Le droit à l’image des morts
Le droit à l’image issu de l’article 9 du Code civil fait partie des droits de la personnalité, ensemble qui est fréquemment sujet à débat. Le droit à l’image des morts plus particulièrement, puisqu’il touche particulièrement l’affect, est un sujet de perpétuelles controverses.
En effet, le sujet de la mort en droit est problématique, car la mort entraîne la fin de la personnalité juridique de la personne qui n’est plus. La fin de la personnalité juridique implique une perte des droits attachés à la personne, mais cette perte de droit n’est pas nécessairement totale.
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Dans le cadre des droits de la personnalité et plus précisément du droit à l’image, le droit à l’image des morts est sujet à discussion. Depuis une première décision datant de 1858 jusqu’à très récemment, les juges ont eu à se prononcer sur la question du droit à l’image des morts, et pour une fois de concert entre les deux ordres juridictionnels. Il sera parfois reconnu, mais semble devoir être exclu aujourd’hui.
Les débats entourant le droit à l’image des morts ne peuvent pas être évités, car des décès arrivent tous les jours. De plus, nous vivons dans un monde de plus en plus informatisé avec de plus en plus de caméras et d’applications diverses. Le progrès technique nous pousse de jour en jour, plus facilement, à violer les droits de la personnalité.
Avec la banalisation des caméras et réseaux sociaux, c’est le droit à l’image qui est facilement violé. Que se passe t-il lorsque cette violation du droit à l’image touche le droit à l’image des morts ? Le droit à l’image des morts s’éteint-il vraiment avec la mort ? L’image du défunt est-elle donc libre d’usage ? Le droit à l’image des morts mérite d’être bien pensé, car les enjeux sont réels.
Le problème d’un possible droit à l’image des morts est apparu à l’occasion de clichés d’une actrice défunte publiés par un journal en 1858. La famille de la victime s’estimant lésée par ces clichés avait alors assigné le journal auteur des clichés. Pour la première fois, un juge s’est fondé sur le droit à l’image pour rendre une décision. Cette consécration d’un droit à l’image a trouvé écho dans les jurisprudences ultérieures : il s’agit en premier lieu d’un droit prétorien.
Les juges se fondent à présent sur l’article 9 du code civil qui dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ce droit au respect de la vie privée comprend un droit à l’image. La question s’est longuement posée de son étendue et il semble alors qu’une limite soit à observer en ce qui concerne les morts.
Le respect de la vie privée viendrait donc façonner un droit à l’image des morts.
La première chambre civile dans un arrêt du 20 octobre 2021 (Cass. 1re civ., 20 oct. 2021, no 20-16343) a précisé que la méconnaissance du droit au respect de la vie privée n’est invocable qu’à la condition que la diffusion des images ne se rattache pas à l’exécution du contrat de cession de droit à l’image. (4)
Plus largement, le droit à l’image est considéré comme un droit de la personnalité. La jurisprudence a décidé à plusieurs reprises que ces droits ne sont pas transmissibles, mais la solution, si elle est claire aujourd’hui, résulte d’un long débat.
Le principe, qui ne souffre pas d’exception, s’applique évidemment au droit à l’image et donc aux personnes décédées. Néanmoins, la question se pose encore fréquemment de la possibilité d’un droit à l’image des morts, comme dans le cas des crimes par exemple. Tantôt ce sera la dignité de l’être humain qui sera invoquée, tantôt le droit pénal, qui impose l’obtention du consentement de la personne pour diffuser sa photographie.
Le Conseil Constitutionnel dans un arrêt du 18 janvier 2024 (Cons. const., QPC, 18 janv. 2024, no 2023-1075,) a consacré pour la première fois l’extension du principe de dignité de la personne humaine après la mort. (5)
Mais comment obtenir le consentement d’une personne décédée ? Alors qu’en droit, le décès est difficilement appréhendé, il semble tout de même que la personne décédée perde à ce moment de façon automatique les droits qui sont attachés à la personne. Par exemple, les droits patrimoniaux sont transmis et les droits de la personnalité, comme ce qui a été exposé, s’éteignent.
L’existence juridique d’une personne semble alors devoir s’arrêter au moment du décès, à l’exception de quelques cas insusceptibles de remise en cause, comme la dignité de l’être humain.
La question qui se pose est donc de savoir par quels moyens est-il possible de se protéger malgré tout des diffusions indésirables de l’image d’une personne après sa mort ?
Il ne semble pas utile de distinguer des images prises du vivant de la personne, de celles prises justement une fois la personne décédée : la jurisprudence ne semble pas non plus s’intéresser à la question, d’autant plus que le régime qui va être exposé ici ne constitue qu’une protection et non une prévention.
En effet, quel que soit le moment où la photo est prise, la mort vaut extinction du droit à l’image (I). Cependant, la diffusion de photographie d’une personne morte peut toujours causer un préjudice moral (II) qui, lui, ne s’éteint pas avec la mort de la personne dont l’image est fixée.
I. L’extinction du droit à l’image
Le droit à l’image répond au régime plus général des droits de la personnalité. Il n’y a pas d’ambigüité quant à l’application de ce régime au droit à l’image, alors même que les droits de la personnalité (A) regroupent plusieurs droits spécifiques qui s’éteignent avec le décès des personnes lésées dans ces droits (B).
A. Les droits de la personnalité
Ces droits sont généralement issus de constructions prétoriennes ou même doctrinales. Il s’agit entre autres du droit au respect de la vie privée, du droit à l’image ou encore du droit moral de l’auteur.
Selon certains auteurs, ils ont vocation à protéger soit l’intégrité physique, soit l’intégrité morale. Ce sont ceux protégeant l’intégrité morale qui nous intéressent ici dans la mesure où ceux relatifs à l’intégrité physique ne s’arrêtent pas avec la mort. De plus, le droit à l’image est davantage à rattacher aux droits portant sur l’intégrité morale. Il sera essentiellement question de cette seconde catégorie à présent.
En ce sens est-il possible de considérer que les droits de la personnalité sont des droits extra patrimoniaux inhérents à la personne et inaliénables . Ils sortent du de la personne dans la mesure où ils ne sont pas transmissibles.
Le droit d’auteur par exemple, comprends des droits patrimoniaux qui sont cessibles et transmissibles. Ils perdurent 70 ans après le décès de l’auteur. Ils comprennent le droit de reproduction, le droit de représentation ainsi que le droit de suite. Ces droits ont un intérêt financier.
Le droit d’auteur comprend également des droits moraux, ces derniers sont incessibles, ils sont toutefois transmissibles aux héritiers pour cause de mort comme le prévoit l’article L.121-1 du Code de propriété intellectuelle.
Il s’agit du droit de paternité, droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, droit de retrait ainsi que le droit de divulgation. Cependant, les droits moraux sont perpétuels, inaliénables et étant des droits de la personnalité, ils sont rattachés à l’auteur. Bien que par principe, ils s’éteignent avec l’auteur comme c’est le cas pour le droit de retrait, perdure le droit à la paternité et au respect de l’œuvre, ces derniers étant perpétuels.
Cependant, en règle générale, les droits de la personnalité, étant intimement liés à la personne, ont vocation à s’éteindre avec le décès de la personne.
Les droits de la personnalité semblent donc devoir s’éteindre avec le décès de la personne, ce qui pose le problème de la pérennité de la protection apportée, notamment pour le droit à l’image.
La cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 16 février 2018 (CA, 16 févr. 2018, n° 15/08649) a précisé que l’abus, dans le non-usage du droit de divulgation, résulte d’un refus systématique du titulaire post mortem de divulguer les œuvres inédites. (6)
B. L’extinction des droits de la personnalité
Le Code civil énonce à l’article 16-1-1 que le « respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». La protection apportée à l’intégrité physique par les droits de la personnalité ne cesse pas avec la mort de leur titulaire.
Est-ce pour autant qu’il intégrerait son patrimoine ? La réponse est évidemment négative dans la mesure où il ne s’agit toujours pas d’un droit transmissible, malgré l’intérêt à agir de la famille.
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 22 mars 2024 (CE, 1re-4e ch., 22 mars 2024, no 470832) a jugé que le décret du 27 avril 2022 relatif au don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche relatif au dossier de demande d’autorisation d’accueil de cours à la même fin est conforme à la loi, et en particulier à l’article 16-1-1 du Code civil. (7)
À l’inverse, les droits liés à l’intégrité morale cessent bel et bien avec le décès de leur titulaire. L’exemple de la présomption d’innocence est fréquemment cité, le juge considérant qu’il n’est pas transmissible et s’éteint avec la personne.
Une telle disposition s’explique dans la mesure où il n’est plus possible de poursuivre pénalement une personne décédée. Il en va ainsi pour le droit à l’image. La première chambre civile de la Cour de cassation en a jugé ainsi dans son arrêt du 14 décembre 1999. Il s’éteint de plein droit avec le décès de la personne qui en est titulaire, rendant impossible un recours de la part des héritiers de cette dernière sur ce fondement.
Dans un arrêt rendu le 31 janvier 2018 (1), la Cour de cassation réaffirme cette position. En l’espèce, l’image de l’artiste Henri Salvador avait été utilisée par une production musicale, était reproché l’utilisation commerciale de l’image de la célébrité décédée.
La Cour rappelle à la requérante que le droit à l’image n’est pas un droit patrimonial, mais extrapatrimonial, et s’éteint par conséquent avec la mort de la personne. Les juges ont rappelé que « « le droit à l’image, attribut de la personnalité, s’éteint au décès de son titulaire et n’est pas transmissible à ses héritiers »
Le juge a tout de même réservé une voie détournée pour les ayants droit de la victime afin qu’ils puissent se protéger a minima contre la diffusion d’image de leur proche qui ne les satisferait pas.
II . Une protection sur le fondement du préjudice moral
Il est facilement concevable qu’une famille en deuil ne souhaite pas voir diffuser des photographies de leur proche récemment décédé. Le juge admet alors qu’ils puissent subir en pareil cas un préjudice moral sur le fondement duquel ils demandent réparation. La Cour de cassation la première a fait état de cette possibilité en ouvrant un contentieux de la responsabilité civile (A). Elle a été suivie par le Conseil d’État qui, de façon originale, fait une application directe des dispositions du Code civil (B).
A. L’image des morts protégée par la responsabilité civile
Fidèle à sa ligne de conduite, la 1re chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 octobre 2009 (2) refuse de faire application de l’article 9 du Code civil au motif que le droit qu’il prescrit s’est éteint avec son titulaire. En l’espèce, un ouvrage avait été publié retraçant la vie d’un acteur. L’un de ses enfants, se sentant atteint dans son intimité par les clichés qui y étaient reproduits, a assigné les auteurs et l’éditeur sur le fondement du droit à l’image de l’article 9 du Code civil.
Les juges ont alors rejeté sa demande en faisant une application constante de la jurisprudence. En revanche, les juges ont consacré la possibilité de rechercher la responsabilité des auteurs sur le fondement de l’article 1382 (ancien) du même code : « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
L’arrêt énonce en vertu de cet article que « les proches d’une personne décédée ne peuvent contester la reproduction de son image qu’à la condition d’établir le préjudice personnel qu’ils en éprouvent, déduit le cas échéant d’une atteinte à la mémoire du mort ou au respect qui lui est dû ».
Il faut donc, comme dans tous les cas de responsabilité civile, que la personne s’estimant victime de la diffusion d’une photographie en éprouve un préjudice moral personnel, causé par cette diffusion.
Sans cette condition il est impossible de rechercher la responsabilité d’une personne auteur d’un préjudice, c’est en application de ce principe que les juges ont estimé que la publication de la photographie devait causer un préjudice moral.
Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas d’une interdiction : les photographies en question sont diffusables de droit à la mort de la personne titulaire du droit à l’image. De façon subsidiaire, les ayants droit peuvent demander à ce qu’elles ne soient pas diffusées et, en plus, leur demande doit être justifiée.
Ainsi, l’atteinte à la mémoire ou à la dignité du corps humain peut par ricochet causer un préjudice au proche de la personne décédée. Il est toutefois à noter que la dignité du corps humain peut être écartée en vertu du droit d’information.
Le raisonnement n’est pas dénué de sens, à tel point que le Conseil d’État a repris le raisonnement à son compte en se reconnaissant compétent lors d’une espèce similaire et en faisant application du Code civil.
B. L’application directe des dispositions du Code civil par le juge administratif
À l’origine de l’arrêt du Conseil d’État du 27 avril 2011 (3), l’enregistrement filmé d’un entretien entre un psychanalyste et une artiste avait été diffusé à l’occasion d’une exposition, après la mort du praticien. Ses enfants ont formé un recours de plein contentieux afin d’obtenir réparation de la diffusion de ces entretiens.
Le Conseil d’État a estimé, tout comme le juge civil, que « le droit d’agir pour le respect de la vie privée ou de l’image s’éteint au décès de la personne concernée ». Le juge administratif poursuit le raisonnement et énonce que « si les proches d’une personne peuvent s’opposer à la reproduction de son image après son décès, c’est à la condition d’en éprouver un préjudice personnel, direct et certain ».
Le vice n’est cependant pas poussé au point de citer directement l’article 1382 du Code civil, mais le code est néanmoins effectivement visé. Quoi qu’il en soit, le résultat est le même : il faut, pour rechercher la responsabilité d’un auteur de la diffusion de l’image d’un mort, un préjudice personnel. Le juge renforce néanmoins cette exigence en ajoutant que le préjudice doit être direct et certain, formulation courante dans ses décisions.
Sources :
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036584709
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021194220/
- https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000023946420/
- 1re civ., 20 oct. 2021, no20-16343 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000044245383
- const., QPC, 18 janv. 2024, no2023-1075, https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/20231075QPC.htm
- CA, 16 févr. 2018, n° 15/08649 https://www.doctrine.fr/d/CA/Versailles/2018/C337F3EC1EB20DC61BF6F
- CE, 1re-4e, 22 mars 2024, no470832 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000049314860?dateDecision=&init=true&page=1&query=%22article+16-3%22+du+%22Code+civil%22&searchField=ALL&tab_selection=cetat
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