Les dettes de quasi-usufruit sont -elles déductibles ?
La loi de finances pour 2024 marque une évolution significative dans le paysage fiscal français, notamment par l’introduction de l’article 774 bis au sein du Code général des impôts.
Cette nouvelle disposition vise à clarifier la question de la déductibilité des dettes de quasi-usufruit au sein de l’actif successoral, en stipulant que les dettes de restitution associées à des sommes d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit ne peuvent être déduites. (1)
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L’objectif de cette réforme est de prévenir les abus qui pourraient découler de la manipulation de la structure de propriété à des fins strictement fiscales, tout en maintenant une certaine équité entre les héritiers.
Les commentaires administratifs, récemment publiés dans le Bulletin officiel des Finances publiques (BOFIP), apportent des précisions sur l’application de cette nouvelle règle. Ils soulignent que l’absence de déductibilité s’applique sans considération des circonstances entourant la constitution de l’usufruit, ouvrant ainsi un débat sur la portée et les implications pratiques de cette mesure.
L’administration fiscale précise que sont concernées non seulement les dettes résultant de la donation de la nue-propriété avec réserve de quasi-usufruit, mais également celles liées à la cession de biens démembrés. Cependant, l’interprétation de l’administration soulève des interrogations, notamment en ce qui concerne l’extension contestable de son champ d’application à certaines opérations assimilables.
Parmi celles-ci, on trouve le remboursement de créances démembrées et le rachat de contrats de capitalisation. Cette extension pourrait être perçue comme allant au-delà de l’esprit initial de la loi, ce qui mérite une analyse approfondie. De plus, le législateur a prévu des conditions sous lesquelles certaines dettes pourraient être déductibles, en cas de preuve que celles-ci n’ont pas été contractées dans un but principalement fiscal.
L’inversion de la charge de la preuve impose aux redevables de démontrer l’absence d’abus dans la constitution de ces dettes, ce qui pourrait se révéler complexe en pratique. L’administration fournit des indices permettant d’évaluer la motivation derrière l’établissement d’un quasi-usufruit, tels que le délai entre le démembrement et la cession, les motivations patrimoniales, et le contrôle exercé par l’usufruitier sur le report de l’usufruit.
L’administration fiscale a également précisé les dettes qui ne seront pas concernées par les dispositions de l’article 774 bis. Cela inclut les dettes nées d’indemnités d’expropriation, d’assurance ou encore de contrats d’assurance-vie avec clause bénéficiaire démembrée. Cette clarification est essentielle pour éviter toute ambiguïté sur les dettes exclues du champ d’application.
Enfin, la mise en œuvre de l’article 774 bis soulève des questions pratiques sur la liquidation des droits de mutation par décès. L’actif taxable sera diminué du montant des dettes non déductibles, tandis que celles-ci seront imposées aux droits de succession, en tenant compte du lien de parenté entre les parties. Notons que les dispositions de cet article s’appliqueront aux successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023, entraînant ainsi une forme de rétroactivité qui pourrait influencer les décisions des contribuables.
Cette évolution législative, bien qu’ayant pour but de clarifier le cadre fiscal des dettes de quasi-usufruit, invite à un examen minutieux des implications pratiques et des potentielles contestations juridiques qui pourraient surgir. L’analyse qui suit se propose d’explorer ces différentes dimensions sous un angle structuré.
I. La portée et les implications de l’article 774 bis du CGI
L’introduction de l’article 774 bis dans le Code général des impôts (CGI) représente une avancée significative dans le cadre législatif français. Cette disposition a pour objectif de clarifier la déductibilité des dettes de quasi-usufruit au sein de l’actif successoral, une question qui a suscité de nombreux débats parmi les praticiens du droit fiscal. L’article vise principalement à prévenir les abus qui pourraient découler d’une manipulation de la structure de propriété à des fins fiscales, tout en cherchant à instaurer une certaine équité entre les héritiers.
A. Les dettes visées par la non-déductibilité
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Définition et caractéristiques des dettes de quasi-usufruit
Les dettes de quasi-usufruit se caractérisent par leur lien direct avec la structure du démembrement de propriété, où un usufruit est réservé à un individu tandis que la nue-propriété est transférée à un autre. Ce mécanisme juridique permet à l’usufruitier de jouir des revenus ou des fruits générés par le bien, tout en imposant à la nue-propriété l’obligation de restituer ces fruits à l’usufruitier à l’issue de la période d’usufruit. (2)
Prenons un exemple concret : un parent (le donateur) décide de transmettre la nue-propriété d’un bien immobilier à ses enfants tout en se réservant l’usufruit. Ce parent peut contracter des dettes pour financer des travaux d’entretien, par exemple, en considérant que ces dépenses sont essentielles à la préservation de la valeur du bien. En vertu de l’article 774 bis, ces dettes ne pourront pas être déduites de l’actif successoral, ce qui pourrait avoir pour effet d’augmenter le montant des droits de succession dus par les héritiers.
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Étendue contestable du champ d’application
L’administration fiscale, à travers ses commentaires dans le Bulletin officiel des Finances publiques (BOFIP), élargit le champ d’application de la non-déductibilité à des situations qui soulèvent des interrogations quant à leur conformité avec l’esprit de la loi. Par exemple, les dettes résultant du remboursement de créances démembrées, qui pourraient sembler légitimes dans un cadre de gestion patrimoniale, sont également incluses dans cette non-déductibilité.
Cette extension pourrait être perçue comme une interprétation excessive du texte, risquant d’englober des opérations qui, bien que démembrées, n’ont pas pour objectif principal d’éluder les obligations fiscales. Une situation illustrant cette problématique pourrait être celle d’un usufruitier qui, après avoir vendu un bien en usufruit, utilise le produit de cette vente pour rembourser une créance liée à un autre actif démembré. L’administration fiscale pourrait, dans ce cas, considérer que la vente et le remboursement sont interdépendants et refuser la déductibilité de la dette, ce qui pourrait créer des complications pour l’usufruitier.
B. Conditions de déductibilité des dettes de quasi-usufruit
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Justification de l’absence d’objectif fiscal
L’article 774 bis prévoit que certaines dettes pourraient être déductibles si le redevable peut prouver qu’elles n’ont pas été contractées dans un but principalement fiscal. Cette condition impose une charge de la preuve conséquente sur le contribuable, qui doit démontrer que les dettes ont été contractées pour des raisons patrimoniales valables. En pratique, cela peut s’avérer complexe, car les motivations d’un contribuable peuvent être multiples et parfois difficiles à établir de manière objective.
Par exemple, un usufruitier qui contracte une dette pour des investissements dans des travaux d’amélioration d’un bien pourrait arguer que ces travaux ont pour but d’augmenter la valeur du patrimoine familial. Cependant, si l’administration fiscale considère que l’objectif principal est de réduire la base imposable, la déductibilité sera refusée.
La nécessité de prouver l’absence d’un objectif fiscal pourrait ainsi dissuader certains contribuables de recourir à des stratégies de gestion patrimoniale qu’ils jugeaient auparavant légitimes.
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Indices permettant de caractériser l’absence d’abus
Pour aider à établir la motivation derrière la constitution d’un quasi-usufruit et la validité des dettes associées, l’administration fiscale a fourni plusieurs indices. Ces indices comprennent le délai entre la constitution du quasi-usufruit et la cession de biens, les motivations patrimoniales invoquées par le redevable, ainsi que le contrôle exercé par l’usufruitier sur la gestion du bien. (3)
À titre d’exemple, si un usufruitier établit un plan d’investissement à long terme pour la valorisation d’un bien, ce qui est documenté par des devis, des contrats de travaux et des plans de gestion, cela pourrait être interprété comme une intention légitime de préserver et d’accroître la valeur du bien. En revanche, une série de dettes contractées de manière précipitée, sans planification ni justification claire, pourrait être perçue comme une manœuvre visant à minimiser l’assiette fiscale.
II. Les exceptions et modalités d’application de l’article 774 bis
L’article 774 bis du Code général des impôts (CGI) a introduit des dispositions spécifiques concernant la déductibilité des dettes en matière de quasi-usufruit. Toutefois, certaines exceptions et modalités d’application doivent être prises en compte pour comprendre pleinement son impact.
A. Dettes exclues du champ d’application
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Indemnités d’expropriation et d’assurance
Une des principales exceptions à l’application de l’article 774 bis concerne les indemnités d’expropriation et les indemnités d’assurance. En effet, lorsqu’un bien est exproprié pour cause d’utilité publique, le propriétaire reçoit une indemnité qui peut être considérée comme une dette pour le quasi-usufruit. Cette indemnité est généralement destinée à compenser la perte de valeur du bien et, par conséquent, il est logique qu’elle ne soit pas incluse dans le calcul de l’assiette imposable du quasi-usufruit.
De même, les indemnités d’assurance perçues en cas de sinistre (par exemple, suite à un incendie ou à un dégât des eaux) peuvent également être exclues. Ces indemnités visent à réparer un préjudice et ne devraient pas être prises en compte pour l’évaluation de la valeur du patrimoine successoral. En excluant ces types de dettes, le législateur vise à protéger les droits des héritiers et à éviter une imposition injuste sur des sommes qui ne constituent pas un réel enrichissement pour le quasi-usufruitier.
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Distributions de dividendes et usufruit légal
Les distributions de dividendes d’une société dans laquelle le quasi-usufruitier détient des actions sont également exclues du champ d’application de l’article 774 bis. En effet, les dividendes représentent une part des bénéfices réalisés par la société et leur distribution est une opération qui se déroule indépendamment de la gestion du quasi-usufruit.
Les dividendes perçus ne devraient donc pas être considérés comme des dettes et ne doivent pas influer sur la valeur du patrimoine successoral, car ils sont déjà considérés comme des revenus imposables. De plus, l’usufruit légal, qui est un droit conféré par la loi à certaines personnes (par exemple, le conjoint survivant), est également exclu. Ce type d’usufruit est protégé par le Code civil et vise à garantir la sécurité financière des personnes qui en bénéficient. Par conséquent, les dettes associées à l’usufruit légal ne peuvent pas être déduites en vertu de l’article 774 bis, renforçant ainsi cette protection légale.
B. Mise en œuvre et conséquences fiscales
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Modalités de liquidation des droits de mutation par décès
L’application de l’article 774 bis a des répercussions directes sur la liquidation des droits de mutation à titre gratuit, notamment lors d’un décès. En effet, la liquidation des droits de mutation implique une évaluation précise de l’actif successoral, qui doit désormais tenir compte des nouvelles dispositions relatives aux dettes. Les notaires et les experts en fiscalité doivent donc être particulièrement attentifs lors de l’évaluation des biens et des dettes pour s’assurer que les héritiers ne soient pas pénalisés par une évaluation excessive du patrimoine.
Les modalités de liquidation peuvent également impliquer des délais plus longs et des démarches administratives plus complexes. Les héritiers doivent souvent fournir des preuves documentaires pour justifier des dettes qui pourraient être exclues, et cela peut entraîner des coûts supplémentaires en termes de temps et d’argent. La nécessité de faire appel à des experts pour naviguer dans ce cadre législatif peut également accroître la charge financière pesant sur les héritiers, ce qui est d’autant plus préoccupant en période de deuil.
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Rétroactivité et traitement des contribuables sortant du quasi-usufruit
Un autre aspect crucial de l’article 774 bis concerne la rétroactivité des dispositions fiscales et le traitement des contribuables qui sortent du quasi-usufruit. En effet, les effets de cette mesure peuvent s’étendre aux situations antérieures à son adoption, ce qui soulève des questions de justice fiscale. Les contribuables qui se retrouvent dans une situation de quasi-usufruit avant l’entrée en vigueur de l’article 774 bis pourraient se voir appliquer les nouvelles règles sans préavis, ce qui pourrait entraîner une augmentation imprévisible de leur imposition. Cette rétroactivité peut susciter des inquiétudes parmi les contribuables, qui pourraient craindre des ajustements fiscaux inattendus et des complications administratives supplémentaires.
Il est également important de considérer comment ces dispositions affectent les contribuables qui sortent du quasi-usufruit. Lorsqu’un individu cesse d’exercer ce droit, que ce soit par décès, par renonciation ou par d’autres moyens, il est impératif de déterminer comment les dettes et les actifs seront traités. Ce processus peut être complexe, car il nécessite une évaluation minutieuse des biens restants et des dettes associées pour garantir une distribution équitable entre les héritiers.
La sortie du quasi-usufruit peut également impliquer des questions de réévaluation des actifs et de reclassification des dettes. Les contribuables doivent être informés de leurs droits et obligations dans ce contexte, ce qui rend essentielle la consultation d’experts en fiscalité et en droit des successions. De plus, la transparence et la clarté des règles fiscales sont cruciales pour éviter des litiges potentiels entre héritiers, surtout si les dettes exclues du champ d’application de l’article 774 bis ne sont pas bien comprises.
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