Nullité pour insanité d’esprit et curatelle
Une personne sous curatelle peut-elle faire des actes réguliers ?
La Cour de cassation chambre civile 1re du 15 janvier 2020, F-P+B+I, n° 18-26.683 a rendu une décision dans laquelle elle estime que « Le respect des dispositions relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit ». (1)
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De plus auparavant, dans un arrêt de rejet prononcé le 27 juin 2018 (2), la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a été invitée à trancher la question de savoir si, pour contester la validité d’un acte de vente signé par le de cujus faisant l’objet d’une mesure de curatelle renforcée et l’assistance de sa curatrice, l’héritier devait rapporter la preuve d’un trouble mental au moment de la signature de l’acte. Nous traiterons de cette question au sein de cet article.
Le Code civil ne définit pas l’insanité d’esprit. C’est à la jurisprudence qu’est revenue cette tâche.
Dans un arrêt du 4 février 1941, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insanité d’esprit doit être regardée comme comprenant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée » ( civ. 4 févr. 1941). Ainsi, l’insanité d’esprit s’apparente au trouble mental dont souffre une personne qui a pour effet de la priver de sa faculté de discernement.
Il peut être observé que la Cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur la notion d’insanité d’esprit, de sorte que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (V. notamment en ce sens 1re civ., 24 oct. 2000) (3).
Les régimes de la curatelle et de la tutelle ont été simplifiés et harmonisés depuis la loi du 5 mars 2007. Ils constituent les deux régimes de protection durable des majeurs.
Aux termes de l’article 440 du Code civil, tel qu’il résulte de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, “la personne qui, sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin, pour l’une des causes prévues à l’article 425” – c’est-à-dire une altération des facultés personnelles médicalement constatée –, “d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle. La curatelle n’est prononcée que s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante”.
Instaurée par la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968, la curatelle figure parmi les trois mesures de protection susceptibles d’être ordonnées à l’égard d’une personne vulnérable. La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, a maintenu l’institution, tout en limitant les conditions de son ouverture.
Le juge fixe la durée de la curatelle ou de la tutelle sans que celle-ci puisse excéder 5 ans. Toutefois, lorsque l’altération des facultés personnelles de l’intéressé n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, il peut prononcer une tutelle (mais non une curatelle) pour une durée maximale de 10 ans.
Le juge statue alors par une décision spécialement motivée et sur avis conforme d’un médecin inscrit sur la liste établie par le procureur de la République. Cet avis du médecin ne concerne pas la durée de la mesure, laquelle relève de l’office du juge. Il porte sur le constat que l’altération des facultés personnelles de l’intéressé n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science (2).
Le juge ne peut fixer la durée de la tutelle à 120 mois en se bornant à énoncer que cette durée est adaptée à l’état de santé de l’intéressée. L’avis conforme d’un médecin inscrit est indispensable de même que la motivation spéciale de la décision du juge sur ce point (3).
Une donation peut être annulée, s’il est établi qu’au moment où elle a été consentie, le disposant ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés intellectuelles. Selon l’article 901 du Code civil : « Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit ».
En réalité, ce texte ne fait que répéter une règle aujourd’hui formulée en termes généraux pour tous les actes juridiques à l’article 1129 du même Code : « Il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat ». Ces deux règles ont un contenu identique : le consentement requis pour donner ne diffère pas de celui qui est exigé pour contracter une obligation quelconque. Le trouble mental qui annule le contrat s’apprécie de la même façon dans les actes gratuits et onéreux.
La nullité pour insanité d’esprit est plus fréquemment invoquée à l’encontre des testaments : les héritiers contestent volontiers le testament qui leur nuit et, devant un acte tout à la fois unilatéral et à cause de mort, le testateur est spécialement vulnérable. On pourrait penser en revanche que la présence du notaire et le dépouillement immédiat qui accompagne la donation préservent suffisamment le donateur pour exclure ce contentieux. Pourtant, l’insanité d’esprit n’épargne pas les actes entre vifs : la nullité a ainsi été admise contre des donations par acte notarié et même contre une donation par contrat de mariage ainsi qu’une donation entre époux. De façon moins inattendue, elle l’a été plus fréquemment à l’encontre de donations déguisées, ou de dons manuels.
En outre, le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit.
I. La curatelle et celles afférentes à la nullité pour insanité d’esprit.
A. Faits et Procédures
En l’espèce, un individu souscrivait un contrat d’assurance sur la vie le 12 février 2005. Il signait, le 17 juin 2010, un premier avenant modifiant la clause bénéficiaire. Le 9 novembre 2010 il était placé sous le régime de la curatelle simple puis, le 8 janvier 2012, sous celui de la curatelle renforcée. Le 15 septembre 2014, dans un nouvel avenant au contrat, il modifiait une seconde fois la clause bénéficiaire en étant assisté de son curateur. Il décédait le 18 décembre 2014.
Sur requête de sa veuve, et en application du principe selon lequel pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit, le tribunal prononçait la nullité du premier avenant. En revanche, cette juridiction estimait que le second avenant était valide. En effet, les juges du fond observaient que le titulaire du contrat avait, en 2014, modifié la clause bénéficiaire par l’intermédiaire de son curateur qui avait daté et signé l’avenant.
En outre, ils constataient qu’aucun manquement du curateur à ses obligations, consistant à s’assurer de la volonté du majeur protégé et de l’adéquation de sa demande avec la protection de ses intérêts, n’était relevé. Rappelons qu’en principe, pour éviter des difficultés de preuve, l’action en nullité pour insanité d’esprit ne peut pas être intentée après la mort de l’auteur de l’acte critiqué.
Ce n’est que dans des cas exceptionnels que l’action post mortem est admise par le législateur. L’article 414-2, 3°, du Code civil n’autorise en effet cette action que dans des cas où l’insanité d’esprit paraît vraisemblable, et notamment, comme c’était le cas en l’espèce, lorsqu’une action aux fins de tutelle ou de curatelle a été introduite avant le décès ou si effet a été donné au mandat de protection future.
En l’espèce, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel ayant déclaré le second avenant valable. Les hauts magistrats rappellent le principe selon lequel « le respect des dispositions relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit ». Ce faisant, ils en déduisent que pour écarter l’argument de la veuve, relatif à l’existence d’un trouble mental au moment de la conclusion du contrat d’assurance sur la vie litigieuse, les juges du fond ont statué par des motifs impropres.
Cette cassation partielle tire, sans surprise, les conséquences de l’article 466 du Code civil selon lequel les articles 464 et 465 de ce Code, relatifs à la régularité des actes accomplis par une personne protégée, ne font pas obstacle à l’application des dispositions relatives à la nullité pour insanité d’esprit.
En d’autres termes, selon cet article, y compris dans le cas où une action a été introduite aux fins d’ouverture d’une curatelle au profit du contractant, les héritiers peuvent toujours agir en nullité pour insanité d’esprit.
D’ailleurs, observons que sans aucune ambiguïté, les dispositions relatives à la nullité pour insanité d’esprit, prévues aux articles 414-1 et 414-2 du Code civil, figurent dans une section du code civil intitulée « des dispositions indépendantes des mesures de protection ». En application de ces fondements, la jurisprudence a déjà considéré que l’autorisation donnée par le juge des tutelles de vendre la résidence d’un majeur protégé ne fait pas obstacle à l’action en annulation, pour insanité d’esprit, de l’acte passé par celui-ci (4).
Doit être également annulé le testament rédigé par un majeur placé sous curatelle renforcée qui présentait une fragilité et suggestibilité médicalement constatée et qui a été victime de manœuvres frauduleuses ayant déterminé son consentement (Cass. 1re civ., 17 févr. 2010) (5).
L’insanité d’esprit d’une personne sous curatelle peut être combattue de plusieurs manières. Il est possible d’abord de reconnaître un trouble mental, d’une gravité telle qu’il soit nécessaire d’ouvrir une curatelle ou une tutelle, en fonction du degré d’altération des facultés personnelles du majeur à protéger (C. civ., art. 428), la mesure devant être individualisée par rapport à sa situation effective. Néanmoins les mesures de protection peuvent viser toute altération des facultés personnelles et pas uniquement les troubles mentaux. L’altération médicalement constatée doit être également de nature à empêcher l’expression de sa volonté (C. civ., art. 425).
B. La position et portée de l’arrêt de la Haute Cour
En l’espèce, la position de la première Chambre civile, rendue au triple visa des articles 414-1, 414-2, 3° et 466 du Code civil est donc logique. Elle repose sur deux évidences complémentaires. Primo, le respect des règles de capacité ne protège pas contre le risque d’annulation de l’acte pour insanité d’esprit (Cour de cassation 1re chambre civile du 27 juin 2018, n° 17-20.428). Secundo, le placement sous le régime de la curatelle ne fait pas à lui seul présumer le trouble mental.
Enfin, cet arrêt est indirectement 6’occasion de se souvenir d’une différence essentielle entre l’insanité d’esprit, visée par l’article 414-1 du Code civil et l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, incriminée par l’article 223-15-2 du Code pénal. En effet, pour être caractérisée, cette infraction ne nécessite pas d’apporter la preuve d’une altération des facultés mentales (6).
II. Nullité des actes juridiques pour insanité d’esprit
L’insanité d’esprit est une protection occasionnelle qui sanctionne par la nullité de droit de l’acte juridique l’absence de consentement. La charge de la preuve qui incombe au demandeur peut être rapportée par tous moyens, dont la présomption judiciaire. Le défendeur doit alors établir l’intervalle lucide. La nullité est néanmoins inopposable au tiers acquéreur de bonne foi.
Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.
Que l’on doit exactement entendre par consentement ?
Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.
L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses. L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental, le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale.
Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments, le consentement doit exister et le consentement ne doit pas être vicié. En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.
Le nouvel article 1129 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 ( 7) apporte une précision dont il n’était pas fait mention dans le droit antérieur.Cette disposition prévoit, en effet, que « conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat. ».
A) Insanité d’esprit et incapacité juridique
L’insanité d’esprit doit impérativement être distinguée de l’incapacité juridique
L’incapacité dont est frappée une personne a pour cause. Soit la loi. Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice général dont sont frappés les mineurs non émancipés. Soit une décision du juge. Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice dont sont frappées les personnes majeures qui font l’objet d’une tutelle, d’une curatelle, d’une sauvegarde de justice ou encore d’un mandat de protection future.
L’insanité d’esprit n’a pour cause la loi ou la décision d’un juge : son fait générateur réside dans le trouble mental dont est atteinte une personne. Aussi, il peut être observé que toutes les personnes frappées d’insanité d’esprit ne sont pas nécessairement privées de leur capacité juridique.
Réciproquement, toutes les personnes incapables (majeures ou mineures) ne sont pas nécessairement frappées d’insanité d’esprit.
En effet, les personnes placées sous curatelle ou sous mandat de protection future sont seulement frappées d’une incapacité d’exercice spécial, soit pour l’accomplissement de certains actes (les plus graves).
L’article 1129 du Code civil jouit donc d’une autonomie totale par rapport aux dispositions qui régissent les incapacités juridiques. Il en résulte qu’une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit pourrait indifféremment être engagée à l’encontre d’une personne capable ou incapable.
B) Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit
Seule l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte peut justifier la nullité de l’acte. C’est à ceux qui agissent en nullité de prouver l’existence de ce trouble mental (Code civil, article 414-1). Toute la difficulté réside donc dans la preuve de l’altération des facultés mentales.
Pour réaliser un acte juridique valable (tel que, par exemple, l’achat ou la vente d’un bien, se marier, divorcer, signer un contrat), il faut être “sain d’esprit” (en référence à l’article 414-1 du Code civil).
Cette présomption s’applique à toute personne majeure et par conséquent, pour faire annuler un acte, il faudra prouver qu’au moment où il a été conclu, la personne souffrait d’un trouble mental.
L’origine du trouble mental peut concerner les adultes vulnérables et avoir différentes causes, comme par exemple, les troubles liés au vieillissement, les maladies psychiques, les conduites addictives. Néanmoins et juridiquement, de simples troubles psychologiques ne constituent pas un trouble mental suffisant pour annuler un acte.
Les juges apprécient souverainement cette altération. Le trouble mental dont la preuve doit être rapportée doit exister au moment précis où l’acte a été fait (8). Il ne suffit pas de prouver que le trouble existait avant et après l’acte litigieux.
La preuve de l’existence du trouble mental peut être apportée par tous moyens. Lorsque le requérant apporte des éléments pour prouver l’altération de ses facultés personnelles au moment où les actes ont été passés, il appartient aux juges du fond de répondre à ses conclusions. À défaut, l’arrêt d’appel est annulé (9).
L’action en nullité se prescrit par le délai de 5 ans prévu à l’article 2224 du Code civil. Mais ce délai est suspendu dès que la personne n’est plus en mesure de contester la validité d’actes juridiques. Tel est le cas d’une personne reconnue médicalement atteinte d’un trouble mental depuis 1979 qui a conclu une convention de bail en septembre 1980, avant son placement sous tutelle le 2 mars 1993.
Pour la Cour de cassation, l’intéressée était dans l’impossibilité d’agir en justice dès la date de conclusion de cette convention, jusqu’à son placement sous tutelle. En conséquence, la prescription quinquennale avait été suspendue pendant cette période (8) (10).
La prescription de l’action en nullité d’un acte à titre gratuit pour insanité d’esprit engagée par les héritiers ne peut commencer à courir avant le décès du disposant (9) (11).
Du vivant de la personne, l’action en nullité ne peut être exercée que par elle. La personne qui a contracté avec le majeur ne peut demander la nullité de l’acte.
C) La charge de la preuve de l’insanité et la liberté des moyens
Le premier arrêt ne s’étend pas outre mesure sur la démonstration de l’absence de consentement au moment précis de l’acte, instant décisif à bien identifier selon le type d’acte, qui est l’exigence à respecter pour obtenir le jeu de la sanction pour défaut d’un élément essentiel de l’acte juridique. Il est simplement évoqué la nullité prononcée en raison de l’insanité d’esprit du vendeur, sur le fondement de l’ancien article 489 du Code civil, c’est-à-dire dans sa rédaction applicable à la cause, antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 (12) portant réforme de la protection juridique des majeurs. La solution est identique à la suite de cette réforme, en se reportant alors à l’article 414-1 du même code.
Un point n’est pas discuté devant les juges, concernant la pluralité de parties du côté de ceux sollicitant la nullité pour insanité. On mettra de côté l’allusion à l’abus de faiblesse, infraction de l’article 223-15-2 du Code pénal, qui peut, à certaines conditions, avoir des répercussions sur la validité d’un acte juridique.
S’agissant d’établir un fait juridique, les moyens de preuve sont libres, comme des témoignages, par exemple. La preuve par tous moyens est accueillie du vivant de l’auteur de l’acte et après son décès, alors une fois les cas d’ouverture respectés. Chacun devine que pour démontrer rétroactivement un état de santé à un moment donné, preuve difficile, les éléments médicaux auront un rôle important, lorsqu’on en dispose. L’existence d’une mesure de protection juridique antérieure et/ou postérieure à l’acte litigieux n’est pas en elle-même décisive. Elle reste un indice précieux qui permet de retenir, à l’occasion, l’insanité. Toutefois, il n’y a aucun automatisme, d’autant plus que la jurisprudence le rappelle, comme elle souligne que la cause de l’altération des facultés personnelles, qui peut justifier, avec d’autres données, l’ouverture d’une mesure de protection juridique, est à distinguer de l’insanité.
D) Décès de l’auteur de l’acte : action pour insanité d’esprit exercée par les héritiers
Il s’agit de l’action propre de l’héritier sur le fondement de l’insanité après le décès de son auteur n’ayant pas, lui, amorcé auparavant la critique en justice (son action qui aurait débuté du vivant de l’auteur de l’acte n’est donc pas transmise et reprise).
Dans une telle hypothèse, pour un acte à titre onéreux comme la vente, non pour les libéralités, il est nécessaire de se trouver dans un des cas légaux alternatifs d’ouverture de l’action, dont la fameuse preuve intrinsèque. Telle était bien la situation, avec l’action et même l’ouverture effective de la tutelle avant la mort, peu important qu’elle ait été précédée par la sauvegarde de justice. La succession de régimes n’a pas d’incidence dès lors qu’une tutelle était bien ouverte avant le décès.
Après sa mort, les actes faits par une personne ne peuvent être attaqués par ses héritiers pour insanité d’esprit que dans les trois cas suivants :
Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ; la loi vise tous les troubles mentaux, quelle que soit leur origine (Cour de cassation, 1re chambre civile du 12 novembre 1975, n° 74-12.097) (13)
S’il a été fait dans un temps où la personne était placée sous la sauvegarde de justice ;
Si une action avait été introduite avant le décès afin de faire ouvrir la tutelle ou la curatelle ou aux fins d’habilitation familiale ou s’il a été donné effet au mandat de protection future. Les juges exigent qu’une requête ait été déposée devant le juge des tutelles accompagnée du certificat médical (Cour de cassation, 1re chambre civile du 11 mars 1975, n° 73-12.687).
Toutefois, ces limites ne s’appliquent pas lorsque l’acte est une donation entre vifs ou un testament.
Lorsqu’ilapparaît qu’avant son décès, l’intéressé a été placé sous sauvegarde de justice et qu’une action en justice a été introduite afin de faire ouvrir une tutelle ou une curatelle, la preuve de l’existence d’un trouble mental au moment de la souscription de l’acte litigieux peut être apportée par tous moyens (Cour de cassation 1re chambre civile du 20 juin 2012, n° 10-21.808)(14). Cette solution, fondée sur les anciens articles 489 et 489-1 du Code civil, reste valable, ces dispositions ayant été reprises par les articles 414-1 à 414-3 du même Code.
La décision souligne justement que la charge de la preuve incombe à celui qui attaque l’acte pour insanité, comme la loi l’indiquait hier et aujourd’hui encore. Elle le fait dans la réponse à la question sur le mode de preuve retenu. La troisième chambre civile de la Cour de cassation évoque également le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Ceux-ci apprécient librement les preuves fournies et en déduisent ou non le trouble mental de l’instant de la manifestation du consentement afin de déterminer si son existence est bien réelle.
E) Nullité pour insanité d’esprit : éléments de jurisprudence
Dès lors qu’il est établi que la personne, placée sous tutelle en juillet 2002, présentait une altération de ses capacités physiques et intellectuelles de type maladie d’Alzheimer à compter de l’année 2000, les juges ont pu considérer qu’elle était insane d’esprit au moment où elle a signé, en mai 2000, les avenants à des contrats d’assurance-vie, une donation et le testament olographe. L’annulation de ces actes est ainsi confirmée (Cour de cassation 1re chambre civile du 6 janvier 2010, n° 08-14.002).
Un testament établi par une personne sous sauvegarde de justice à l’époque de sa rédaction et placée sous tutelle par la suite, est annulé après son décès. Les juges établissent l’existence, à l’époque de l’acte litigieux, de la cause ayant déterminé l’ouverture de la tutelle par la demande même de mesure de protection et des examens médicaux.
En outre, la notoriété de cette cause résultait également de lettres écrites avant l’acte par le maire de la commune et un des témoins au testament (Cour de cassation 1re chambre civile du 21 nov. 2012, n° 11-17.871). Notons que bien que prise sous l’empire de dispositions antérieures à la loi du 5 mars 2007, cette solution reste valable.
L’annulation pour insanité d’esprit de divers actes, dont un testament et un codicille, est également admise, lorsqu’il est établi que ces actes, faits par une personne qui avait été placée sous curatelle renforcée, ont été suggérés par un ensemble de manœuvres frauduleuses, alors qu’il est constaté que la personne protégée subissait une dégradation progressive et constante de ses facultés mentales, était fragile et présentait une suggestibilité médicalement constatée (Cour de cassation 1re chambre civile du 17 février 2010, n° 08-20.950).
Dès lors que la pathologie mentale dont est atteinte la vendeuse (successivement placée sous sauvegarde de justice puis sous curatelle renforcée en novembre 2007) existait avant et après la signature du compromis de vente et qu’il est établi que ses troubles ont été de nature à perturber son jugement, l’acheteur doit prouver que l’acte a été passé dans un intervalle de lucidité. À défaut, le compromis de vente est annulé pour altération des facultés mentales au moment de l’acte (Cour de cassation 1re chambre civile du 11 mai 2012, n° 11-13.154).
La Cour de cassation a également considéré que l’autorisation donnée par le juge des tutelles à la vente de la résidence d’un majeur placé sous curatelle renforcée ne faisait pas obstacle à l’action en annulation pour insanité d’esprit (Cour de cassation 1re chambre civile du 20 octobre 2010, n° 09-13.635, n° 908 FS – P + B + I) (15).
Par cette solution, la haute juridiction place au même rang les actes passés par les majeurs protégés (partiellement incapables) et ceux accomplis par les majeurs non protégés (capables juridiquement). Prise sous l’empire de dispositions antérieures à la loi du 5 mars 2007, cette solution reste valable après l’entrée en vigueur de cette loi. En effet, l’ancien article 489 du Code civil, qui fonde l’action en nullité pour insanité d’esprit, figure désormais à l’article 414-1 du même Code.
Les règles fixées à l’article 414-2 ont pour objet d’assurer un équilibre entre les intérêts des héritiers et la sécurité des actes conclus par le défunt.
La première chambre civile de la Cour de cassation a précisé les modalités selon lesquelles l’héritier d’un majeur protégé peut exercer une action en nullité pour insanité d’esprit à l’encontre d’un acte passé par la personne protégée alors que celle-ci était déjà placée sous protection. En l’espèce, 3 mois avant son décès, une personne sous curatelle renforcée avait vendu par acte sous seing privé, avec l’assistance de sa curatrice, un bien immobilier. La Cour d’appel prononce la nullité de l’acte de vente, l’héritière ayant soulevé une exception de nullité pour insanité d’esprit. Le pouvoir en cassation exercé par l’acheteur est rejeté.
Il résulte de la combinaison des articles 414-2, 3° et 466 du Code civil que, dès lors qu’une action a été introduite afin d’ouvrir une curatelle ou une tutelle au profit d’un contractant, les héritiers peuvent agir en nullité pour insanité d’esprit, « que cette action ait ou non été menée à son terme ».
Si elle est menée à son terme, ils peuvent agir « nonobstant le respect des règles régissant les actes passés sous un régime de tutelle ou de curatelle ». En l’espèce, la venderesse était placée sous curatelle renforcée au moment de l’acte de vente litigieux. Les juges du fond en ont exactement déduit que sa petite-fille, en sa qualité d’héritière, était recevable à agir en nullité de cet acte sans qu’il soit nécessaire d’établir la preuve d’un trouble mental résultant de l’acte lui-même (Cour de cassation 1re chambre civile du 27 juin 2018, n° 17-20.428, n° 619 FS – P + B).
SOURCES :
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000041490378&fastReqId=1530695861&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037196418/
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007043246/
- https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000022945504&fastReqId=535870208&fastPos=1
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021855684/
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035192645/
- https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032042614/
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007030056/
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028547449/
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000020822206/
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028547449/
- https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000430707
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006994937/
- https://www.doctrine.fr/d/CASS/2012/JURITEXT000026061910
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022945504/
- https://aurelienbamde.com/2017/02/02/linsanite-desprit-comme-cause-de-nullite-du-contrat/
- https://www.village-justice.com/articles/Tutelle-curatelle-trouble-mental,9390.html
- https://www.actu-juridique.fr/civil/personnes-famille/nullite-pour-insanite-desprit-restitutions-opposabilite-aux-tiers-responsabilite-du-notaire-et-pratique-du-certificat-medical-par-precaution/#:~:text=L%E2%80%99insanit%C3%A9%20d%E2%80%99esprit%20est%20une%20protection%20occasionnelle%20qui%20sanctionne,judiciaire.%20Le%20d%C3%A9fendeur%20doit%20alors%20%C3%A9tablir%20l%E2%80%99intervalle%20lucide
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