La renonciation à succession en Europe

image_pdfimage_print

Analyse de l’arrêt de la CJUE, Cour, 30 mars 2023, C-651/21

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision le 30 mars 2023, dans l’affaire C‑651/21 (М. Ya. M.) concernant le règlement (UE) n°650/2012. (1)

La question posée concerne l’interprétation de l’article 13 du règlement (UE) n° 650/2012 (2) du Parlement européen et du Conseil, daté du 4 juillet 2012, qui traite de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions, ainsi que de l’acceptation et de l’exécution des actes authentiques en matière de successions, et de la création d’un certificat successoral européen.

La demande de décision préjudicielle a été soumise dans le cadre d’une procédure engagée par M. Ya. M., en tant qu’héritier, concernant une demande d’inscription d’une déclaration de renonciation à une succession formulée par un autre héritier devant une juridiction de l’État membre de sa résidence habituelle, dans le registre d’un autre État membre.

Selon la Cour, l’interprétation de l’article 13 du règlement (UE) indique qu’il n’empêche pas qu’un héritier, après avoir enregistré une déclaration d’acceptation ou de renonciation à la succession d’une personne décédée dont la résidence habituelle était située dans un autre État membre, auprès d’une juridiction de son propre État membre de résidence habituelle, puisse ultérieurement demander l’enregistrement de cette déclaration auprès de la juridiction compétente de l’État membre où résidait la personne décédée.

 

I. Le cadre juridique

Le demandeur au principal, М. Ya. M., ressortissant bulgare, déclare être l’héritier de sa grand-mère, M. T. G., ressortissante bulgare décédée en Grèce le 29 mars 2019.

Le demandeur au principal a saisi le tribunal d’arrondissement de Sofia en Bulgarie, d’une demande tendant à l’inscription de la déclaration concernant la renonciation à la succession effectuée par un autre héritier, à savoir le conjoint de la défunte.

Il a produit, un certificat successoral établi par les autorités bulgares, selon lequel la défunte a laissé pour héritiers son conjoint H. H., ressortissant grec, sa fille I. M. N. et le demandeur au principal.

Dans le cadre de cette procédure, ce dernier a produit un procès-verbal dressé par le juge de paix d’Athènes, indiquant que le conjoint de la défunte s’est présenté devant ce dernier, le 28 juin 2019, et a déclaré renoncer à son héritage. Par ailleurs, le conjoint de la défunte aurait déclaré que celle-ci avait vécu en dernier lieu en Grèce.

Cependant, la juridiction de renvoi indique qu’il n’a pas été précisé devant elle où se trouvait la dernière résidence habituelle de la défunte et qu’elle pourra recueillir des informations à ce sujet uniquement après avoir établi sa compétence aux fins d’inscrire une déclaration concernant la renonciation à une succession effectuée auparavant devant la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’héritier renonçant.

 

II. Les questions préjudicielles

En présence de ces éléments, le tribunal d’arrondissement de Sofia a pris la décision de surseoir à statuer et de soumettre les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l’Union européenne :

  1. Faut-il interpréter l’article 13 du règlement (UE) no 650/2012, en conjonction avec le principe de sécurité juridique, comme étant en opposition au fait qu’un autre héritier puisse demander ultérieurement l’inscription d’une renonciation ou d’une acceptation à la succession d’une personne décédée (de cujus), lorsque cet héritier a déjà fait enregistrer une telle déclaration auprès d’un tribunal de l’État où il réside habituellement, alors que le de cujus avait sa résidence habituelle dans un autre État membre au moment de son décès ?
  2. Si la réponse à la première question est favorable à l’inscription ultérieure, faut-il interpréter l’article 13 du règlement (UE) no 650/2012, conjointement avec les principes de sécurité juridique, d’application effective du droit de l’Union et l’obligation de coopération loyale entre États membres énoncée à l’article 4, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne (TUE), comme permettant à un autre héritier, résidant dans l’État où le de cujus avait sa résidence habituelle au moment de son décès, de demander l’inscription de la renonciation à la succession faite par un héritier dans l’État où il réside habituellement, même si le droit procédural de ce dernier État ne prévoit pas la possibilité d’inscrire au nom d’autrui une renonciation à la succession ?

Ces questions portent sur l’interprétation de l’article 13 du règlement (UE) no 650/2012 en lien avec le principe de sécurité juridique, ainsi que sur la question de savoir si une renonciation ou une acceptation à une succession effectuée dans un État membre peut être valablement inscrite dans un autre État membre.

De plus, la deuxième question soulève la problématique de l’obligation de coopération loyale entre États membres conformément à l’article 4, paragraphe 3, du TUE (3), en ce qui concerne l’inscription des renonciations à la succession.

 

III. Le raisonnement de la CJUE

Selon une jurisprudence constante de la Cour, il est essentiel, tant pour garantir l’application uniforme du droit de l’Union que pour respecter le principe d’égalité, que les dispositions du droit de l’Union qui ne font pas explicitement référence au droit national pour en déterminer la signification et la portée, soient interprétées de manière autonome et uniforme dans l’ensemble de l’Union.

Cette interprétation doit tenir compte non seulement des termes de la disposition en question, mais également de son contexte et de l’objectif poursuivi par la réglementation concernée. (Arrêt du 2 juin 2022, T.N. et N.N. (Déclaration concernant la renonciation à la succession), C‑617/20, EU:C:2022:426 (4)

Concernant l’article 13 du règlement no 650/2012, il convient de rappeler que cette disposition prévoit que les juridictions de l’État membre où réside habituellement une personne peuvent être compétentes pour recevoir certaines déclarations liées à une succession, en plus de la juridiction compétente pour statuer sur la succession conformément au règlement.

Ces déclarations incluent celles relatives à l’acceptation de la succession, aux legs ou aux réserves héréditaires, à la renonciation à ces droits, ainsi qu’à la limitation de la responsabilité de la personne concernée envers les dettes de la succession.

Dans le contexte plus large de l’article 13, l’objectif du règlement est de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en éliminant les obstacles à la libre circulation des personnes cherchant à faire valoir leurs droits dans le cadre d’une succession transfrontalière.

En ce qui concerne la question de la communication des déclarations d’acceptation ou de renonciation à la juridiction compétente pour statuer sur la succession, le considérant 32 du règlement no 650/2012 énonce que les personnes choisissant de faire une déclaration dans l’État membre de leur résidence habituelle devraient elles-mêmes informer la juridiction ou l’autorité chargée de la succession de l’existence de telles déclarations, selon les délais fixés par la loi applicable à la succession.

Bien que ce considérant puisse laisser entendre initialement que la déclaration de renonciation à la succession faite devant une juridiction de l’État membre de résidence habituelle de l’héritier renonçant doit être portée à la connaissance de la juridiction compétente pour statuer sur la succession, il convient de noter que l’article 13 lui-même ne prévoit pas de mécanisme de transmission spécifique de telles déclarations entre les juridictions concernées.

Par conséquent, pour assurer une application cohérente du règlement et faciliter le règlement des successions transfrontalières, une interprétation large est justifiée. Ainsi, un héritier ayant droit à une déclaration de renonciation à la succession doit pouvoir informer la juridiction compétente pour statuer sur ladite succession de l’existence de cette déclaration, lorsque l’héritier renonçant ne l’a pas fait lui-même.

Cette notification ne constitue pas une déclaration au nom d’autrui, mais simplement une communication de l’existence de cette déclaration de renonciation à la juridiction compétente.

En outre, si la législation d’un État membre exige l’enregistrement des déclarations de renonciation dans un registre judiciaire centralisé, cela ne devrait pas entraver la possibilité d’informer la juridiction compétente pour statuer sur la succession de l’existence de la déclaration de renonciation faite dans un autre État membre.

Enfin, si la législation nationale contredit l’interprétation de l’article 13 du règlement, la juridiction de renvoi a le devoir d’assurer l’effet intégral de cette disposition en acceptant que la déclaration de renonciation à la succession soit transmise par un héritier autre que celui ayant fait cette déclaration dans l’État membre de sa résidence habituelle, même si cela signifie inappliquer les dispositions nationales contraires.

En conclusion, l’article 13 du règlement no 650/2012 doit être interprété de manière à faciliter la communication des déclarations pertinentes entre les juridictions compétentes et à garantir une application uniforme du règlement dans toute l’Union européenne, tout en respectant les objectifs de suppression des obstacles à la libre circulation des personnes dans le contexte des successions transfrontalières.

 

IV. Portée de la décision

Suite à toutes les considérations précédentes, dans son arrêt du 30 mars 2023, la CJUE conclue que l’article 13 du règlement no 650/2012 n’empêche pas qu’un héritier ayant déjà fait inscrire auprès d’une juridiction de l’État membre de sa résidence habituelle une déclaration d’acceptation ou de renonciation à la succession d’un défunt dont la résidence habituelle était située, à la date de son décès, dans un autre État membre, puisse demander ultérieurement l’inscription de cette même déclaration auprès de la juridiction compétente de ce dernier État membre.

 

SOURCES :

  1. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62021CJ0651
  2. https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2012:201:0107:0134:FR:PDF
  3. https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:2bf140bf-a3f8-4ab2-b506-fd71826e6da6.0002.02/DOC_1&format=PDF
  4. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=260184&doclang=FR

Cet article a été rédigé pour offrir des informations utiles, des conseils juridiques pour une utilisation personnelle, ou professionnelle.

Il est mis à jour régulièrement, dans la mesure du possible, les lois évoluant régulièrement. Le cabinet ne peut donc être responsable de toute péremption ou de toute erreur juridique dans les articles du site.

Mais chaque cas est unique. Si vous avez une question précise à poser au cabinet d’avocats, dont vous ne trouvez pas la réponse sur le site, vous pouvez nous téléphoner au 01 43 37 75 63.

Articles liés

Commentaires fermés.