie judiciaire s’impose lorsque les indivisaires ne sont pas d’accord entre eux. Il est à noter que les motifs du désaccord peuvent être assez variés. Au premier chef, bien entendu, on trouve l’hypothèse dans laquelle certains indivisaires veulent sortir de l’indivision alors que les autres souhaitent y rester ; la licitation peut d’ailleurs alors être évitée si le mécanisme d’attribution judiciaire de part prévu à l’article 824 du Code civil trouve à s’appliquer.
Le tribunal ordonne la licitation après avoir apprécié, en circonstances, la difficulté que comporterait le partage ou encore l’attribution. Faute de jurisprudence récente, on peut s’inspirer de celle qui avait été formée sur le fondement de l’ancien article 827 du Code civil.
II. COMPÉTENCE JUDICIAIRE
Les indivisaires qui n’ont pas pu ou pas voulu procéder entre eux à un partage amiable de la succession peuvent saisir la juridiction compétente, exerçant une action pour réaliser le partage par voie judiciaire (C. civ., art. 840).
L’action en partage est envisageable au regard d’une indivision successorale simple mettant en présence les héritiers du défunt, mais aussi quand plusieurs indivisions se trouvent imbriquées.
Aux termes de l’article 840-1, « Lorsque plusieurs indivisions existent exclusivement entre les mêmes personnes, qu’elles portent sur les mêmes biens ou sur des biens différents, un partage unique peut intervenir ». Le cas est pratiquement fréquent.
La compétence du tribunal judiciaire est générale et exclusive, comme il est souligné, corroboré d’ailleurs par l’article 45 du Code de procédure civile. Territorialement, le tribunal judiciaire compétent est celui du lieu d’ouverture de la succession, c’est-à-dire du lieu du dernier domicile du défunt (article 720 du Code civil). C’est donc auprès de ce tribunal que la demande en partage initiale doit être déposée, toute autre juridiction saisie se déclarant incompétente.
Seul le tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession est compétent et peut être saisi par l’assignation d’un héritier avec représentation par un avocat obligatoire dans le cadre d’une procédure de sortie d’indivision.
L’article 841 du Code civil prévoit, en effet, que : « le tribunal du lieu d’ouverture de la succession est exclusivement compétent pour connaître de l’action en partage et des contestations qui s’élèvent soit à l’occasion du maintien de l’indivision, soit au cours des opérations de partage. Il ordonne les licitations et statue sur les demandes relatives à la garantie des lots entre les copartageants et sur celles en nullité de partage ou en complément de part ».
La jurisprudence précise en la matière que : « l’acte par lequel est déterminé le sort de certains biens de la succession s’impose aux indivisaires qui y ont été parties et fait obstacle а ce que l’un d’eux forme ultérieurement une demande de licitation » (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 20 janvier 1982, 80-16.909, publié au bulletin).
Le partage judiciaire est toujours une procédure longue et complexe du fait de son formalisme accru par la complexité de la plupart des situations entre co-indivisaires. Depuis la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, le partage amiable est la règle et le partage judiciaire l’exception.
Ce caractère subsidiaire du partage judiciaire est clairement exprimé par l’article 842 du Code civil qui affirme que les copartageants peuvent abandonner à tout moment les voies judiciaires pour poursuivre le partage à l’amiable si les circonstances s’y prêtent.
Voilà une faculté susceptible de favoriser un aboutissement plus rapide et à moindres frais, comme le souhaite le législateur. Cette possibilité facilite grandement l’aboutissement d’un partage par compromis, et allège la procédure de changement de procédure.
L’article 841 du Code civil confirme la compétence exclusive antérieurement dévolue au tribunal judiciaire du lieu de l’ouverture de la succession. Ainsi, ce tribunal est le seul compétent pour connaître de l’action en partage successoral et des contestations relatives au maintien de l’indivision ou aux opérations de partage. Ainsi encore est-il seul compétent pour ordonner les licitations et se prononcer sur les demandes touchant à la garantie des lots entre copartageants ou celles qui tendent à la nullité du partage.
La compétence exclusive du tribunal judiciaire exclut toute compétence d’une autre juridiction, quel que soit le montant de la succession (Cour de cassation 1re chambre civile du 12 juin 2013, n° 12-18.444 : JurisData n° 2013-012085). De même, une Cour d’appel ne saurait se prononcer sur des points réservés au tribunal judiciaire sans que ceux-ci aient été soumis à ce dernier.
Ainsi, après l’infirmation d’un jugement statuant sur une question préalable à un partage, comme des difficultés préliminaires au partage, il convient de renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire territorialement compétent afin qu’il soit procédé aux opérations de ce partage (Cour de cassation, chambre civile du 15 mai 1945 : D. 1945, jurispr. p. 231. – Cour de cassation, chambre civile du 14 mai 1954 : D. 1954, jurispr. p. 613).
Un notaire sera alors chargé de suivre les opérations de liquidation et de partage, d’établir un acte de partage ou un procès-verbal de difficultés en cas de contestation, relatant le résultat des opérations dans un état liquidatif soumis à l’homologation du tribunal.
III. COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE POUR EXERCER L’ACTION EN PARTAGE PORTANT SUR DES IMMEUBLES SITUÉS À L’ÉTRANGER
Les tribunaux français se reconnaissent incompétents pour connaître du partage d’immeubles situés à l’étranger dépendant d’une indivision successorale, post-communautaire ou seulement d’origine conventionnelle (Cour de cassation, chambre civile du 5 juillet 1933).
Cette solution constante (Cour de cassation 1re chambre civile du 24 novembre 1953 et Cour de cassation 1re chambre civile du 7 mars 2000) est appliquée strictement par les tribunaux français.
Le domicile en France du défunt ne permet pas d’écarter cette règle. Elle vaut si elle porte sur une demande d’évaluation des biens immobiliers exclusivement pour déterminer des masses de calcul (Cour de cassation 1re chambre civile du 7 janvier 1982).
Même si tous les indivisaires possèdent la nationalité française et malgré l’extension donnée par la jurisprudence aux articles 14 et 15 du Code civil qui fondent un privilège de juridiction sur la seule nationalité française d’une des parties au procès, il est admis que ces dispositions ne sont pas applicables aux demandes en partage portant sur des immeubles situés à l’étranger (Cour de Cassation, chambre civile du 5 juillet 1933, préc. Cour de cassation chambre civile du 5 mai 1959 et Cour de cassation, chambre civile du 16 juin 1959).
Il faut donc, en la matière, être très vigilant et se renseigner auprès d’un professionnel lors de l’accession à la propriété. Cette incompétence des juridictions Française emporte compétence du tribunal du lieu d’établissement de l’immeuble et donc, du droit local. Cette application conduit donc à beaucoup complexifier le règlement des différends.
SOURCES :
Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 30 juin 1992, 90-19.052, publié au bulletin : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007029062
Cour de cassation, Chambre Civile 1, du 14 février 1984, 82-16.526, publié au bulletin : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007012042
Cour de cassation, Chambre civile 1, du 20 janvier 1982, 80-16.909, publié au bulletin : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007008812
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