Qu’est-ce-que la réversion d’usufruit ?
L’usufruit est défini à l’article 578 du Code civil comme “le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance”. La répétition du mot “propriété” suscite d’emblée la comparaison.
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Le droit de propriété est le droit « le plus » complet, « le plus » absolu (pour reprendre la redondance de l’article 544 du Code civil), constitué de la réunion des trois prérogatives : l’usus, le fructus et l’abusus.
Le droit de propriété est constitué de trois attributs que l’on nomme l’usus, le fructus et l’abusus. Le démembrement de propriété est la séparation de ces trois droits entre deux personnes : l’usufruitier qui a l’usus et le fructus, et le nu-propriétaire qui a l’abusus
Ainsi l’abusus correspond au droit de disposer de la chose (la vendre, la donner, ou la détruire).
L’étymologie du terme « usufruit » correspond à la contraction entre le terme usus et fructus. Il est donc possible d’en déduire les droits que détient l’usufruitier.
En revanche, l’étymologie d’usufruit révèle son contenu : usu/fruit égale usus plus fructus.
L’usufruitier ne détient qu’un droit atrophié, amputé par rapport au propriétaire. Il détient l’usus et le fructus, malgré la lettre minimaliste du texte qui évoque seulement “le droit de jouir”. Par exemple, l’usufruitier peut habiter une maison, cultiver les terres, exercer une servitude et généralement tous les droits dont le propriétaire peut user, de la même manière que le propriétaire lui-même, à charge d’en conserver la substance.
De plus, l’usufruitier peut jouir de tous les fruits naturels, industriels ou civils produits par la chose, il peut les recueillir, les percevoir, les consommer, les dépenser ou les conserver librement.
Mais, alors que reste-t-il au maître de la chose ? Le maître ne conserve que l’abusus, mais un abusus dépouillé, qui ne lui permet plus de disposer absolument et physiquement de sa chose (en la détruisant), qui lui permet seulement d’en disposer juridiquement (en la vendant).
La terminologie de nu-propriétaire évoque ce « misérabilisme verbal », ce dépouillement du maître. Cette définition de l’usufruit, qui recèle « en quelques mots, l’entier droit de l’usufruit » est immuable. Résistant aux évolutions (d’esprit, de contexte, d’objet) et propositions (article 575 de l’avant-projet de réforme du droit des biens), l’usufruit qu’elle définit présente, pourtant, autant d’intérêts que d’inconvénients.
Il est important de noter que chacun détenant des droits différents, et bien que ceux-ci portent sur la même chose, il ne saurait à aucun moment y avoir indivision entre usufruitier et nu-propriétaire.
La mort éteint l’usufruit, quand bien même l’usufruit aurait été constitué pour une durée déterminée, au cours de laquelle survient la mort de l’usufruitier.
Toutefois, dans son arrêt du 6 novembre 2002, la Cour de cassation considère que la clause de réversion d’usufruit contenue dans un acte de donation s’analyse en une donation à terme de biens présents. Le droit d’usufruit du bénéficiaire lui est définitivement acquis dès le jour de l’acte, seul l’exercice de ce droit d’usufruit étant différé au décès du donateur.
La clause est considérée comme une mutation entre vifs. Le donataire a un droit actuel sur le bien dès le jour de l’acte bien que son exercice soit différé au décès du donateur. En effet, l’usufruit, par son caractère viager, est intransmissible à cause de mort et s’éteint automatiquement au décès de son titulaire. Le droit figure dans le patrimoine du bénéficiaire dès le jour de la donation, mais ne pourra être exercé qu’au décès du donateur.
Ainsi, le donateur consent, dans le même acte, deux donations entre vifs, l’une de la nue-propriété du bien ayant un effet immédiat et l’autre de l’usufruit de ce bien dont l’exercice est reporté au décès du donateur. En ce qui concerne l’usufruit, l’acte de disposition à titre gratuit contient deux clauses : la clause de réserve d’usufruit du donateur à son profit et la clause de constitution d’un usufruit successif (réversion d’usufruit au profit d’un membre de la famille, généralement l’époux, ou d’un tiers).
La clause de réversibilité au profit du conjoint survivant de l’usufruit réservé dans un acte de donation est publiée à la conservation des hypothèques en vertu des dispositions du 1° de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955 précité, qui prévoit que sont publiés au bureau des hypothèques les actes qui constatent entre vifs la constitution de droits réels immobiliers autres que les privilèges ou hypothèques.
Finalement l’usufruit présente d’incontestables avantages tant pour l’usufruitier qui peut continuer à profiter du bien que pour le nu-propriétaire qui est assuré de devenir à terme seul propriétaire. L’usufruit entraîne aussi de multiples inconvénients économiques et soulève de délicats problèmes juridiques.
I. Sources et caractères de l’usufruit
A. Sources de l’usufruit
L’usufruit peut être établi de différentes manières. Il peut résulter d’une décision légale, d’un testament, d’un contrat de mariage ou d’un accord entre les parties concernées. Sa durée peut être déterminée (par exemple, pour une période de 10 ans) ou être liée à la vie de l’usufruitier (jusqu’à son décès). Dans certains cas, l’usufruit peut également être viager, c’est-à-dire qu’il se termine à la mort de l’usufruitier
Usufruit par usucapion – Alors que l’article 579 du Code civil n’expose que l’usufruit légal et l’usufruit né de la volonté de l’homme, la jurisprudence reconnaît la possibilité d’un usufruit par usucapion, la jonction de possession étant d’ailleurs possible. L’intérêt pratique est évident pour le nu-propriétaire, admis à invoquer la possession de l’usufruitier à son bénéfice alors que lui-même n’a pas personnellement possédé.
L’usufruit par usucapion se conçoit en raison du caractère réel de l’usufruit, et trouve à s’appliquer aussi bien pour les meubles que pour les immeubles. Si l’article 2266, alinéa 2 du Code civil a parfois été mis en avant pour contester toute possession en matière d’usufruit, il faut préciser que le texte se limite à interdire de prescrire afin d’obtenir la nue-propriété, mais non l’usufruit.
Usufruits légaux – On peut distinguer le droit de jouissance légal et l’usufruit du conjoint survivant. S’agissant, d’une part, du droit de jouissance légal. Il résulte de l’article 386-1 du Code civil en vertu duquel « la jouissance légale est attachée à l’administration légale : elle appartient soit aux parents en commun, soit à celui d’entre eux qui a la charge de l’administration » ; il est assorti d’un terme extinctif fixé au seizième anniversaire de l’enfant et obéit bien entendu à des règles destinées à préserver les droits de l’enfant, puisqu’il ne s’agit pas d’enrichir les parents au détriment de leur enfant. Ainsi, l’article 587 du Code civil dispose-t-il, par exemple, que « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent […], l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».
Quant à l’usufruit du conjoint survivant. Trois situations doivent être distinguées :
- il se peut, tout d’abord, que l’époux prédécédé ait détenu des droits de propriété littéraire ou artistique sur ses œuvres, auquel cas l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit au profit du survivant, sous certaines conditions, mais quel que soit le régime matrimonial des époux, l’usufruit du droit d’exploitation dont l’auteur n’aura pas disposé ; un droit de suite y est assorti pendant 70 ans, en application de l’article L. 123-7 du même code ;
- il faut envisager ensuite, plus classiquement, l’hypothèse du prédécès d’un époux dans le cadre courant d’une dévolution légale ab intestat. L’article 757 du Code civil dispose que « si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux » ; il est donc important de déterminer en premier lieu si les enfants entrant en concurrence avec le conjoint survivant sont, ou non, issus du couple (P. Catala, La veuve et l’orphelin, Mél. J.-C. Soyer : LGDJ, 2000, p. 61) ;
- enfin, il faut que le conjoint prédécédé ait pu gratifier son époux par une libéralité. L’article 1094-1 du Code civil prévoit ainsi que « pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement. Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur ».
De manière générale, il faut se souvenir que le conjoint dispose, en vertu des articles 763 à 766 du Code civil, de droits au logement, d’habitation et d’usage du mobilier. L’article 764, alinéa 2 du Code civil précise que « la privation de ces droits d’habitation et d’usage exprimé par le défunt dans les conditions mentionnées au premier alinéa est sans incidence sur les droits d’usufruit que le conjoint recueille en vertu de la loi ou d’une libéralité, qui continuent à obéir à leurs règles propres ».
La conversion de l’usufruit du conjoint survivant, soit en capital (Code civil, article 761), soit en rente viagère (Code civil, article 759) peut être demandée aussi bien par le conjoint survivant que par les héritiers nus-propriétaires.
Certains usufruits naissent de la volonté de l’homme, c’est-à-dire, soit du contrat (très souvent une vente par laquelle le vendeur se réserve l’usufruit) soit d’une libéralité. Des remarques peuvent être formulées au sujet de chacune de ces sources
Lorsque le contrat est à l’origine de la constitution de l’usufruit, il ne doit pas être inspiré par la fraude : fraude fiscale ouvrant droit à « redressement » ou fraude aux droits des créanciers, ouvrant droit à l’action paulienne. Lorsque c’est par une libéralité que l’usufruit est institué, la donation comme le testament sont envisageables.
La donation d’usufruit peut porter sur un bien meuble : la jurisprudence admet en effet depuis longtemps qu’un don manuel puisse s’accompagner d’une réserve d’usufruit. Quant au legs d’usufruit, il peut prendre les formes les plus diverses : usufruit de l’ensemble de la succession (risque d’atteinte à la réserve héréditaire) ou d’une quote-part seulement, ou legs à titre particulier, éventuellement assorti de conditions, notamment la condition d’inaliénabilité du bien.
Usufruits judiciaires – Par cette expression, il s’agit de rendre compte de l’action du juge lorsqu’il décide d’accorder l’usufruit à un plaideur. Ce pouvoir lui est tout d’abord accordé lors de la procédure de divorce, lorsqu’il s’agit de statuer sur les modalités de la prestation compensatoire. L’article 274, 2° prévoit ainsi, pour les modalités de versement de la prestation en capital, ce qui est désormais la règle, « l’attribution […] d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier ».
L’usufruit d’origine judiciaire peut encore se rencontrer dans le cadre de l’obligation alimentaire. Il est en effet admis que le débiteur d’une obligation alimentaire puisse s’en décharger en cédant l’usufruit d’un bien : séparation de fait, séparation de corps en raison de la subsistance de l’obligation de secours, entretien et éducation des enfants à la suite du divorce.
B. Les caractères de l’usufruit
Caractère réel – En vertu de l’article 578 du Code civil, « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». Le titulaire du droit d’usufruit, à savoir l’usufruitier, détient sur le bien objet de l’usufruit un droit réel.
L’usufruit est un droit qui permet donc à celui qui le possède d’utiliser et de profiter des avantages d’un bien appartenant à autrui, tout en conservant la propriété de ce bien. En d’autres termes, il s’agit d’un droit d’usage et de jouissance temporaire d’un bien.
C’est donc directement sur la chose qu’il exerce le pouvoir que son droit lui confère. Le lien personnel éventuellement entretenu avec le nu-propriétaire n’est pas à considérer pour la nature de ce droit. Il est admis aujourd’hui que l’usufruit (droit réel) peut s’exercer sur une créance (droit personnel). Le caractère réel attaché à l’usufruit permet de le distinguer de la rente viagère ainsi que du bail.
Il doit également être différencié de la pleine et de la nue-propriété, ainsi que de ses démembrements comme la servitude, le droit d’usage et d’habitation ainsi que les droits d’usage traditionnels, le droit de superficie, l’emphytéose, le bail à construction et la concession. Par conséquent l’usufruitier n’a pas le droit de vendre le bien, car la propriété reste entre les mains du propriétaire, appelé nu-propriétaire.
Caractère autonome – En théorie, les droits d’usufruit s’exercent indépendamment de la nue-propriété ; usufruitier et nu-propriétaire s’ignorent. Les actions que chacun exerce en considération de ses droits respectifs sont indépendantes les unes des autres ; il ne saurait y avoir interférence.
Plusieurs articles du Code civil témoignent de cette autonomie, et notamment l’article 599 du Code civil. En particulier, il est important de noter que chacun détenant des droits différents, et bien que ceux-ci portent sur la même chose, il ne saurait à aucun moment y avoir indivision entre usufruitier et nu-propriétaire. En dépit de ce principe de stricte autonomie, la pratique révèle que d’inévitables conflits d’intérêts surgissent. Il est en effet difficile d’éviter toute concurrence lorsque les droits propres à chacun portent sur une même chose.
En particulier, la licitation en pleine propriété de biens appartenant à plusieurs nus-propriétaires ou à plusieurs usufruitiers appelle des solutions nuancées. Dans d’autres hypothèses, comme en matière de bail commercial, usufruitiers et nu-propriétaire doivent coopérer.
Caractère temporaire – Afin de ne pas compromettre le droit du nu-propriétaire sur la chose, le droit conféré à l’usufruitier ne peut être que temporaire. Un droit conféré à perpétuité ne peut être qualifié d’usufruit (1). Cependant, sa durée s’apprécie différemment selon que son bénéficiaire est une personne physique ou une personne morale.
S’il s’agit d’une personne physique, le principe veut que l’usufruit s’éteigne à sa mort pour, selon l’expression consacrée et évocatrice, « se reconstituer sur la tête du nu-propriétaire ». Ce principe admet toutefois des tempéraments, notamment en cas d’usufruits successifs et d’usufruits réversibles, le second usufruit étant dans cette dernière hypothèse qualifié de donation à terme de biens présents (2), l’intérêt de la solution résidant essentiellement dans des considérations fiscales. Lorsque l’usufruit est concédé au profit d’une personne morale, l’article 619 du Code civil dispose que « l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans », visa et formule ayant servi à asseoir récemment une décision remarquée de la Cour de cassation en ce domaine (3).
Selon la Cour de cassation, un usufruit peut être concédé au profit d’une personne morale, tout en étant indexé sur la durée de vie d’une personne physique, et l’usufruit revêt alors une nature viagère, dans la limite de 30 ans posée par l’article 619 précité (4).
Aux côtés de l’usufruit et des droits d’usage et d’habitation, il ne fait aucun doute désormais que puissent être créés par contrats des « droits réels de jouissance spéciale » dont la durée peut excéder 30 ans sans pour autant être perpétuels, échappant ainsi au principe posé par l’article 619 du Code civil et dont le champ se voit en conséquence limité à l’usufruit et aux droits d’usage et d’habitation (droit institué au profit d’une fondation d’utilité publique ayant vocation à la perpétuité : (5) ce qui pourrait signifier, puisqu’il s’agit d’un droit réel sui generis entre parties privatives (et non entre parties communes comme la Cour de cassation l’avait déjà admis jusqu’ici) que cette solution pourrait avoir vocation à s’appliquer en dehors du domaine de la copropriété. Cela réduirait en pratique le recours à l’usufruit, chaque fois que son caractère temporaire serait considéré comme un frein à son utilisation.
Caractère aléatoire – Calqué sur la durée de vie de l’usufruitier, l’usufruit revêt un caractère aléatoire. Des méthodes d’évaluation de l’usufruit ont alors été dressées, en fonction du degré probable de mortalité de l’usufruitier.
La référence se situe aux articles 669, I et 669, II du CGI. Il est également nécessaire de prendre en compte, le cas échéant, la réserve héréditaire, de même que l’action en rescision ou en complément de part, ainsi que l’hypothèse de la vente simultanée et globale de l’usufruit et de la nue-propriété.
Selon la Cour de cassation, puisque « l’article 669 du Code général des impôts, que ce soit en son premier ou son second paragraphe, ne distingue pas entre personnes physiques et morales pour l’évaluation de l’usufruit » ces règles, permettant de déterminer la valeur d’un usufruit en fonction de l’âge de l’usufruitier, sont applicables aux usufruits détenus par des personnes morales (6). La position de la juridiction administrative à cet égard reste à connaître.
Le caractère nécessairement temporaire de l’usufruit conduira certainement les parties à lui préférer, dans un certain nombre d’hypothèses, un autre droit réel de jouissance, la Cour de cassation ayant considéré sur le fondement des articles 544 et 1134 anciens du Code civil (devenus Code civil, article 1103) que « le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien » pour une durée allant au-delà de la limite fixée par le Code civil pour l’usufruit. La libéralisation des droits réels permet ainsi aux parties d’avoir contractuellement la maîtrise de la durée du droit créé.
C. Imputation des libéralités en usufruit
A l’occasion d’un arrêt rendu le 22 juin 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de l’imputation des libéralités en usufruit : lorsque ces libéralités sont faites hors part successorale, l’imputation se fait-elle en valeur ou en assiette ?
Dans le silence de la loi, on sait que, jusqu’à ce jour, deux méthodes prospéraient. D’une part la méthode de l’imputation « en valeur » qui invite à convertir la libéralité en usufruit à l’effet de l’imputer pour sa valeur en pleine propriété. D’autre part celle de l’imputation « en assiette » (dominante dans la doctrine patrimonialiste) qui commande d’opérer sur un secteur dédié en tenant compte de l’objet de la libéralité.
Ce choix méthodologique n’est pas sans conséquence car en fonction de la méthode de calcul adoptée, on parvient à des résultats radicalement différents : convertir permet souvent de préserver la libéralité en usufruit de toute réduction ; ne pas le faire conduit à l’effet inverse.
Dans cette affaire, un homme décédé en décembre 2012, laissé derrière lui sa concubine et une fille issue d’une précédente union. Par souci de ne pas laisser sa compagne démunie après sa mort, l’homme avait rédigé un testament olographe en date du 25 mai 2011, dans lequel il léguait l’usufruit de la maison qu’ils occupaient.
Cependant la maison représentait une part importante de son patrimoine, ce qui conduit la fille du défunt a intenté une action en réduction du legs. Dans une décision du 2 octobre 2020, la cour d’appel de Reims (n° 19/02436) rejete la demande de réduction du legs formulée par la fille du défunt.
Les juges du tribunal ont justifié leur décision en considérant que la valeur du bien immobilier légué à la compagne du défunt, estimée à soixante pour cent de sa valeur en pleine propriété (soit 60 % de 240 000 €, soit 144 000 €), n’excédait pas le montant de la quotité disponible (évaluée à 191 500 €), et n’entraînait donc pas de droit à réduction en faveur de l’héritière réservataire.
Un pourvoi est alors formé par la fille du défunt, elle invoque alors que “lorsqu’il y a un legs en usufruit portant sur un bien immobilier dont la valeur dépasse celle de la quotité disponible, cela porte atteinte à la réserve, et l’héritier réservataire ne peut pas jouir en pleine propriété de la part qui lui est réservée par le législateur.”
La première chambre civile se prononce alors en faveur d’une imputation en assiette. Elle retient ainsi qu’il se déduit de l’article 913 du code civil, dont il résulte qu’aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi, et de l’article 919-2 du même code, aux termes duquel la libéralité faite hors part successorale s’impute sur la quotité disponible, l’excédent étant sujet à réduction, que les libéralités faites en usufruit s’imputent en assiette.
Il faut donc retenir que les libéralités en usufruit s’imputent en assiette et non en valeur comme on l’admettait antérieurement (Cour de cassation, 1re chambre civile, 22 juin 2022 – n° 20-23.215).
Dorénavant, la seule méthode qui vaille est celle de l’imputation « en assiette », même si l’on constate, chiffres à l’appui, qu’elle multiplie les risques de réduction. Il en résulte, sans conteste, une meilleure protection pour les réservataires. Mais, par contraste, ce choix méthodologique implique une menace plus grande pour les bénéficiaires de libéralités en jouissance, à l’exception toutefois du conjoint survivant, qui seul peut bénéficier librement de l’usufruit de la réserve (C. civ., art. 1094-1).
Par ailleurs, il est possible de noter que la commission chargée de réfléchir à l’avenir de la réserve héréditaire s’est prononcée en faveur d’une adoption législative en ce sens (C. Pérès et P. Potentier [dir.], La réserve héréditaire, Rapport du groupe de travail (Dacs), déc. 2019, nos 416 s. : v. la proposition n° 26 du rapport : écriture d’un nouvel article 913-3 qui énoncerait « Les libéralités faites en nue-propriété ou en usufruit s’imputent en assiette »).
II. La réversion d’usufruit
A. Notion des réversions d’usufruit
L’usufruit réversible est une forme de donation courante qui se trouve dans une clause d’un acte de donation : elle consiste lors d’une donation avec réserve d’usufruit, c’est-à-dire lorsque le donateur donne la nue-propriété d’un bien, mais se réserve l’usufruit jusqu’à son décès, d’assurer la réversion de l’usufruit au profit du conjoint survivant lors du décès. Par exemple, vos parents ont décidé de vous donner la nue-propriété de leur appartement lyonnais tout en gardant l’usufruit. Si votre père décède, l’usufruit, grâce à la réversion, est conservé par votre mère.
En revanche, lorsque votre mère décèdera à son tour, l’usufruit vous sera transmis et vous obtiendrez de cette façon la pleine propriété de l’appartement. La réversion d’usufruit est donc une clause qui permet d’assurer une protection efficace aux époux. En effet, l’usufruit ne prend pas fin au décès de l’un ou de l’autre des époux, mais au décès du dernier d’entre eux.
En d’autres termes, sous cette expression inexacte, on évoque la pratique consistant à se réserver un usufruit jusqu’au décès du donateur et à stipuler un second usufruit au profit d’un tiers, généralement le conjoint, qui en sera titulaire jusqu’à son propre décès.
Contrairement à ce que les termes usufruit réversible peuvent laisser penser, ce n’est pas un usufruit unique qui serait transmis au tiers après le décès de l’usufruitier en premier. La réversion d’usufruit est une donation de bien présent dont l’effet est différé. Néanmoins, une telle donation entre époux reste révocable ad nutum, car elle ne prend pas effet au cours du mariage (Code civil, article 1096).
Il convient de préciser que les causes légales de révocation de droit commun restent applicables (ingratitude et inexécution des charges), sauf la survenance d’enfants.
A titre d’illustration, l’article 858 bis, § 3, du Code civil belge dispose que : « Le conjoint survivant qui vient à la succession recueille, au décès du donateur, l’usufruit des biens que celui-ci a donnés et sur lesquels il s’est réservé l’usufruit, pour autant que le conjoint ait déjà cette qualité au moment de la donation et que le donateur soit resté le titulaire de cet usufruit jusqu’au jour de son décès. ».
Par exemple, aux termes de l’article 858 bis, § 3, du Code civil belge : « Le conjoint survivant qui vient à la succession recueille, au décès du donateur, l’usufruit des biens que celui-ci a donnés et sur lesquels il s’est réservé l’usufruit, pour autant que le conjoint ait déjà cette qualité au moment de la donation et que le donateur soit resté le titulaire de cet usufruit jusqu’au jour de son décès. ».
Ainsi, dans l’hypothèse d’une succession soumise au droit belge, le conjoint survivant bénéficiera automatiquement d’un usufruit « successif » (au sens du droit belge, lequel se rapprocherait d’une réversion d’usufruit au sens du droit français) sur les biens dépendants de la succession (y compris situés en France), et alors même que la donation initiale n’aurait pas prévu de clause de réversion d’usufruit. Il est cependant possible, de manière conventionnelle avec l’accord du conjoint, d’écarter expressément cet usufruit « successif » (au sens du droit belge).
En présence d’une clause de réversion d’usufruit au sein d’une donation en nue-propriété d’un bien commun, l’enfant donataire est tenu, au décès du conjoint prémourant, de rapporter à la succession la moitié de la valeur de la nue-propriété appréciée en fonction de l’âge de l’usufruitier au jour du partage. Au décès du conjoint survivant, le rapport est dû à hauteur de la moitié de la pleine propriété du bien, en raison de l’extinction de l’usufruit (7). La réversion est réalisée par la technique de l’usufruit successif.
Lorsqu’il existe un usufruit successif, la vente du bien ne peut pas pratiquement être réalisée sans l’accord du titulaire de cet usufruit successif. À défaut, au décès de l’usufruitier actuel, le bien vendu se trouverait soumis à l’usufruit successif.
Ainsi, la renonciation à l’usufruit suppose l’intervention du bénéficiaire de la réversion d’usufruit (8).
B. Taxation des réversions d’usufruit
René Beaumont attire l’attention de Mme la ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi sur le problème de taxation de la réversion d’usufruit.
Dans le cadre du règlement d’une succession, l’administration fiscale a procédé à un redressement au motif que la réversion d’usufruit au profit du conjoint survivant sur un bien donné en nue-propriété aux héritiers n’avait pas été taxée.
Dans sa prise de position, l’administration fiscale va à l’encontre de l’arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 8 juin 2007 ( qui met fin à une opposition entre la chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation sur l’opportunité de la taxation de ces réversions) et de la loi n° 2007-1223 dite TEPA du 21 août 2007 qui dispose que la réversion d’usufruit au profit du conjoint survivant ne doit pas faire l’objet d’une taxation dans le cadre du règlement successoral.
Il lui demande de bien vouloir lui faire connaître la position de l’administration fiscale et notamment sa position sur les bénéficiaires de réversions d’usufruit ouvertes avant le 22 août 2007, date d’entrée en vigueur de la loi TEPA.
Réponse du Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi publiée dans le JO Sénat du 21/08/2008 – page 1653. Le Code général des impôts dans son article 796-0 précise que « les réversions d’usufruit relèvent du régime des droits de mutation par décès ». Aussi, elles sont taxables dès lors que le stipulant décède.
Toutes les réversions d’usufruit sont visées par cette disposition légale. En d’autres termes, peu importe que le bénéficiaire de la réversion soit le conjoint, un enfant, un proche parent, la réversion d’usufruit répond quand même aux droits de succession.
Cependant, certains bénéficiaires jouissent d’avantages et sont exonérés de droits de succession :
- Lorsque la réversion d’usufruit est faite au profit de l’époux survivant, ce dernier sera exonéré de droits de mutation. Cette exonération est valable pour toutes les réversions faites depuis le 22 août 2007, quand bien même l’acte de donation est antérieur à cette date. En effet, les successions entre époux sont exonérées.(article 796-0 quater du CGI).
- Les partenaires liés entre eux par un PACS verront eux aussi leurs successions exonérées.(dans le cadre des décès survenus dès le 22 août 2007, même si l’acte instituant la réversion est antérieur à cette date).
- Enfin, les frères ou sœurs vivant ensemble seront exonérés de droits de succession au décès.
En ce qui concerne les autres bénéficiaires, la réversion d’usufruit sera soumise aux droits de succession. La taxe sera appliquée en fonction du lien de parenté entre le bénéficiaire de la réversion et le donateur décédé.
Pour ces derniers qui ne sont pas exonérés de droits de succession, la liquidation des droits de mutation par décès comporte l’application d’un ou plusieurs abattements sur le montant de chacune des parts taxables, puis la liquidation des droits proportionnels ou progressifs exigibles et, s’il y a lieu, l’application d’une réduction sur les droits ainsi liquidés dont le champ d’application a été réduit dans le cadre des décès survenus à compter du 1er janvier 2017.
Sources :
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007012942?init=true&page=1&query=82-16.003&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000017894734?init=true&page=1&query=05-10.727&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000017825884?init=true&page=1&query=06-12.568&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037473955?init=true&page=1&query=16-26.503&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000033109101?init=true&page=1&query=14-26.953&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037473955?init=true&page=1&query=16-26.503&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000033997782?init=true&page=1&query=15-26.078++&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022395901?init=true&page=1&query=09-12.433+&searchField=ALL&tab_selection=all
- Mélanie Jaoul – « De l’imputation en assiette des libéralités en usufruit faites hors part successorale » le 5 juillet 2022 (Dalloz Actualités)
- Commentaire par Marc Nicod et Alex Tani – « Consécration de l’imputation « en assiette » des libéralités en usufruit » – Octobre 2022 (Lexis)
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