L’acceptation de la succession par défaut

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Le droit des successions, pierre angulaire de la transmission patrimoniale, repose sur un équilibre délicat entre la volonté du défunt, les prérogatives des héritiers et les droits des créanciers.

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Historiquement, l’héritier dispose d’une liberté sacro-sainte : accepter purement et simplement la succession, y renoncer ou l’accepter sous bénéfice d’inventaire, cette dernière option permettant de limiter sa responsabilité au montant de l’actif successoral.

Toutefois, cette liberté, si elle est exercée avec diligence, peut devenir un instrument de dilution des responsabilités lorsqu’elle est exploitée avec inertie. En effet, l’indécision prolongée d’un héritier paralyse les créanciers de la succession, incapables de recouvrer leurs créances dans un délai raisonnable.

C’est dans ce contexte que les articles 771 et 772 du Code civil, issus de la réforme des successions de 2006, ont instauré un mécanisme contraignant : la sommation d’opter. Ce dispositif permet aux créanciers, cohéritiers ou autres parties intéressées de forcer l’héritier à se déterminer dans un délai strict, sous peine d’être réputé acceptant pur et simple.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 février 2025, rappelle avec fermeté les conséquences irrévocables de l’inaction de l’héritier sommé. (1) Par cette décision, la Haute Juridiction confirme que l’expiration du délai légal entraîne une acceptation de plein droit, fermant définitivement la porte à toute renonciation ultérieure, même en l’absence de jugement définitif.

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à protéger la sécurité juridique des créanciers, tout en encadrant strictement les droits des héritiers. Il soulève des questions essentielles sur la nature sanctionnatrice de l’acceptation par défaut et sur l’effectivité des garanties offertes aux héritiers. Pour en appréhender les nuances, il convient d’analyser, d’une part, le caractère automatique et contraignant de l’acceptation résultant de l’inaction (I), et d’autre part, l’équilibre entre la protection des créanciers et les droits des héritiers (II).

 

I. Le Caractère automatique et contraignant de l’Acceptation par Défaut

La sommation d’opter, prévue à l’article 771 du Code civil, s’inscrit dans une logique de sécurité juridique. (2) Elle permet aux créanciers de sortir l’héritier de son inertie, en l’obligeant à clarifier sa position. Toutefois, cette procédure, combinée aux délais stricts de l’article 772, soulève des enjeux pratiques et théoriques quant à l’équilibre entre les droits des héritiers et ceux des créanciers. (3)

A. Le Mécanisme légal de la Sommation d’Opter : Un Délai impératif

L’article 771 du Code civil autorise tout créancier de la succession, cohéritier ou héritier subséquent à sommer un héritier indécis de prendre parti dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’acte extrajudiciaire. Ce dispositif, conçu pour éviter une paralysie prolongée de la liquidation successorale, impose à l’héritier une obligation de réactivité.

La sommation agit comme un catalyseur : elle transforme une option discrétionnaire en une obligation temporelle. L’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2025 illustre parfaitement cette logique.

En l’espèce, les consorts [L], héritiers de [J] [L], avaient été sommés par le syndicat des copropriétaires de se prononcer sur leur option successorale.

Malgré la clarté des actes d’huissier des 17, 18 et 19 juillet 2019, les héritiers n’ont pas réagi dans le délai de deux mois, perdant ainsi leur faculté de renoncer à la succession. La Cour relève que le délai court de manière irréversible à partir de la sommation, sans possibilité de régularisation a posteriori. Cette rigueur s’explique par la nécessité de préserver les intérêts des créanciers, qui ne sauraient être tenus en suspens indéfiniment.

B. Les Conséquences de l’Inaction : Une Irréversibilité calculée

L’article 772 du Code civil prévoit que l’héritier qui n’a pas pris parti dans le délai imparti est « réputé acceptant pur et simple ». Cette présomption légale, qualifiée d’irréfragable par la jurisprudence, produit des effets immédiats et définitifs.

Ainsi, dans l’affaire commentée, les consorts [L], en ne répondant pas à la sommation, ont été considérés comme acceptants à compter des 18, 19 et 20 septembre 2019. Leurs tentatives ultérieures de renonciation, intervenues après ces dates, ont été jugées inopérantes.

La Cour de cassation insiste sur l’automaticité du mécanisme : aucune intervention judiciaire n’est nécessaire pour constater la perte du droit d’option. Cette solution se distingue de l’ancien droit, où une déclaration en justice était requise pour forcer l’héritier à se déterminer. Désormais, la sanction découle de la loi elle-même, sans qu’un juge ait à trancher préalablement. Cette automaticité renforce l’effet dissuasif de l’inaction, tout en simplifiant les procédures pour les créanciers.

 

II. L’Équilibre entre Protection des Créanciers et Droits des Héritiers

A. La Sécurité juridique des Créanciers : Une Priorité législative

La réforme de 2006, en introduisant les articles 771 et 772, a clairement privilégié la protection des créanciers. En permettant à ces derniers de forcer la décision de l’héritier, le législateur a souhaité éviter les stratégies dilatoires.

Dans l’arrêt commenté, le syndicat des copropriétaires, créancier de charges impayées, a pu agir directement contre les héritiers, une fois leur acceptation actée par leur silence. Cette logique est conforme à l’esprit du Code civil, qui considère que l’héritier, en tardant à se déterminer, nuit à la stabilité des relations juridiques.

La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs validé ce mécanisme, estimant qu’il poursuit un objectif légitime de protection des créanciers. L’arrêt de 2025 s’inscrit dans cette lignée, en refusant de laisser aux héritiers une échappatoire procédurale.

B. Les Limites du Droit de Renonciation : Un Principe strictement encadré

Si les héritiers conservent théoriquement le droit de renoncer à la succession, ce droit est conditionné par un respect scrupuleux des délais. La Cour de cassation rappelle qu’une fois le délai de deux mois expirés, la renonciation devient impossible, même en l’absence de jugement définitif. Cette solution, bien que sévère, évite une insécurité juridique : les créanciers doivent pouvoir se fier à l’absence de réaction de l’héritier pour engager des poursuites.

Toutefois, cet encadrement n’est pas absolu. L’article 772 prévoit une exception : l’héritier peut solliciter un délai supplémentaire auprès du juge s’il justifie de motifs sérieux (par exemple, un inventaire complexe ou un litige sur l’actif).

Dans l’affaire des consorts [L], aucun tel recours n’a été exercé, ce qui a rendu leur renonciation tardive irrecevable. La Cour souligne ainsi que les héritiers doivent anticiper les risques de l’inaction, sous peine d’en assumer les conséquences patrimoniales.

L’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2025 consacre une vision pragmatique du droit des successions, où l’équilibre entre les intérêts des héritiers et des créanciers penche en faveur de ces derniers. En érigeant l’inaction en acceptation pure et simple, le législateur et la jurisprudence sanctionnent non seulement la négligence, mais protègent aussi l’effectivité des recours des créanciers.

Cette solution, bien que rigoureuse, rappelle que la liberté de choix des héritiers s’accompagne de devoirs, dont celui de ne pas entraver indûment les droits des tiers.

Elle invite enfin à une réflexion sur l’importance de l’accompagnement juridique des héritiers, afin que les délais stricts de la sommation d’opter ne deviennent pas un piège procédural.

 

Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 février 2025, 22-22.618, Publié au bulletin – Légifrance
  2. Article 771 – Code civil – Légifrance
  3. Article 772 – Code civil – Légifrance

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