Quel est le rôle du notaire, en cas de discorde sur un bien immeuble indivis, avant une procédure ?
Lorsqu’une personne décède sans avoir laissé de testament ou sans avoir désigné de bénéficiaire spécifique pour ses biens, ces biens entrent dans une phase d’indivision successorale. Cela signifie que les héritiers sont en indivision, c’est-à-dire qu’ils sont copropriétaires des biens en question.
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Pendant cette période d’indivision, les héritiers doivent gérer les biens en commun accord. Ils ont des droits égaux sur les biens et doivent prendre des décisions ensemble, qu’il s’agisse de la vente du bien, de sa conservation ou de sa répartition entre les héritiers. En pratique, cela peut s’avérer compliqué, surtout si les héritiers ont des intérêts ou des points de vue divergents.
L’indivision successorale peut durer un certain temps, en fonction de la volonté des héritiers et de la complexité de la situation. Dans certains cas, les héritiers peuvent décider de mettre fin à l’indivision en procédant au partage des biens.
Un conflit peut naître à cette occasion sur la valeur patrimoniale du bien et les positions des indivisaires se figer, empêchant la réalisation du projet d’achat des parts indivises, avec le spectre de la procédure judiciaire en liquidation-partage. En vertu de l’article 815 du Code civil : « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. » Ce partage peut se faire à l’amiable, par un accord entre les héritiers, ou par le biais d’une procédure judiciaire si aucun accord n’est trouvé.
Toutefois, il convient de souligner qu’en vertu de l’article 1360 du Code de procédure civile, tel que stipulé dans le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006, l’assignation en partage doit faire mention des démarches entreprises en vue d’aboutir à un partage amiable, sous peine d’irrecevabilité.
Il est donc nécessaire d’explorer préalablement les possibilités de sortie de l’indivision sans recourir à l’intervention du juge, car cette voie est indéniablement préférable à une procédure judiciaire. En effet, cette dernière se caractérise par sa lourdeur, sa durée et son coût, sans garantie que son résultat réponde aux attentes de la partie requérante.
Le notaire trouve donc vocation à intervenir à cette occasion. La fonction notariale confère au notaire chargé de l’ouverture de la succession la légitimité d’assister les indivisaires afin de parvenir de manière impartiale à un consensus sur la valorisation du bien ou à une solution de compromis conciliant leurs aspirations respectives.
Bien sa qualité d’officier public ministériel ne lui donne pas le pouvoir de trancher les différends, il est de l’essence de sa fonction d’apparaître comme un guide auprès des ayants cause du de cujus.
Le statut du notaire est régi par l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat et le décret pris pour son application du 19 décembre 1945 avec l’ensemble des modifications qui y ont été apportées.
I. Le notaire comme médiateur dans l’évaluation de la valeur du bien
L’objectif du notaire, dans le cadre de son rôle de médiateur, est de faciliter la convergence des opinions de tous les copropriétaires quant à l’évaluation du bien immobilier en question.
A. L’accompagnement du notaire dans l’établissement du prix du bien
Après l’établissement d’une indivision successorale, il est crucial que le notaire chargé du dossier informe rapidement les héritiers de son rôle précis dans leur situation. Il doit expliquer dès que possible qu’il ne représente aucun d’entre eux en tant qu’avocat, y compris celui qui sera chargé de la gestion de l’indivision, et qu’il n’est pas non plus un juge chargé de trancher les éventuels litiges entre eux.
En raison de ses compétences dans le domaine immobilier, le notaire peut présenter aux indivisaires une proposition d’achat des parts indivises détenues par les autres héritiers. Cependant, il est essentiel que les indivisaires ne croient pas que le notaire intervient pour déterminer la valeur du bien immobilier concerné. Le notaire se doit de clarifier qu’il n’est pas autorisé à régler cette question lui-même.
Dans plusieurs affaires où la responsabilité du notaire a été mise en cause en raison d’un prix de vente insuffisant pour des biens immobiliers, les tribunaux ont affirmé que le notaire « n’avait pas à fixer le prix [ni] à interférer sur le prix » ou qu’il n’avait pas vocation « à conseiller ses clients à ce titre ».
La première chambre civile de la Cour de cassation confirme ce devoir de « prudence » du notaire à l’occasion une décision rendue le 29 juin 2004, et a ainsi été amené a jugé, à propos de la déclaration de succession, qu’« en présence d’estimations sensiblement divergentes qui ne pouvaient que l’inciter à la prudence, [le notaire] ne justifiait pas avoir procédé personnellement à une vérification de la valeur réelle du bien, ni appelé l’attention de Mme Y sur les risques d’une évaluation excessive ».
Comme l’observe un auteur à propos du contrat de vente, « le fait que le notaire ne soit pas civilement tenu de conseiller les parties sur le prix ne signifie évidemment pas que cela lui soit interdit ».
Il convient de préciser que les notaires peuvent réaliser de telles expertises. Un label Notexpert, est d’ailleurs délivré aux notaires, ou aux collaborateurs ayant suivi une formation approfondie et justifiant d’une activité d’expertise régulière de plus de 5 années.
Lorsque ce n’est pas le cas, le notaire peut tout de même conseiller les indivisaires à consulter diverses sources de données ou à solliciter différents professionnels de l’immobilier afin d’établir une estimation moyenne. À titre d’exemple, il est le cas de l’application informatique, dénommée Patrim, qui a été mise en place afin de permettre la communication, par la Direction générale des finances publiques, d’informations de nature juridique et cadastrale en vue de l’estimation d’un bien immobilier. Depuis le 2 janvier 2014, Patrim couvre l’ensemble des départements français, sauf ceux d’Alsace, de Moselle et de Mayotte.
En qualité de destinataire des correspondances et propositions des parties, le notaire peut être amené à formuler des observations juridiques, à demander des éclaircissements ou à relever des erreurs de calcul. En raison de son expertise incontestable dans les domaines juridique et immobilier, le notaire est appelé à intervenir lorsqu’il constate des malentendus dans les échanges entre les indivisaires, que ce soit concernant le fonctionnement de l’indivision ou l’évaluation de la valeur du bien immobilier.
Ainsi, sur ce dernier point, il peut s’avérer nécessaire d’apporter des explications sur les notions de prix couramment utilisées, ainsi que de rappeler les différents critères permettant d’évaluer un bien immobilier et l’importance de solliciter des devis pour tenir compte des travaux majeurs à réaliser.
De plus, il est essentiel de renseigner les indivisaires sur le montant des frais liés à l’opération de cession des parts indivises et sur les modalités de leur prise en charge, car ces éléments revêtent une importance décisionnelle.
Toutes les situations d’indivision sont différentes et il arrive que malgré l’accompagnement fourni par le notaire pour encourager les héritiers à évaluer la valeur du bien, que certains partages à l’amiable s’avèrent complexe. Dans ce cas, le notaire peut également conseiller de faire appel à un tiers.
B. Les possibilités de recours collectif à un tiers
1.Le mandat donné à un expert pour estimer le bien
Dans l’hypothèse où les indivisaires ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un prix malgré l’accompagnement du notaire, ce dernier peut les informer qu’ils ont la possibilité de faire appel à un tiers qui offre des garanties d’indépendance et d’impartialité. Cela concerne notamment les experts immobiliers figurant sur la liste établie par la cour d’appel du lieu où se trouve l’immeuble, ainsi que les experts immobiliers du notariat.
L’expertise immobilière est l’opération par laquelle un expert en immobilier évalue un bien immobilier à l’aide d’outils techniques et des connaissances spécifiques (marché immobilier, fiscalité…).
Le notaire doit expliquer aux indivisaires que leur difficulté peut être résolue s’ils décident de conclure un mandat d’évaluation du bien indivis avec l’un de ces professionnels. Il leur précisera qu’ils auront la possibilité de déterminer conjointement les modalités d’exécution de cette mission. Il est essentiel que les indivisaires comprennent que le rapport établi par le tiers estimateur aura force obligatoire pour eux, en raison du mandat commun qu’ils auront conclu avec lui.
L’indivisaire qui exprime le souhait d’acquérir les parts indivises des autres indivisaires se déterminera en fonction du prix fixé par l’expert tiers. S’il ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour réaliser son projet, il n’aura d’autre choix que d’accepter la décision des autres coïndivisaires de mettre en vente le bien immobilier indivis.
Cette solution peut s’avérer être dissuasive pour éviter le recours au juge. Il arrive que les conditions pour nommer un tiers-estimateur ne pas soit réunies en raison de désaccords ou de l’obstruction systématique d’un indivisaire. Il existe pour ces dernières situations des moyens de créer les conditions d’un accord.
2. Le recours à un tiers pour créer les conditions d’un accord
Pour éviter de compromettre le partage amiable en raison de l’inertie d’un des indivisaires, par désintérêt ou mauvaise volonté, le législateur offre aux coïndivisaires une solution.
L’article 837 du Code civil leur permet en effet de demander que l’indivisaire défaillant soit représenté.
Selon la loi, il est nécessaire d’adresser à l’indivisaire défaillant une sommation par acte extrajudiciaire, l’appelant à se faire représenter. Si cette mise en demeure reste sans effet à l’expiration d’un délai de trois mois, tout autre héritier peut demander au juge de désigner une personne qualifiée pour assurer cette représentation jusqu’à ce que le partage soit entièrement réalisé.
Toutefois, cette personne doit soumettre le projet de partage au juge afin d’obtenir son autorisation afin qu’il y consente.
Lorsque les indivisaires estiment que le dialogue peut être renoué, le notaire peut conseiller de recourir à la médiation conventionnelle. La médiation peut être mise en œuvre en dehors de toute procédure judiciaire.
Au cours de la dernière décennie, des centres de médiation notariaux ont en effet vu le jour à Paris et en région. Depuis quelques années, divers facteurs contribuent à rechercher et à développer les moyens de régler les conflits sans recourir aux tribunaux. L’augmentation des contentieux et l’encombrement des tribunaux qui en résulte inévitablement expliquent le phénomène.
Le rapport annuel 2018 délivré par Christian Lefebvre, médiateur du notariat, (V. l’entretien de Ch. Lefebvre in JCP N 2018, n° 47, act. 899) présente notamment les chiffres de la médiation de la consommation dans le notariat après une année d’exercice, soit du 16 avril 2018 au 16 avril 2019.
Il est possible de constater qu’au cours de cette période, le médiateur a été saisi de 1078 litiges. Dans 49 % des cas, la médiation est intervenue dans un dossier de succession, dans 40 % des cas en immobilier, et 5 % en divorce. La durée moyenne nécessaire à la résolution des litiges était de 59 jours. Toute personne peut formuler une demande de médiation au moyen du site internet dédié : « mediateur-notariat.notaires.fr ».
Malgré ces avantages, la médiation conventionnelle ne peut pas être imposée par un indivisaire aux autres qui peuvent se montrer réfractaires à son coût ou au mode de résolution des différends lui-même.
Si l’on ne peut guère nourrir l’espoir d’une conciliation quant à l’évaluation de l’immeuble en indivision, il demeure que le notaire peut jouer un rôle actif afin de prévenir toute impasse et d’éviter que le dossier ne se retrouve devant les tribunaux. Il est en mesure d’apporter son concours aux indivisaires en les aidant à trouver un compromis en leur suggérant de conjuguer leurs projets respectifs.
II. La recherche d’un consensus harmonisant les projets des indivisaires
Le notaire, en tant que médiateur impartial, s’efforce de concilier les différents projets des copropriétaires en proposant une solution de compromis qui prend en compte les aspirations de chacun des indivisaires.
L’article 835, alinéa 1er, du Code civil dispose : « Si tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans la forme et selon les modalités choisies par les parties. »
Il leur est donc possible de convenir de procéder à l’adjudication volontaire de l’immeuble indivis.
A. La vente par adjudication
La vente par adjudication est par définition une vente aux enchères publique. Elle peut s’effectuer au tribunal judiciaire ou à la chambre des notaires. C’est la personne qui offre le prix le plus élevé pour le bien concerné qui devient acquéreur.
La vente volontaire aux enchères publiques plus connue sous l’appellation de « vente à la bougie » reste, à notre époque, un procédé de cession original et attractif. Elle se distingue de la vente ordinaire par les enchères et leur caractère public et de l’adjudication judiciaire par l’absence de jugement ordonnant qu’il y soit procédé.
Elle présente tous les caractères d’une vente amiable ; par suite, la majorité des conditions de fond de ce contrat lui sont applicables.
L’adjudication volontaire d’un bien immobilier s’avère être une solution utile lorsque les indivisaires souhaitent sortir de l’indivision, mais ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la valeur du bien.
Dans le cadre de l’adjudication volontaire, le recours à une vente aux enchères publiques permet de déterminer objectivement le prix du bien en fonction des offres des potentiels acquéreurs. Les indivisaires peuvent ainsi trouver une solution de sortie de l’indivision en laissant le marché fixer le prix du bien, éliminant ainsi les divergences d’opinions entre eux.
L’adjudication volontaire est généralement organisée par un professionnel spécialisé, tel qu’un notaire ou un commissaire-priseur. Avant la vente aux enchères, des informations détaillées sur le bien sont généralement fournies aux potentiels acquéreurs, leur permettant de se renseigner sur les caractéristiques et l’état du bien.
Lors de l’adjudication volontaire, les intéressés sont invités à enchérir et le bien est attribué à la personne ayant fait la meilleure offre. Une fois l’enchère terminée, un procès-verbal est dressé, attestant du montant de l’adjudication et de l’identité de l’adjudicataire.
Il est important de noter que dans le cadre de l’adjudication volontaire, le propriétaire peut fixer un prix de réserve, qui correspond au montant minimum acceptable pour la vente du bien. Si les enchères n’atteignent pas ce prix, le bien ne sera pas vendu.
B. La cession des droits indivis.
L’article 815-14 du Code civil qui régit le projet de cession à titre onéreux de droits indivis à un tiers ouvre la porte à une autre solution de compromis.
Une cession des droits indivis, également appelée cession de parts indivises, désigne l’acte par lequel un indivisaire (copropriétaire d’un bien en indivision) transfère tout ou une partie de ses droits sur le bien à un tiers.
Cette solution permet aux indivisaires de conclure un accord ayant pour objet la recherche sur le marché d’une offre d’achat du bien indivis, tout en reconnaissant à un coïndivisaire un droit prioritaire d’acquisition des autres quotes-parts.
L’objectif de ce droit de préemption est de préserver l’unité de l’indivision en évitant l’entrée d’une personne étrangère dans celle-ci, préservant ainsi le lien affectif et la communion entre les copropriétaires.
Cependant, il convient de noter que l’exercice du droit de préemption peut également permettre à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du bien indivis en acquérant les parts des autres coïndivisaires. En effet, si les coïndivisaires renoncent à exercer leur droit de préemption ou s’ils ne sont pas en mesure de le faire, l’indivisaire qui a cédé ses parts peut alors acquérir les quotes-parts des autres coïndivisaires et devenir l’unique propriétaire du bien.
Ainsi, bien que la reconnaissance du droit de préemption vise généralement à maintenir la cohésion de l’indivision en évitant l’entrée de tiers, il est possible, dans certaines circonstances, qu’un indivisaire utilise cette voie pour acquérir l’intégralité du bien indivis en achetant les parts des autres coïndivisaires.
Si ce droit n’est pas exercé, la vente du bien au potentiel acquéreur se réalisera avec le consentement unanime des indivisaires.
Ainsi, lorsqu’un indivisaire souhaite céder ses droits indivis, il peut conclure un contrat de cession avec un tiers intéressé. Ce contrat de cession établit les conditions de la transaction, telles que le prix de vente, les modalités de paiement et les droits et obligations des parties.
Une fois la cession des droits indivis réalisée, le cessionnaire devient à son tour copropriétaire de l’indivision, en reprenant la quote-part du cédant. Il obtient les droits et les obligations qui y sont attachés, notamment le droit de participer aux décisions concernant le bien et la responsabilité de contribuer aux charges et aux dépenses liées à l’indivision.
Il est important de noter que la cession des droits indivis n’entraîne pas la transmission de la propriété du bien, mais uniquement le transfert des droits de copropriété sur celui-ci. Les autres indivisaires conservent leurs parts et restent en indivision, sauf si d’autres cessions sont réalisées ultérieurement.
Sources :
- Actualisé par Séverine HLADYS – Fascicule 205 : « Évaluation des biens, Détermination de la valeur vénale, Évaluation des immeubles » – le 27 septembre 2021 (Lexis)
- Danielle Montoux – « Synthèse – Adjudication immobilière » – le 8 Avril 2022(Lexis)
- Jean-Baptiste Donnier – « Fascicule 525 : SUCCESSIONS. – Indivision. – Régime légal. Gestion des biens indivis » – le 27 Janvier 2021
- Petites Affiches – n° 11 du 30 Novembre 2022 « Successions : Quel est le rôle du notaire, en amont du juge, en cas de discorde sur un bien immeuble indivis ?»
- https://vente-immobilier.ooreka.fr/astuce/voir/401133/expertise-immobiliere
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