Le délai pour faire une action en recel successoral
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 mars 2025 cristallise une question épineuse du droit des successions : le régime de prescription de l’action en recel successoral. (1)
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Alors que le législateur a minutieusement encadré les délais applicables à l’option successorale (article 780 Code civil) ou à l’action en réduction (article 924 du Code civil) il est resté silencieux sur celui du recel, laissant la jurisprudence combler ce vide.
En l’espèce, la Cour était confrontée à un litige opposant un héritier, M. [B] [G], à la légataire universelle de son frère décédé, Mme [U], ce dernier étant accusé d’avoir détourné des fonds successoraux avant son décès. La cour d’appel de Grenoble avait déclaré l’action en recel prescrite au terme du délai quinquennal de droit commun (article 2224 du Code civil.), rejetant l’argumentation du demandeur, qui invoquait le délai décennal de l’option successorale (article 780 du Code civil).
Cet arrêt s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel récent, illustré par des décisions du 23 octobre 2024, où la Cour a étendu la prescription quinquennale à d’actions successorales (réduction, délivrance de legs), confirmant la primauté du droit commun des prescriptions face aux silences du droit spécial. Toutefois, le recel successoral soulève une difficulté particulière : sa sanction, prévue à l’article 778 du Code civil, prive l’héritier recéleur de son droit d’option, créant un lien apparent avec le délai de dix ans de l’article 780. (2) Fallait-il pour autant unifier ces délais, au nom de la cohérence du système successoral ? La Cour de cassation répond par la négative, en des termes sans équivoque : l’action en recel, de nature personnelle et non réelle, relève du droit commun.
Ce choix jurisprudentiel, bien que conforme à la lettre des textes, ne manque pas d’interroger.
D’une part, il consacre l’autonomie du recel successoral par rapport à l’option, rompant avec l’idée d’une interdépendance naturelle entre ces mécanismes.
D’autre part, il expose les héritiers à un risque de prescription accélérée, dès lors que la découverte de faits suspects – ici, des mouvements bancaires irréguliers détectés en 2014 – déclenche immédiatement le délai de cinq ans.
En l’espèce, l’assignation de 2020, intervenant six ans après cette découverte, était irrecevable, alors même que la succession n’était ouverte que depuis huit ans. Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt illustre la tension permanente entre sanction de la fraude et sécurité juridique : en privilégiant la seconde, la Cour de cassation rappelle que la stabilité des situations successorales prime sur la volonté de réparer des injustices parfois patentes. Les héritiers et praticiens devront désormais redoubler de vigilance, l’action en recel s’apparentant à une course contre la montre, où la moindre inertie peut être fatale.
Cette introduction met en lumière les enjeux théoriques et pratiques de l’arrêt, en situant la solution dans le contexte plus large des évolutions jurisprudentielles récentes et des débats doctrinaux sur l’articulation entre droit spécial des successions et droit commun des obligations.
I. La caractérisation de l’action en recel successoral : une action personnelle soumise à la prescription de droit commun
A. L’absence de texte spécial régissant la prescription de l’action en recel
La Cour de cassation, dans son arrêt du 5 mars 2025, consacre une interprétation stricte du droit des prescriptions en matière de recel successoral. L’article 778 du Code civil, qui sanctionne le recel en réputant l’héritier recéleur acceptant pur et simple de la succession, ne prévoit aucun délai spécifique pour agir. La Cour écarte ainsi l’application analogique du délai de dix ans liés à l’option successorale (article 780 du Code civil.), au motif qu’il n’existe pas de disposition législative explicite dérogeant au droit commun.
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Le principe de droit commun :
L’article 2224 du Code civil instaure une prescription quinquennale pour les actions personnelles mobilières. Ce délai, dit “de droit commun”, s’applique par défaut en l’absence de texte spécial. La Cour rappelle que le recel successoral, bien que spécifique par sa finalité (sanctionner une fraude), ne constitue pas une catégorie autonome justifiant un régime dérogatoire.
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Comparaison avec d’autres délais successoraux :
- L’option successorale (article 780 du Code civil.) : Le délai de dix ans protège l’héritier dans sa décision d’accepter ou de renoncer à la succession, en tenant compte de la complexité de l’évaluation de l’actif et du passif.
- L’action en réduction (article 924 du Code civil) : Elle se prescrit par cinq ans, mais ce délai est adapté à la protection des réservataires, avec une possibilité de prolongation en cas de découverte tardive de la lésion.
- Le recel successoral : Aucune de ces justifications ne s’applique. La Cour souligne que le recel est une sanction punitive, non un mécanisme de protection des droits patrimoniaux.
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Analyse historique et législative :
La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a réformé le droit des successions, a codifié le recel à l’article 778 du Code civil sans prévoir de délai spécifique. Le silence du législateur est interprété comme une volonté de maintenir le droit commun. La Cour invoque l’argument a contrario : si le législateur avait souhaité un délai différent, il l’aurait expressément mentionné, comme il l’a fait pour l’option successorale. Ainsi, après l’action en réduction pour les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007 (3) et l’action en délivrance du legs (4), c’est désormais l’action en recel successoral qui se voit soumis au délai quinquennal de l’article 2224 du Code civil.
B. La nature personnelle de l’action en sanction du recel
La qualification de l’action en recel comme action personnelle est déterminante pour son régime de prescription. Cette nature découle de son objet : sanctionner un comportement frauduleux de l’héritier, non de revendiquer un droit réel sur un bien.
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Définition et portée de l’action personnelle :
Une action personnelle vise à faire condamner une personne à exécuter une obligation (ex. : réparation d’un préjudice). En l’espèce, l’action en recel a pour but de priver l’héritier recéleur du bénéfice de l’acceptation à concurrence de l’actif net (article 778 du Code civil), le rendant personnellement responsable du passif successoral.
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Distinction avec les actions réelles :
- Action en revendication : Elle permet de récupérer un bien indûment détenu et se prescrit par trente ans (art. 2227 du Code civil). Exemple : Si un héritier dissimule un immeuble, la victime peut intenter une action en revendication indépendamment de l’action en recel.
- Action en partage : Elle est imprescriptible (art. 836 du Code civil), mais son exercice tardif peut être limité par l’application de la théorie de l’abus de droit.
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Conséquences pratiques de la qualification :
- Effet limité aux rapports entre héritiers : L’action en recel n’affecte pas les tiers détenteurs des biens recelés. Par exemple, un acquéreur de bonne foi d’un tableau dissimulé ne peut pas voir son droit remis en cause.
- Cumul possible avec d’autres actions : La victime peut cumuler l’action en recel (5 ans) et l’action en revendication (30 ans) pour maximiser ses chances de récupérer les biens.
II. La fixation du point de départ de la prescription : la connaissance des faits constitutifs du recel
A. Le déclenchement de la prescription à la date de la découverte des faits suspects
L’article 2224 du Code civil prévoit que la prescription commence à courir à partir du jour où le titulaire du droit a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des faits lui permettant d’agir. (5)
En matière de recel successoral, cette règle implique une appréciation rigoureuse des éléments de preuve.
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Conditions d’application :
- Connaissance effective : Le demandeur doit avoir eu accès à des informations suffisantes pour soupçonner le recel. Exemple : Découverte de comptes bancaires non déclarés, de titres de propriété occultés, ou de témoignages attestant de la dissimulation.
- Connaissance présumée : Si le demandeur aurait dû découvrir les faits par une diligence raisonnable (ex. : consultation de l’inventaire successoral), la prescription peut courir même en l’absence de preuve formelle.
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Jurisprudences illustratives :
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 19 octobre 2023 : pour la Cour, la prescription quinquennale, prévue par l’article 2224 du Code civil, est, en application des articles 2240, 2241 et 2244 du même Code, interrompue par la reconnaissance du débiteur, une demande en justice, même en référé, une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution, ou un acte d’exécution forcée. (6)
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 13 octobre 2022 (7) : Selon l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Dans la continuité d’un arrêt du 9 mai 2019 (8), relatif au recours en inopposabilité de l’employeur, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 22 octobre 2020 (9), décidé que l’action en contestation du taux d’incapacité permanente partielle ne revêtait pas le caractère d’une action au sens de l’article 2224 du Code civil.
Cependant, la Cour de cassation a jugé depuis lors, par des arrêts du 18 février 2021 (10), que l’action de l’employeur tendant à contester l’opposabilité ou le bien-fondé de la décision d’une caisse primaire d’assurance maladie de reconnaissance du caractère professionnel d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute est au nombre des actions qui se prescrivent par cinq ans en application de l’article 2224 du Code civil.
Le recours ouvert à l’employeur pour contester la décision d’une caisse primaire attribuant un taux d’incapacité permanente partielle à la victime d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’une rechute constitue une action en justice.
En conséquence, en l’absence de texte spécifique, cette action est au nombre de celles qui se prescrivent par cinq ans en application de l’article 2224 du Code civil.
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Application en l’espèce :
La Cour retient que M. [G] avait connaissance, dès le 4 mars 2014, de mouvements bancaires anormaux opérés par son frère [Y] [G]. Ces éléments, bien que non concluants isolément, constituaient un faisceau d’indices suffisants pour engager une action en recel.
La prescription a donc commencé à courir à cette date.
B. La confirmation de la prescription acquise au 17 janvier 2020
Le calcul rigoureux du délai de prescription est essentiel pour déterminer l’irrecevabilité de l’action. En l’espèce, le délai de cinq ans, courant à partir de mars 2014, expire en mars 2019. L’assignation délivrée en janvier 2020 est donc tardive.
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Mécanismes de calcul du délai :
- Point de départ : Fixé au 4 mars 2014, date de la découverte des mouvements bancaires.
- Fin du délai : Le délai expire le 4 mars 2019 (article. 2224 du Code civil). Les assignations des 13 et 17 janvier 2020 sont intervenues près d’un an après l’extinction de l’action.
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Conséquences juridiques :
- Irrecevabilité d’ordre public : Le juge doit relever d’office la prescription, même si les parties ne l’invoquent pas.
- Effet rétroactif : La prescription éteint définitivement le droit d’agir, rendant irrecevable toute action future, même en cas de découverte ultérieure de preuves accablantes.
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Enjeux pratiques pour les professionnels du droit :
- Rôle des notaires : Ils doivent conseiller aux héritiers de procéder à un inventaire détaillé et de documenter toute anomalie dès l’ouverture de la succession.
- Stratégie procédurale : Les avocats doivent prioriser l’action en recel dans les cinq ans, tout en conservant la possibilité d’exercer parallèlement une action en revendication (30 ans) pour sécuriser les biens litigieux. Exemple concret : Dans une affaire similaire), un héritier avait découvert des bijoux dissimulés trois ans après le décès. La Cour a retenu que la prescription avait commencé à courir dès cette découverte, et non à l’ouverture de la succession, protégeant ainsi l’héritier d’une prescription prématurée.
Comparaison internationale :
- Droit allemand (§ 195 BGB) : Le délai de prescription est de trois ans pour les actions en responsabilité, mais il peut être suspendu en cas de négociations entre les parties.
- Droit belge (art. 2262bis du Code civil) : L’article 2262bis, § 1er, du Code civil dispose que « toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans. ». (10)
Approfondissement des enjeux théoriques
- Équilibre entre sanction de la fraude et sécurité juridique : La Cour privilégie la stabilité des situations successorales en limitant les contestations tardives. Cet équilibre est crucial pour protéger les tiers (légataires, créanciers) dont les droits pourraient être remis en cause par des actions prolongées.
- Impact sur les stratégies successorales : Les héritiers doivent désormais agir avec célérité pour contester un recel. Une vigilance accrue est requise lors de la phase d’inventaire et de partage, notamment en cas de soupçons de dissimulation.
- Perspectives législatives : Certains praticiens plaident pour une réforme législative instaurant un délai spécial de dix ans pour le recel, aligné sur l’option successorale.
Cependant, la Cour de cassation rappelle que cette évolution relève du législateur, non du juge.
Sources :
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 mars 2025, 23-10.360, Publié au bulletin – Légifrance
- Article 778 – Code civil – Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 23 octobre 2024, 22-19.365, Publié au bulletin – Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 23 octobre 2024, 22-20.367, Publié au bulletin – Légifrance
- Article 2224 – Code civil – Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 19 octobre 2023, 21-22.955, Publié au bulletin – Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 13 octobre 2022, 21-14.785, Publié au bulletin – Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 9 mai 2019, 18-10.909, Publié au bulletin – Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 22 octobre 2020, 19-17.130, Inédit – Légifrance
- La prescription de dix ans et le bref délai coexistent-ils ? | Carnet de route en droit immobilier
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