Assurance-vie et succession : comment gérer les conflits ?
Tantôt source de conflit, tantôt source de sécurité, l’assurance-vie interroge bon nombre de personne.
Qu’est-ce-que l’assurance sur la vie ?
C’est la convention aux termes de laquelle une personne (l’assureur), s’oblige envers une autre (le contractant, souscripteur ou stipulant), moyennant une prestation unique ou périodique (la prime), à verser au contractant lui-même, ou à un tiers désigné dans le contrat ou encore incertain (le bénéficiaire), une somme d’argent déterminée formant une rente ou un capital (l’indemnité), soit à une époque convenue si telle personne est encore vivante à ce moment, soit au décès de telle personne désignée (l’assuré).
L’opération d’assurance-vie fait intervenir trois protagonistes, ce qui est classiquement le cas de la stipulation pour autrui (Code civil, article 1121 et s.) :
- le souscripteur (celui qui contracte avec l’assureur) ;
- le bénéficiaire (celui qui reçoit la garantie) ;
- l’assuré (celui sur la tête duquel repose le risque).
L’assurance-vie est donc un contrat de couverture de risque lié à la durée de vie de l’assuré.
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Ce sont les contrats par lesquels la compagnie d’assurance s’engage à verser un capital ou une rente à une date déterminée si l’assuré est encore en vie à ce moment-là. La souscription de ce type de contrat est essentiellement justifiée par l’idée de constituer un complément de retraite.
Le principe selon lequel la valeur de l’assurance-vie n’est pas à prendre en compte dans la succession de l’assuré résulte de l’application de deux textes.
Selon l’article L. 132-12 du Code des assurances, « le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l’assuré ».
Et selon l’article L. 132-13 du Code des assurances, « Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ».
Cependant, plusieurs questions se posent, celles de savoir quels rapports entretiennent l’assurance-vie et le droit des successions ?
Quels conflits peuvent naître et comment les gérer ?
I. Le contrat d’assurance-vie
A. Le souscripteur
Le souscripteur est la personne qui souscrit la police d’assurance-vie auprès de l’assureur et qui s’acquitte des primes. Les règles de capacité rejoignent souvent celles de droit commun.
Le mineur non émancipé ne peut pas souscrire, seul, un tel contrat ; l’administrateur légal, ou le tuteur pourra le faire à sa place.
Le majeur en tutelle n’a pas la capacité de souscrire seul un contrat d’assurance -vie.
À compter du 1er janvier 2009, lorsqu’une tutelle est ouverte à l’égard du majeur stipulant, la souscription ou le rachat d’un contrat d’assurance-vie, ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire, ne peuvent être accomplis qu’avec l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué (C. assur., art. L. 132-4-1 créée par L. n° 2007-1775, 17 déc. 2007, art. 9 : JO, 18 déc.).
Il en est de même pour un versement complémentaire sur un contrat existant (CA Rennes, 6e ch. B, 5 févr. 2013, n° 12/02304). Il appartient au juge de veiller à ce que les demandes présentées par le tuteur aient bien pour finalité l’intérêt du majeur protégé (1).
Les majeurs en curatelle peuvent souscrire des contrats d’assurance-vie, de même que les majeurs sous sauvegarde de justice, à la condition que leurs engagements ne soient pas excessifs par rapport à leurs moyens. L’assistance du curateur est, dans ce cas, suffisante (C. assur., art. L. 132-4-1 mod. par L. n° 2007-1775, 17 déc. 2007 : JO, 18 déc.). Toutefois, même si les règles relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ont été respectées, le juge est tenu d’examiner l’action en nullité des héritiers pour insanité d’esprit (2).
Si le bénéficiaire du contrat d’assurance est le curateur ou le tuteur, il est réputé être en opposition d’intérêts avec la personne protégée. La désignation d’un administrateur ad hoc doit alors être requise (Code civil, article 455).
Sous l’empire des anciennes dispositions du Code civil, la désignation par un majeur incapable agissant seul, de son curateur en tant que bénéficiaire du contrat a été jugée valable, dans la mesure où cette désignation correspondait à la volonté lucide de celui-ci (3).
L’acceptation du bénéfice d’un contrat d’assurance-vie conclu moins de 2 ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection du majeur (mise sous tutelle ou curatelle) pourra être annulée sur la seule preuve que l’incapacité était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés (C. assur., art. L. 132-4-1 créée par L. n° 2007-308, 5 mars 2007, art. 30 : JO, 7 mars).
Un époux peut, quel que soit son régime matrimonial, valablement s’engager par un contrat d’assurance-vie.
B. Personnes concernées
L’assuré est la personne dont le décès ou la survie entraîne la réalisation du risque.
La tête assurée peut être une personne différente du souscripteur. L’article L. 132-1 du code des assurances autorise en effet les contrats d’assurance-vie souscrits sur la tête d’un tiers.
Ce principe a cependant été restreint pour le cas des assurances en cas de décès, de tels contrats souscrits sur la tête d’une tierce personne pouvant apparaître comme une spéculation sur la vie d’autrui. Il faut ici distinguer l’assuré capable de l’assuré incapable :
L’assuré capable : un contrat en cas de décès souscrit sur sa tête sera valable en ce cas, à la condition qu’il ait donné son consentement soit dans la police, soit dans un acte séparé. Quelle que soit la forme donnée à ce consentement, il devra être assorti de l’indication de la somme assurée, rente ou capital (C. assur., art. L. 132-2) ;
L’assuré incapable : il est interdit de contracter ce type d’assurances sur la tête d’un mineur de moins de 12 ans, ainsi que sur la tête d’un majeur en tutelle et d’une personne placée dans un établissement psychiatrique d’hospitalisation.
Tout engagement contraire à ces règles serait nul, même avec le consentement du représentant légal. La nullité pourra être demandée par l’assureur, le souscripteur, ou le représentant de l’incapable, et les primes déjà payées devront être restituées (C. assur., art. L. 132-3).
En ce qui concerne les mineurs de plus de 12 ans, un contrat d’assurance-vie en cas de décès pourra être souscrit sur leur tête, mais seulement avec leur consentement ainsi qu’avec celui de leur représentant légal, sous peine de nullité (C. assur., art. L. 132-4).
Enfin, les assurances réciproques sont possibles en toutes circonstances (C. assur., art. L. 132-1).
En ce qui concerne les bénéficiaires, selon l’article L. 132-8 du Code des assurances, est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis.
Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes :
Les enfants nés ou à naître du contractant, de l’assuré ou de toute autre personne désignée ;
Les héritiers ou ayants droit de l’assuré ou d’un bénéficiaire précédé. Le même article précise que les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession.
Commet une faute par abstention et négligence le parent qui ne répond pas à l’exigence de représentation du capital décès revenant à son enfant mineur désigné bénéficiaire (4).
II. Comment régler les conflits
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A. Assurance-vie et atteinte à la réserve héréditaire
En tant que limite au pouvoir de disposition à titre gratuit de la personne, la réserve héréditaire constitue la manifestation la plus tangible de l’ordre public successoral.
La réserve héréditaire est une fraction de la succession dont la loi organise impérativement la dévolution au profit des héritiers qui en sont les bénéficiaires. Corrélativement, la réserve est une limite à la liberté de disposition à titre gratuit du de cujus. En présence de réservataires, la succession se divise en deux fractions distinctes : la réserve héréditaire dont la loi interdit de disposer à leur préjudice et la quotité disponible dont il peut être librement disposé au profit de quiconque par voie de libéralités.
Selon l’article 912 du Code civil, « La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ». Ainsi conçue, la réserve héréditaire remplit une double fonction de protection de la proche famille contre les libéralités que le de cujus peut vouloir faire à des étrangers au premier cercle familial et de protection individuelle de ses bénéficiaires entre lesquels elle garantit le respect d’une égalité successorale minimale.
L’action en réduction n’appartient qu’aux seuls héritiers réservataires, c’est-à-dire, pour reprendre la formule de l’article 921 du Code civil, “à ceux au profit desquels la loi fait la réserve” (Cass. req., 1er juill. 1913 : DP 1917, 1, p. 46), ce qui est en parfaite conformité avec la fonction de la réduction qui est la protection de la réserve héréditaire.
Par ailleurs, parmi lesdits héritiers réservataires, seuls ceux qui ont accepté la succession peuvent exercer l’action en réduction puisque la réserve est une fraction de succession (pars hereditatis) ou, selon les termes de la définition donnée par la loi du 23 juin 2006 à l’article 912 du Code civil, une “part des biens et droits successoraux, dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers”.
Celui qui renonce à la succession renonce, par là même, à sa part de réserve et, en outre, ne peut en principe imputer les libéralités par lui reçues que sur la quotité disponible puisqu’il a perdu tout droit à la réserve. En revanche, il n’y a pas à distinguer selon que la succession a été acceptée purement et simplement ou à concurrence de l’actif net.
Ayants cause – Les ayants cause universels des héritiers réservataires (héritiers légataires ou institués contractuels universels ou à titre universel) ont les mêmes droits qu’eux puisqu’ils sont les continuateurs de leur personne (Code civil, article. 921). Ils peuvent donc agir en réduction au même titre que les héritiers réservataires.
Cela concerne les héritiers, les légataires universels et les légataires à titre universel. Mais, les termes de l’article 921 du Code civil visant les ayants cause en général, il faut par ailleurs en induire que l’action en réduction peut encore être exercée par les ayants cause à titre particulier des héritiers réservataires, tels que les cessionnaires de droits successifs.
B. Rapport des primes manifestement exagérées. Intégration volontaire de l’assurance-vie dans les opérations de liquidation de la succession
Le rapport à la succession de la prime manifestement exagérée doit selon nous être soigneusement dissocié de la requalification de l’opération en donation indirecte ou déguisée.
L’exagération manifeste de la prime au sens de l’article L 132-13 du Code des assurances n’emporte pas à nos yeux requalification du contrat qui ne dégénère pas en libéralité ordinaire, mais entraîne seulement un retour à la règle de droit commun du rapport, à hauteur de l’exagération.
Le contrat conserve sa nature d’opération d’assurance-vie. On voit mal d’ailleurs comment une requalification de l’opération pourrait intervenir alors que la réintégration ne porte pas sur le contrat, mais uniquement sur la prime exagérée. La stipulation pour autrui produit son effet, mais une partie des primes est soumise à rapport lors du partage de succession.
Une telle application ponctuelle et purement liquidative des règles du droit des successions et des libéralités, même lorsqu’elle se traduit par l’intégration dans la masse de calcul de la réserve successorale de la valeur qui en fait l’objet est parfaitement compatible avec le maintien de son régime fiscal propre.
La jurisprudence fiscale consacrée au régime d’un avantage matrimonial sujet à retranchement (Code civil, article 1527) l’a démontré de longue date (5). Y compris d’un point de vue liquidatif, le rapport de la prime manifestement exagérée d’un contrat d’assurance-vie s’accommode fort bien du maintien de son régime fiscal propre, sous réserve d’être particulièrement attentif à la rédaction de la déclaration de succession et au fondement de la « réintégration » qui est opérée.
En matière d’assurance-vie, l’exclusion du rapport ne joue plus, s’agissant des primes, dès lors que leur excès manifeste eu égard aux facultés du souscripteur est démontré, ce qui implique la prise en considération de l’ensemble de son patrimoine au moment du versement, notamment de ses situations patrimoniale et familiale, de son âge ainsi que de l’utilité du contrat pour lui (6).
S’agissant du capital ou de la rente, la requalification du contrat en donation indirecte les rend éligibles au rapport (7). La Cour de cassation valide, par ailleurs, la clause tendant à réintégrer l’attribution du capital à la succession du souscripteur, pour l’inclure dans le lot du bénéficiaire (8).
Par ailleurs, la non-révélation de l’existence d’un tel contrat à son profit par un héritier n’est pas en soi constitutive d’un recel successoral (pour un rappel du principe : CA Paris, 16 nov. 2010, n° 08/11938 : JurisData n° 2010-022473).
Mais, s’il est établi que les primes étaient manifestement exagérées et donnaient lieu à un rapport à la succession (requalification en donation déguisée), la Cour de cassation admet qu’il peut y avoir recel successoral en cas de non-révélation du contrat (9).
Sources :
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000027950806?init=true&page=1&query=12-23.828&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000041490378?init=true&page=1&query=18-26.683&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021998472?init=true&page=1&query=08-15.658&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032685803?init=true&page=1&query=14-27.043&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007036339?init=true&page=1&query=95-13.804+&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036947106?init=true&page=1&query=17-17.303++&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000017739957?init=true&page=1&query=06-12.769++&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022458270?init=true&page=1&query=09-12.491++&searchField=ALL&tab_selection=all
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000017696260?init=true&page=1&query=06-19.653&searchField=ALL&tab_selection=all
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