Détermination du montant de la réintégration des donations

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Le rapport civil permet, au moment de la succession, de reconstituer le patrimoine tel qu’il aurait été s’il n’y avait eu les donations. Quid en cas de changement de destination du bien donné, qui était par exemple constructible à l’époque de la donation et ne le serait plus au jour du partage ?

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La jurisprudence a précisé qu’il résulte de l’article 860, alinéa 1er, du Code civil, que ce changement devait être pris en compte pour évaluer le bien (1). L’héritier doit donc rapporter la valeur du terrain non constructible, ceci même s’il était constructible à l’époque de la donation.

Le donateur peut toutefois décider qu’une évaluation différente des biens sera faite au jour de sa succession. Il peut par exemple réaliser une donation-partage, qui répartit ses biens entre ses enfants et fige leur montant au jour de la donation, afin que les biens ne soient pas réévalués au jour de la succession.

Instauré dans un premier temps en faveur du rapport des libéralités (C. civ., art. 860), le système de la dette de valeur a été étendu à la réduction pour atteinte à la réserve par la loi no 71-523 du 3 juillet 1971 en raison de ses avantages, ce malgré la complexification des calculs qui en découle.

Antérieurement à la loi du 23 juin 2006, les règles guidant l’évaluation se trouvaient à l’article 868 du code civil. La loi nouvelle a conservé et complété le principe, désormais présent à l’article 924-2 du même code :« Le montant de l’indemnité de réduction se calcule d’après la valeur des biens donnés ou légués à l’époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet.

S’il y a eu subrogation, le calcul de l’indemnité de réduction tient compte de la valeur des nouveaux biens à l’époque du partage, d’après leur état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation ».

Selon l’article 924 du code civil, le montant de l’indemnité se calcule par référence à la portion excessive de la libéralité réductible, et dans le respect des règles d’évaluation de l’article 924-2. Dès lors, deux cas de figure sont concevables :

  • si la libéralité excessive dépasse pour le tout le disponible, la réduction sera totale et l’indemnité calculée par rapport à la valeur de l’entier bien ;
  • au cas d’excès partiel, il faudra déterminer la portion excessive de la libéralité et seule cette dernière constituera l’assiette de l’indemnité.

Au plan liquidatif, il est nécessaire de rapporter sur la valeur de l’entier bien celle de l’excédent, ce qui va permettre de représenter la portion excessive sous forme de fraction. C’est au jour du décès que l’importance de l’empiètement doit être mesurée, même si une réévaluation sera opérée au cas de changement de valeur du bien entre l’ouverture de la succession et le partage.

 

I. Le principe de la date d’évaluation

L’article 924-2 dispose que l’indemnité doit, en principe, être évaluée par référence à la valeur des biens donnés ou légués à l’époque du partage (la date peut également être celle qui est la plus proche du partage (2)). C’est là, une manifestation éclatante du système de la dette de valeur, qui garantit l’égalité entre les deux modes de réduction.

En effet, lorsque la réduction a lieu en nature, la sanction opère restitution des biens au partage ; les réservataires profitent donc des biens à la valeur qu’ils ont à cette date. Si la détermination de l’indemnité de réduction ne tenait pas compte des éventuelles fluctuations de valeurs survenues aux biens objets de la libéralité entre le décès et le partage, il y aurait un décalage entre les deux types de réduction, au détriment de la sanction en valeur.

En la matière, le législateur s’était rangé, dès 1971, à l’avis de la jurisprudence (3). La réévaluation des biens à l’époque du partage doit être combinée avec l’exigence posée à l’article 924 du code civil.

Dès lors, si la libéralité est réductible pour le tout, l’indemnité de réduction correspond à la valeur des biens objets de la libéralité au partage. Si elle n’excède qu’en partie le disponible, c’est la portion excessive appréhendée au décès qui doit subir une réévaluation en fonction de la nouvelle valeur des biens au partage.

Bien entendu, ces calculs n’ont pas lieu d’être si les biens n’ont pas changé de valeur entre le décès et le partage. Dans l’exemple précédent, si les biens objets de la donation dépassant à hauteur de la moitié le disponible avaient au jour du partage une valeur de 1 200 000 € l’indemnité de réduction serait égale à la moitié de cette valeur, soit 600 000 €.

En l’absence de partage, à défaut d’indivision entre le bénéficiaire de la libéralité et l’héritier réservataire, le montant de l’indemnité de réduction se calcule selon la valeur des biens donnés ou légués à l’époque de sa liquidation ou de leur aliénation par le gratifié (4).

 

II. Aliénation du bien avec ou sans subrogation

Lorsque le bien objet de la libéralité a été aliéné, que ce soit avant ou après le décès (5) mais sans subrogation, l’indemnité doit être évaluée par référence à sa valeur au jour de l’aliénation. En effet, il n’est, dans ce cas, pas possible de prendre en compte sa valeur au jour du partage puisqu’il ne se trouve plus à cette date dans le patrimoine du gratifié.

En cas d’aliénation suivie de subrogation, il faudra tenir compte de la valeur au partage du bien subrogé. La loi du 23 juin 2006 a ajouté une précision quant aux biens dont la dépréciation est inéluctable en raison de leur nature ; il ne sera pas, dans cette hypothèse, tenu compte de la subrogation.

Cette disposition existe également en matière de rapport à succession. L’existence d’une subrogation complexifie les modalités d’évaluation de l’indemnité. Il en est ainsi, notamment, lorsque la subrogation n’est que partielle, les fonds issus de la vente du bien n’ayant pas suffi à acquérir le nouveau. Si la réduction est totale, l’indemnité sera égale à une fraction de la valeur du nouveau bien, cette dernière représentant la part de l’objet de la libéralité dans l’acquisition du bien subrogé. Si la réduction n’est pas totale, il faudra revenir au taux de réductibilité déterminé au décès et l’appliquer à la valeur partage de la participation du bien objet de la libéralité dans l’acquisition du bien subrogé.

 

III. Critères d’évaluation

La réévaluation imposée par l’article 924-2 du code civil ne suffit pas, il faut encore procéder à certaines distinctions, elles aussi suggérées par le texte qui ajoute que le calcul doit se faire selon l’état des biens au jour où la libéralité a pris effet. Cette date sera celle de l’acte lorsqu’il s’agit d’une donation entre vifs.

Elle sera celle du décès en cas de libéralité testamentaire. Ceci étant, et concernant les libéralités testamentaires, il faut ici distinguer selon que le légataire dispose ou non de la saisine.

En présence d’un légataire bénéficiant de la saisine, la date sera celle du décès. Dans le cas inverse, il faudra tenir compte de la date à laquelle a eu lieu la délivrance volontaire ou, à défaut, celle de la demande en justice formée par le bénéficiaire de la libéralité (6).

L’institution contractuelle doit, sur ce point, être assimilée à un legs au regard de son objet. La loi contraint à opposer les fluctuations de valeurs advenues aux biens, plus-values ou moins-values, selon qu’elles sont le fait du gratifié ou qu’elles sont purement fortuites.

Les premières ne seront pas prises en compte pour le calcul de l’indemnité et il faudra retenir la valeur qu’aurait eue le bien sans le fait du donataire au partage. Au contraire, il sera tenu compte des mouvements de valeurs fortuits, l’indemnité étant calculée sur la base de la valeur réelle des biens au partage, plus-values ou moins-values incluses (7).

L’exemple de la perte du bien objet de la libéralité peut éclairer le propos ; s’il a péri ou été détruit par la faute du gratifié, il faudra évaluer l’indemnité de réduction par référence à la valeur qu’aurait eue le bien au partage sans la faute du bénéficiaire, s’il l’avait conservé dans l’état où il l’avait reçu. Au cas d’événement fortuit ayant précipité la perte ou la destruction, l’indemnité de réduction sera égale à zéro puisque la moins-value, ici extrême, participe de l’évaluation.

 

IV. Règlement de l’indemnité de réduction

A. Moment du paiement et garanties

L’article 924-3 du code civil (reprise de l’anc. art. 868, al. 2) précise que le paiement de l’indemnité doit en principe se faire au moment du partage. Mais il existe des hypothèses dans lesquelles un délai peut être accordé au gratifié de la libéralité excessive. En premier lieu, ce délai supplémentaire peut émaner des héritiers eux-mêmes, qui décident alors de la durée et des modalités du crédit octroyé. Le délai de paiement peut également provenir de l’initiative du disposant. En ce cas, il est possible de le prévoir dans un acte postérieur à la libéralité, stipulation qui ne constitue pas, selon la loi, une nouvelle libéralité (C. civ., art. 924-3, al. 2).

Il en est ainsi, plus généralement, de tous les accords ou prévisions relatifs aux modalités et délais de paiement. Enfin, le juge peut à son tour consentir des délais mais dans le cas où le bien objet de la libéralité est susceptible d’attribution préférentielle. L’article 924-3 vient préciser les conditions de ce crédit octroyé par le juge ou le disposant, étant entendu qu’elles peuvent s’étendre aux délais émanant des cohéritiers, à titre supplétif.

C’est ainsi que la durée du crédit ne peut excéder dix ans à compter du décès du disposant, et il rend applicable à l’indemnité le mécanisme d’indexation des soultes, en cas de variation de plus du quart de la valeur du bien donné ou légué par suite des circonstances économiques, maintenu par la loi du 23 juin 2006 (C. civ., art. 828. – C. civ., anc. art. 868, al. 2).

En cas de vente de la totalité du bien donné ou légué, les sommes restantes dues deviennent immédiatement exigibles. Si la vente n’a été que partielle, le produit de l’opération est versé aux héritiers et imputé sur les sommes encore dues, aux termes de l’article 924-3, alinéa 3, du code civil (C. civ., anc. art. 868, al. 4).

Lorsque des délais de paiement ont été consentis quant à l’indemnité due pour une libéralité portant sur des immeubles, les créanciers bénéficient d’une sûreté réelle, le privilège du copartageant, qui nécessite une inscription.

B. Intérêts

Outre son assiette principale, l’indemnité de réduction peut donner lieu à des intérêts. L’ancien article 868, alinéa 3, du code civil (antérieur à la loi du 23 juin 2006), prévoyait en ce sens que l’indemnité était productive « d’intérêts au taux légal en matière civile ». En matière de dette de valeur, la solution conduisait à admettre que les intérêts ne commençaient à courir qu’au jour de sa liquidation.

En ce sens, la jurisprudence avait énoncé que les intérêts couraient à compter du partage, la règle étant écartée au cas de libéralité de deniers ; en effet, l’hypothèse exclut l’application du mécanisme de la dette de valeur et les intérêts courent alors à compter du décès (8).

Dans tous les cas, une stipulation contraire, excluant le paiement d’intérêts, restait possible. La loi du 23 juin 2006 est venue consacrer la jurisprudence évoquée à l’article 924-3, alinéa 2, du code civil, en prévoyant qu’à défaut de clause ou de convention contraires, l’indemnité est productive d’intérêts au taux légal, à compter de la date à laquelle son montant a été fixé.

C. Fruits

Antérieurement à la réforme de 2006, la restitution des fruits était classiquement imposée au gratifié au motif que l’article 868 du code ne distinguait pas, à leur égard, entre la réduction en nature et la sanction en valeur (9). Il fallait dans ce cas procéder par équivalent. La loi du 23 juin 2006 est revenue sur la règle en excluant la restitution des fruits échus entre le décès et le partage au cas de réduction en valeur (C. civ., art. 928). Il y a, sur ce point, une différence importante entre le règlement en valeur et la réduction en nature, pour laquelle la restitution des fruits a été conservée.

D. Mode de paiement de l’indemnité

Deux modes de règlement de l’indemnité sont concevables en pratique : elle peut être réglée en moins prenant ou en numéraire. Le règlement en moins prenant suppose que le débiteur de l’indemnité vienne au partage et qu’il détienne des droits au moins équivalents au montant de sa dette de réduction.

Cette technique simplifie considérablement le paiement ; le débiteur sera à la fois alloti de ses droits et de sa dette, laquelle sera apurée par voie de confusion. Au final, l’héritier ne recueillera dans la masse à partager que la différence entre le montant de ses droits et celui de l’indemnité de réduction dont il est tenu. Le paiement en numéraire sera pratiqué lorsque le débiteur n’a pas de droits dans le partage, ou encore lorsque ses droits sont insuffisants pour permettre un règlement de son entière dette par confusion.

Dans ce dernier cas, les deux modes de paiement se combinent. Il sera tenu du versement d’une somme correspondant à la réduction aux héritiers, ou au reliquat de sa dette qui n’a pu s’imputer et s’éteindre par confusion, faute de droits insuffisants dans le partage. La technique du règlement en moins prenant a expressément été consacrée par la loi du 23 juin 2006, lorsque la réduction est due par un réservataire (C. civ., nouv. art. 924, al. 2).

Le législateur fait, en la matière, écho au rapport successoral, au sujet duquel la même technique est retenue (V. Rapport des dons et legs [Civ.]). En revanche, la possibilité d’un paiement en moins prenant émanant des héritiers non réservataires n’a pas été tranchée par la loi nouvelle, alors même qu’elle était source d’interrogations antérieurement à la réforme de 2006.

 

Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 22 octobre 2014, 13-24.911 13-24.970 13-24.975, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  2. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 25 février 2003, 00-15.891, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  3. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 19 mars 1991, 89-17.309, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  4. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 1 décembre 2021, 20-12.923, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  5. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 29 mai 2001, 99-16.813, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  6. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 28 mai 2015, 14-15.115, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  7. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 14 février 1990, 88-16.193, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  8. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 2 juin 1992, 90-17.034, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  9. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 3 février 2004, 01-11.555, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

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