La donation au dernier vivant et la famille recomposée
La « donation au dernier vivant » ou donation entre époux ou, selon la terminologie juridique, institution contractuelle entre époux pendant le mariage, est la libéralité la plus choisie par les époux. Mais de quoi s’agit-il ? Son contenu est-il unique ou peut-il être adapté à la situation familiale et patrimoniale des époux ?
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Présente-t-elle encore une utilité depuis que les droits du conjoint ont été élargis ? Quelles sont ses conséquences au décès de l’un des époux ? Est-elle vraiment adaptée à la famille recomposée ?
L’objectif du présent article est de répondre à ces questions sur une libéralité dont le nom est connu de tous, mais dont le régime et les conséquences sont parfois méconnus.
I. Qu’est-ce que la « donation au dernier vivant » ?
La « donation au dernier vivant » est une libéralité particulière qui permet de donner au conjoint survivant des biens à venir, c’est-à-dire tout ou partie des biens que le donateur laissera au jour de son décès. Elle pourrait se faire par contrat de mariage, mais serait alors irrévocable et présenterait l’inconvénient, lorsqu’elle est universelle, de rendre réductible toute libéralité consentie ultérieurement. C’est pourquoi, le plus souvent en pratique, l’institution contractuelle est consentie pendant le mariage.
Bien qu’elle enfreigne le principe d’irrévocabilité spéciale des donations (Code civil, article 894) en ce qu’elle n’emporte aucun dessaisissement actuel puisque portant sur des biens à venir et qu’elle est révocable en application de l’art. 1096 c. civ., une telle libéralité est admise à titre exceptionnel, le mariage ayant la faveur du législateur (Code civil, article 947, excluant notamment l’application de l’art. 943 c. civ., qui limite la donation entre vifs aux biens présents, aux dispositions entre époux pendant le mariage).
La donation entre époux peut être simple – un époux donne à son conjoint – ou réciproque (Code civil, article 1093). Dans ce deuxième cas, hypothèse la plus fréquente, chaque époux consent une donation à son conjoint qui accepte. Comme la donation porte sur des biens à venir, seule l’une des donations entre époux produira des effets : celle consentie par le prédécédé au survivant.
Les époux définissent l’objet de la libéralité : celle-ci peut être à titre particulier, à titre universel ou universelle, tout comme un legs.
L’objet de la donation entre époux peut être adapté au cas de chacun des époux, afin que la libéralité corresponde à la situation familiale et patrimoniale particulière de chacun d’eux.
Exemple – Un époux, désireux à la fois de protéger son conjoint et d’assurer la transmission de son patrimoine aux enfants d’une première union, pourra donner l’usufruit de sa succession à son conjoint s’il lui survit ; il prendra soin dans ce cas de maintenir l’obligation de fournir caution et de faire l’inventaire des meubles et l’état des lieux des immeubles, afin de protéger ses enfants.
Ainsi, les enfants seront prémunis si le conjoint ne jouit pas en bon père de famille des biens dont il a l’usufruit. Ils pourront, d’une part, demander la déchéance de l’usufruit en prouvant la détérioration des biens grâce à l’inventaire et/ou à l’état des lieux (Code civil, article 618). La caution leur permettra, d’autre part, d’obtenir les fonds nécessaires à la remise en état ou à la reconstitution du patrimoine successoral. Quant au conjoint, s’il est sans descendant, il pourra faire porter sa libéralité sur l’universalité de ses biens.
En pratique, les donations entre époux portent le plus souvent sur l’universalité des biens laissés par le défunt au jour de son décès et comportent une clause spécifique relative à la réduction de la libéralité en présence de descendants.
II. La donation entre époux présente-t-elle encore un intérêt compte tenu de l’importance des droits légaux désormais accordés au conjoint survivant ?
Depuis la loi n° 2001-1135 du 3 déc. 2001, le conjoint survivant bénéficie de droits légaux élargis notamment en présence de descendants (1). Autrefois usufruitier légal d’un quart de la succession, ce quart ne pouvant porter que sur la quotité disponible (C. civ., anc. art. 767), il a désormais, si les enfants sont tous communs, le choix entre l’usufruit de la totalité et le quart en pleine propriété de la succession.
Si les enfants ne sont pas tous communs, le conjoint a le quart en pleine propriété de la succession (Code civil, article 757). Si les conditions prévues par l’art. 764 c. civ. sont satisfaites, il bénéficie par ailleurs d’un droit viager portant sur le bien lui servant effectivement d’habitation principale au jour de l’ouverture de la succession et le mobilier garnissant ce bien.
Ce droit viager ne s’ajoute pas aux droits légaux du conjoint, il s’impute dessus et il s’exécute même s’il dépasse les droits légaux ; et ce, sans indemnisation des héritiers (Code civil, article 765, dern. al.). Pourquoi alors consentir une « donation au dernier vivant » ?
En présence d’enfants tous communs, le conjoint semble bien protégé par la loi puisqu’il peut recevoir, s’il le souhaite, l’usufruit de toute la succession.
La donation entre époux présente toutefois l’avantage de lui assurer son usufruit dans l’éventualité où, après le décès, un enfant non commun se manifesterait. Elle permet par ailleurs au conjoint survivant d’adapter son émolument à ses besoins en cantonnant, s’il le souhaite, l’usufruit qui lui a été donné (Code civil, article 1094-1, al. 2), l’usufruit légal ne pouvant, quant à lui, être cantonné.
En présence d’enfants non communs, le conjoint survivant n’a que des droits en propriété d’un quart. Si les conditions de l’art. 764 c. civ. sont satisfaites, il bénéficie en outre du droit viager au logement, ce qui lui permet de maintenir son train de vie.
La donation entre époux permet d’étendre les droits de ce conjoint survivant :
- en lui transmettant l’usufruit de toute la succession au lieu du droit viager uniquement, droit qui, rappelons-le, s’impute sur ses droits légaux (Code civil, article 765, v. notre article sur le droit viager, préc.). Si on souhaite que le conjoint n’ait des droits qu’en usufruit, il est nécessaire de le priver de ses droits légaux en propriété, car, à défaut, il conservera sa libéralité en usufruit et ses droits légaux d’un quart en pleine propriété, s’il accepte la succession tant en sa qualité d’héritier légal qu’en sa qualité de gratifié à cause de mort. Cette privation ne pouvant se faire dans un acte de donation, elle devra être faite par testament ;
- en lui transmettant l’universalité de la succession et en prévoyant une réduction à l’une des quotités disponibles permises par la loi en présence de descendants. Rappelons que le quart légal dont peut bénéficier le conjoint survivant en application de l’art. 757 c. civ. est toujours inférieur ou égal au quart qu’il peut recevoir en vertu d’une donation entre époux.
III. La « donation au dernier vivant » est-elle adaptée à la famille recomposée ?
La « donation au dernier vivant » présente des avantages et des inconvénients.
Principaux avantages – Le premier avantage de cette libéralité est qu’elle est faite devant un notaire qui peut conseiller ses clients et adapter le contenu de la libéralité à leur volonté tout en tenant compte de leur situation familiale et patrimoniale.
Par ailleurs, souvent réciproque, l’institution contractuelle pendant le mariage a un côté sécurisant : chacun gratifie l’autre et est gratifié par lui.
Attention – Cette réciprocité n’empêche pas l’un des époux de révoquer unilatéralement la donation qu’il a faite à l’autre (Code civil, article 1096, al. 1er). Ce droit à la révocation étant discrétionnaire, l’époux n’a pas à motiver cette révocation et le notaire, tenu au secret professionnel, ne peut en informer le conjoint.
Il n’existe aucun délai pour procéder à la révocation, celle-ci pouvant intervenir le jour même de la signature de la libéralité ! Cette révocation peut être expresse, et également tacite, par exemple par un testament postérieur, aux termes duquel l’époux révoque toutes ses libéralités antérieures, ou prévoyant des libéralités compatibles avec la donation entre époux.
Pour sa conservation, la « donation au dernier vivant » présente un grand niveau de sécurité : elle est conservée par le notaire, puisqu’il s’agit d’un acte authentique, et est enregistrée au fichier central des dispositions de dernières volontés.
Enfin, quant au contenu, la « donation au dernier vivant » peut être adaptée à la volonté des époux. En effet, cette libéralité ne porte pas forcément sur la plus forte des quotités disponibles prévues par la loi. Selon la volonté des époux, elle peut ne porter que sur des droits en usufruit – donation portant sur tout ou fraction de l’usufruit de la succession – ou avoir pour objet uniquement des droits en pleine propriété – donation portant par exemple sur la quotité disponible ordinaire et réductible en nature ou bien encore être limitée à une quote-part en usufruit ou en propriété.
Inconvénients notamment dans le cadre de la famille recomposée – La « donation au dernier vivant » présente toutefois quelques inconvénients, en particulier dans le cadre de la transmission dans la famille recomposée. (2).
Le premier inconvénient résulte des circonstances dans lesquelles elle est consentie. Cette libéralité est souvent proposée par le notaire à la suite du contrat du mariage – elle est alors faite peu après la célébration du mariage – ou à l’occasion d’une acquisition immobilière. À ce moment-là, le notaire ne s’occupe pas des questions d’organisation de la transmission du patrimoine, la libéralité étant surtout présentée comme une mesure de protection du conjoint survivant. Ainsi, certaines clauses « standards » sont maintenues bien qu’elles ne soient pas toujours conformes à la volonté des époux.
Exemple – Il ne semble pas judicieux, sachant qu’il existe des enfants non communs que le disposant souhaite aussi protéger, de dispenser le conjoint survivant usufruitier de fournir caution.
Les enfants risqueraient, en présence d’un conjoint peu scrupuleux, de voir leurs droits réduits à néant si celui-ci a fait disparaître les biens dont il n’avait que l’usufruit (disparition des liquidités sur lesquelles il avait un quasi-usufruit, vente des valeurs mobilières sans remploi, absence d’entretien des biens immobiliers et/ou non-paiement des charges de copropriété par exemple).
Le deuxième inconvénient vient d’une croyance erronée. Souvent les époux pensent que la donation entre époux est définitive et ne peut pas être remise en cause, sauf à la révoquer en cas de divorce. Comme pour toute libéralité à cause de mort, il est nécessaire de vérifier si le contenu de l’institution contractuelle pendant le mariage est adapté à l’évolution de la situation familiale et patrimoniale du couple.
En cas de changement, il peut être nécessaire de la modifier ou de la révoquer pour adopter une autre stratégie patrimoniale. Les conséquences de cette croyance se sont manifestées après le 1er juill. 2002, date d’entrée en vigueur de la loi du 3 déc. 2001. Avant cette date, le conjoint survivant avait des droits légaux d’un quart en usufruit (C. civ., anc. art. 767).
Dans de nombreuses situations, en présence d’enfants non communs, il avait été prévu une « donation au dernier vivant » ne portant que sur l’usufruit de la succession, afin que les enfants conservent la nue-propriété de la succession.
Rares sont les époux qui ont consulté leur notaire après le 1er juill. 2002 pour priver le conjoint survivant de ses droits légaux en propriété de sorte que, à leur décès, ce dernier a pu revendiquer, en plus de l’usufruit dont il avait été gratifié, la nue-propriété du quart légal accordé par l’art. 757 c. civil.
Le troisième inconvénient de la donation au dernier vivant tient à sa nature même : il s’agit d’une donation faite entre époux. S’agissant d’une donation, elle permet de transmettre, mais pas d’exhéréder.
Or, dans la famille recomposée, ainsi qu’on vient de le voir, si le disposant veut protéger son conjoint tout en assurant la transmission de son patrimoine à ses descendants, il doit priver son conjoint de ses droits légaux en propriété.
Cette exhérédation ne peut se faire que par testament. Il semble préférable d’utiliser le même testament pour transmettre au conjoint l’usufruit plutôt que de faire une donation entre époux en plus du testament. Par ailleurs, seul le conjoint peut être gratifié dans la donation entre époux.
Si le disposant veut prendre des dispositions à cause de mort en faveur de ses enfants, il doit recourir au testament, avec un risque de difficulté d’interprétation entre les dispositions de la « donation au dernier vivant » et du testament dans une situation potentiellement conflictuelle. En particulier, si les époux veulent recourir aux libéralités graduelles et résiduelles – par exemple, legs graduel ou résiduel d’un bien immobilier avec comme premier gratifié le conjoint survivant et comme seconds gratifiés les enfants non communs -, il est nécessaire de le faire par testament.
Exemples – Il peut s’agir d’un legs graduel portant sur la résidence secondaire, maison de famille : premier gratifié le conjoint, seconds gratifiés les enfants non communs. Ou encore d’un legs résiduel sur la moitié de l’appartement occupé par le couple à titre d’habitation principale, l’autre moitié de l’appartement appartenant au conjoint survivant : premier gratifié le conjoint survivant, second gratifié les enfants non communs. Le conjoint peut ainsi vendre seul le logement et, s’il ne le fait pas, la moitié appartenant au défunt sera dévolue aux enfants non communs.
IV. Quelles sont les conséquences liquidatives de la « donation au dernier vivant » ?
Les conséquences liquidatives de l’institution contractuelle pendant le mariage dépendent de sa rédaction.
Le plus souvent la donation faite au conjoint survivant est une libéralité universelle. Elle est ainsi rédigée : « Je donne à mon conjoint l’universalité des biens que je laisserai à mon décès ». Prenant effet au décès et étant révocable, elle est assimilée par la Cour de cassation à un legs universel.
Dès lors, en l’absence de réservataire, le conjoint survivant recueille toute la succession. Ses droits, en présence de descendants, dépendront de la clause relative à la réduction en présence de descendants. Deux rédactions se rencontrent, chacune ayant des conséquences liquidatives différentes.
Première rédaction : clause de réduction automatique – Dans certaines donations entre époux, il est stipulé une clause de réduction automatique en présence de descendants. Cette clause prévoit que, si le donateur laisse des descendants, la donation entre époux est automatiquement réduite à l’une des quotités disponibles prévues par l’art. 1094-1 c. civ. – la quotité disponible ordinaire, l’usufruit de toute la succession ou un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit – au choix du conjoint survivant.
Cette libéralité ne permet donc pas au conjoint de recevoir l’universalité de la succession. Selon son choix, il se trouvera soit en indivision avec les héritiers réservataires (option pour la quotité disponible ordinaire), soit en démembrement (option pour l’usufruit), soit en indivision sur un quart et en démembrement sur les trois quarts de la succession (option pour un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit).
C’est la solution à laquelle s’attendent les époux, notamment dans la famille recomposée : on n’envisage pas en effet que le conjoint devienne plein propriétaire de tout l’actif successoral.
La clause de réduction facultative ne prévoit la réduction de la libéralité universelle au conjoint survivant que si les descendants demandent la réduction. En l’absence de réduction, le conjoint survivant conserve la totalité de la succession.
Si la réduction est demandée, le conjoint conserve également la totalité de l’actif net de succession, car la réduction se fait en principe en valeur (Code civil, article 924). Il doit cependant verser une indemnité de réduction aux héritiers réservataires qui demandent la réduction. Cette conséquence n’est pas toujours perçue par les époux et peut être contraire à leur souhait de transmettre la nue-propriété de tout ou partie de leurs biens à leurs descendants.
Notons toutefois que, si le conjoint survivant ne peut pas ou ne souhaite pas verser cette indemnité, il peut demander la réduction en nature (Code civil, article 924-1). Il se retrouvera alors dans la même situation que si la « donation au dernier vivant » avait eu une clause de réduction automatique.
Si la donation entre époux ne contient aucune clause relative à la réduction, alors, étant assimilée à un legs universel, elle est traitée comme telle. Ainsi, si les enfants demandent la réduction, la libéralité sera réduite à l’une des quotités disponibles prévues par l’art. 1094-1 c. civ. au choix du conjoint survivant. La réduction se fait alors en valeur conformément à l’art. 924 c. civ. On constate qu’on se retrouve dans la même situation qu’en présence d’une clause de réduction facultative.
Le choix entre une clause de réduction automatique ou facultative dépend de la volonté des époux et de la stratégie de transmission patrimoniale. La clause de réduction automatique est parfaitement adaptée en cas de donation portant uniquement sur l’usufruit de la succession. En revanche, lorsque la donation est universelle et que le conjoint souhaite recevoir des biens en pleine propriété, la clause de réduction facultative peut être avantageuse à condition que l’entente familiale soit bonne. En effet, le conjoint peut alors cantonner sa libéralité en choisissant les biens qu’il souhaite conserver et abandonner aux enfants les autres biens, le tout avec une fiscalité avantageuse puisque le cantonnement est soumis au droit fixe de 125 €. En cas de réduction en nature, pour choisir les biens sur lesquels le conjoint exerce ses droits, il faudrait procéder à un partage, soumis au droit proportionnel de 2,5 %.
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