Quel est l’impact du recel dans le calcul de la quotité disponible ?

Quel est donc  l’impact du recel dans le calcul de la quotité disponible ?

Jusqu’à une époque peu lointaine, la jurisprudence considérait que la dissimulation d’un héritier n’était pas constitutive du recel successoral (1).

Cette solution, peu heureuse sur le terrain des principes était difficile à comprendre et donnait lieu à de nombreuses critiques, tant et si bien qu’elle était certainement vouée à disparaître, ainsi que semblait d’ailleurs l’indiquer la jurisprudence plus récente de la Cour de cassation (2) : « Attendu que la cour d’appel a également retenu que, lors de la vente faite à un tiers (…) les cohéritiers de M. P, qui savaient (…) que ce dernier venait en concours avec eux, n’en avaient pas moins procédé seuls à la troisième vente, en fraude des droits de l’intéressé, en produisant un acte de notoriété sur lequel il ne figurait pas ; qu’ayant ainsi caractérisé les manœuvres des consorts P en vue de divertir à son détriment des immeubles successoraux, la Cour d’appel en a exactement déduit qu’ils s’étaient rendus coupables d’un recel portant sur ces biens eux-mêmes »).

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Le législateur ne lui a pas laissé le temps d’aller au bout de son évolution, car, désormais, les choses sont réglées par la loi. L’article 778 du Code civil, issu de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, prévoit en effet que le recel d’héritiers emporte les mêmes conséquences que le recel d’effets successoraux. Par souci de clarté, le texte précise les modalités de détermination des droits recelés, et dont le receleur sera conséquemment privé : il s’agit de ceux qui reviennent à l’héritier dissimulé et qui ont où auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation. Cette disposition complète alors l’article 730-5 du Code civil, introduit par la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 et qui prévoit que celui qui, sciemment et de mauvaise foi, se prévaut d’un acte de notoriété inexact, encourt les pénalités de recel.

Il a le mérite d’en étendre la solution à toutes les hypothèses de dissimulation d’héritier et de venir ainsi renverser une jurisprudence malheureuse.

Au demeurant, il semblerait que la Cour de cassation ait regretté de ne pouvoir elle-même modifier son interprétation, car, dans un arrêt du 20 septembre 2006, rendu sous l’empire des dispositions antérieures, la première chambre civile a consacré la possibilité de retenir le recel successoral en cas d’omission intentionnelle d’héritier (3). Il est cependant indispensable, pour se prévaloir de ces dispositions, d’agir avant l’expiration du délai de prescription (4).

En outre, on doit considérer que la quotité disponible constitue le réceptacle naturel des libéralités réalisées par le défunt. C’est en quelque sorte le secteur d’imputation de droit commun. Toutes les libéralités ont vocation à y être décomptées.

La question à se poser serait alors celle de savoir quel serait l’impact du recel dans le calcul de la quotité disponible.

I. Qu’est-ce que le recel successoral ?

Selon un arrêt de la Cour de cassation, constitue un recel successoral « toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre l’égalité du partage quels que soient les moyens employés pour y parvenir ». (Civ. 15 avr. 1890, DP 1890. 1. 437.)

A. Condition du recel successoral

En ce qui concerne l’élément matériel – Il constitué par tout procédé frauduleux. Peu importe que l’acte soit antérieur ou postérieur au décès peu, dès lors que les effets se sont poursuivis après l’ouverture de la succession. C’est la rétention postérieure au décès qui constitue le recel. En revanche, il n’y a pas à tenir compte des faits antérieurs au décès s’ils ne se sont pas prolongés après.

Parmi les exemples de la jurisprudence, on retrouve l’utilisation d’un faux. La falsification de document qui conduit à modifier le partage au profit de l’héritier. La présentation d’un faux testament instituant l’héritier légataire.

Il peut s’agir également de la dissimulation. En effet, toute dissimulation de biens ou droits de succession (Code civil, article 778) est susceptible d’être qualifiée de recel. Il en va notamment de :

De la dissimulation d’une dette envers le défunt ;

De la suppression de livres de commerce, factures et tout autre document afin de masquer la valeur d’un bien successoral ;

De la destruction de tout testament instituant un tiers légataire universel ou à titre universel.

Il en va également de l’omission intentionnelle d’héritier. La dissimulation d’un héritier ne constituait pas, traditionnellement un recel, l’article 792 du Code civil ne concernant, pour la Cour de cassation, que les effets de la succession et non la personne d’un cohéritier.

La connaissance était contraire au bon sens : comment admettre que soit sanctionné celui qui détourne l’héritier, mais non celui qui dissimule l’existence d’un héritier ? Cette conception restrictive a fort heureusement été abandonnée par la réforme de 2006, l’article 778 du Code civil assimilant désormais au recel d’un bien la dissimulation de l’existence d’un héritier.

Pour ce qui est de l’élément intentionnel – Le recel successoral suppose une intention frauduleuse de l’héritier de l’héritier qui entend rompre à son profit l’égalité du partage. Mais cette fraude aux droits de ses cohéritiers n’est pas la seule retenue.

Le recel peut supposer également une fraude aux droits des créanciers successoraux dont un élément de gage est distrait par l’acte de recel. Ainsi, allégué par des cohéritiers ou des créanciers, le recel ne peut être qualifié que si l’héritier a agi dans un dessin frauduleux et de mauvaise foi. (Civ. 1re, 28 janv. 2009, no 07-19.573) La preuve de cet élément intentionnel paraît d’autant plus décisive que la jurisprudence interprète de façon libérale l’élément matériel du recel. Et en toute hypothèse, cette preuve doit être rapportée, positivement, l’intention frauduleuse ne pouvant se présumer.

La complicité du défunt qui, de son vivant, avait organisé le fait matériel du recel ne supprime en rien la qualification de recel successoral. En effet, en gardant le silence à ce sujet après l’ouverture de la succession, l’héritier se rend personnellement complice de la fraude.

B. Sanction du recel successoral

Tout héritier qui détient des biens et valeurs ayant dépendu de la succession doit les révéler à ses cohéritiers. À défaut, il se rend coupable de recel successoral, ce qui le conduit d’une part à être déchu du droit d’accepter à concurrence de l’actif net, d’autre part à être privé de tout droit dans les valeurs recelées.

Les sanctions du recel peuvent s’appliquer à tout donataire, quelle que soit la forme de la donation. Il en ira ainsi dans le cas d’un don manuel alors même que le gratifié prétendait avoir été dispensé du rapport (5).

Une différence apparaît cependant entre les donations rapportables et celles faites hors part successorale ; pour ces dernières, les sanctions du recel ne s’appliqueront que dans la mesure où compte tenu de l’actif successoral elles seraient effectivement réductibles (6).

L’article 778, alinéa 2 du Code civil prévoit expressément que le recel peut porter sur une donation rapportable ou réductible, mais cette disposition ne peut s’appliquer qu’en présence d’héritiers réservataires.

Le recel peut cependant exister en l’absence de tels héritiers si l’un des légataires a conservé des sommes provenant des comptes du défunt, dès lors qu’il n’est pas établi que ce dernier avait entendu lui en faire donation (7).

L’obligation de révélation et la sanction du recel ne visent cependant que les biens dépendant de la succession ce qui n’est pas le cas d’un contrat d’assurance-vie (8).

Enfin, la sanction du recel successoral ne peut être demandée qu’à l’occasion d’une action en partage judiciaire. En effet, le recel se caractérise par une atteinte portée volontairement par l’un des héritiers à l’égalité du partage. La victime du recel ne peut utilement s’en prévaloir qu’avant la réalisation du partage, c’est-à-dire au stade de la constitution de la masse partageable. Une fois tous les biens répartis entre les héritiers, il est trop tard pour réclamer l’application des peines du recel (Cass. 1re civ., 6 nov. 2019, n° 18-24.332). (9)

Sa nature de peine privée n’est pas compatible avec le recours à un partage amiable, qui repose sur le libre consentement de tous les copartageants.

C. Le délai de prescription de l’action en recel successoral

Un récent arrêt de la Cour de cassation nous offre quelques indices quant à la prescription de l’action en recel successoral. L’arrêt ne prend pas directement position sur la prescription applicable aux successions ouvertes depuis le 1er janvier 2007. Cependant, on doit considérer, par identité de raisonnement, que l’action en recel fondée sur l’article 778 du Code civil obéit à la prescription décennale prévue pour l’option héréditaire par l’article 780 du Code civil (Cass. 1re civ., 12 févr. 2020, n° 19-11.668). (10)

  1. Les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007

Dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 février 2020, les juges ont été amenés à se prononcer sur la prescription de l’action en recel successoral pour une succession ouverte avant les réformes de 2006 et de 2008.

Auparavant l’option successorale se prescrivait « par le laps de temps requis pour la prescription la plus longue des droits immobiliers » (ancien article 789 du Code civil). Ce n’est donc qu’une fois le délai de trente ans écoulé (ancien article 2262) que l’action fondée sur l’ancien article 792 du Code civil s’éteignait.

Elle reconnaît ainsi que le délai de prescription de l’action en recel successoral pour les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007 se calque sur la prescription trentenaire prévue par l’ancien droit.

La Cour régulatrice avait déjà ouvert la voie à ce raisonnement en 2016, dans un arrêt où elle avait censuré une décision de cour d’appel, qui, alors que la succession s’était ouverte avant le 1er janvier 2007, avait assujetti l’action en recel à la prescription décennale de l’article 780 nouveau (Cass. 1re civ., 22 juin 2016, n° 15-12.705).

  1. Les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007

Les réformes ayant apporté un grand nombre de changements ont donc un impact direct sur les délais de prescription de l’action en recel successoral. Depuis le 1er janvier 2007, sauf les causes légales de suspension ou d’interruption (article 780 du Code civil), la « faculté d’option se prescrit par dix ans ». Dès lors, on doit considérer, par identité de raisonnement (Cass. 1re civ., 22 juin 2016, n° 15-12.705, préc.), que l’action en recel fondée sur l’article 778 du Code civil obéit à la même prescription décennale. Celle-ci a pour point de départ l’ouverture de la succession ou la connaissance du recel.

II. Quel impact sur la quotité disponible ?

A. Impact quant à la dissimulation

La dissimulation d’une donation non réductible peut ainsi avoir des conséquences sur la détermination des droits des héritiers (v. Vernières Ch., Le légataire peut-il être tenu du rapport et condamné pour recel ? précité), ne serait-ce qu’en raison du fait qu’une telle donation, même préciputaire ou hors part, doit être prise en compte dans la détermination de la masse de calcul de la quotité disponible de l’article 922 du Code civil (v. Patarin J., La dissimulation frauduleuse d’une donation préciputaire par un héritier constitue un recel successoral alors même que la valeur du bien donné est inférieure à la quotité disponible, RTD civ. 1992, p. 424).

La dissimulation, et son absence de sanction réduira donc à la fois la quotité disponible et la réserve globale, et ceci alors même que la libéralité ne serait pas réductible (v. Patarin J.). La dissimulation frauduleuse d’une donation préciputaire par un héritier constitue un recel successoral alors même que la valeur du bien donné est inférieure à la quotité disponible, précité).

De même, comme il l’a été justement noté, une donation qui ne porte pas atteinte à la réserve peut avoir pour conséquence d’en rendre une autre réductible, ce qui implique que sa dissimulation est nuisible aux autres héritiers.

L’atteinte est d’autant plus flagrante que ce n’est pas aux successibles qu’il appartient d’apprécier le caractère réductible ou non réductible d’une libéralité, alors qu’une libéralité qui n’apparaît pas réductible au premier abord peut se révéler l’être, et inversement.

Par ailleurs, une telle dissimulation conduira à tromper les successibles dotés d’un titre universel sur la consistance exacte de la succession, donc à porter atteinte à leur consentement dans le cadre de l’exercice de l’option.

C’est à ce stade qu’apparaît le véritable rôle du recel successoral, qui vient sanctionner, outre les appréhensions matérielles de biens successoraux, l’inexécution par tout héritier d’une certaine obligation de loyauté lui imposant de révéler à ses cohéritiers les donations dont il a été gratifié, y compris celles qui sont préciputaires, sous peine de léser les intérêts de ces derniers, particulièrement l’exercice de leur option.

B. Faut-il réduire ces libéralités ?

Cela changera le travail liquidatif. Et par voie de conséquence, ces libéralités feront l’objet d’une réunion fictive pour le calcul de la quotité disponible et de la réserve. Celle faite au fils sera rapportable et celle en faveur du petit-fils fera l’objet d’une imputation sur la quotité disponible, l’excédent étant réductible.

La solution, issue de la réforme de 2006, est sans nul doute heureuse. Dans la limite de la quotité disponible, le de cujus est libre de disposer à titre gratuit de ses biens.

Dès lors qu’une donation est hors part successorale et ne dépasse pas la quotité disponible, sa dissimulation par l’héritier donataire ne cause pas un préjudice aux autres héritiers. Ce n’est que si la donation est rapportable ou réductible que sa soustraction frauduleuse constitue un recel, car il y a alors une rupture de l’égalité du partage au profit de l’héritier donataire.

Simplement, lorsqu’une donation dissimulée, consentie hors part successorale, n’est pas réductible, sa révélation n’en demeure pas moins importante, car sa prise en compte dans les opérations liquidatives peut influer sur la détermination des droits des héritiers en provoquant la réduction des libéralités postérieures.

D’où la question : que faire lorsque la révélation d’une donation dissimulée survient postérieurement à la liquidation de la succession ? Faut-il procéder à une nouvelle liquidation de la succession, en prenant en compte la donation, ce qui pourrait conduire au constat du caractère réductible de libéralités qui ne l’étaient pas sans sa prise en compte ?

Prenons l’exemple suivant : le de cujus laisse 3 enfants ; à l’un, il a donné, hors part successorale, un bien valant 20 ; l’actif existant à sa mort est évalué 100 ; il a consenti un legs à titre particulier de 25.

Si la donation est dissimulée, la liquidation de la succession fait que le legs s’exécute dans sa totalité (la quotité disponible étant d’un quart, soit 25). Si la donation vient à être révélée quelques années plus tard, une nouvelle liquidation de la succession aboutit au constat que le legs est réductible : après imputation de la donation de 20 sur la quotité disponible, qui est de 30 (1/4 de 120), le legs de 25 excède la quotité disponible de 15. Les héritiers réservataires devront-ils agir en réduction contre un légataire qui a été mis en possession depuis plusieurs années ?

L’on perçoit les difficultés pratiques auxquelles seront confrontés les héritiers réservataires de bonne foi. Ne pourrait-on pas concevoir qu’en ce cas, l’héritier malhonnête soit contraint, par exemple sur le terrain de la responsabilité civile, de payer l’indemnité de réduction due par le légataire ?

C. Le repentir du recel successoral

Les conséquences du recel sont écartées si, le successeur a spontanément, avant toute poursuite, fait cesser la situation constitutive de recel. Ce qui signifie que le repentir au cours d’une instance d’appel est sans effet. (Cassation, 1re civ. 17 janvier 2006, n° 04-17.675)

En outre, le droit de repentir est au demeurant personnel à l’auteur du recel et ses héritiers ne sauraient l’invoquer.

SOURCES :

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007018529&fastReqId=818263207&fastPos=1
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007028870&fastReqId=343676721&fastPos=1
  3. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007053766&fastReqId=603014377&fastPos=1
  4. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000020187287&fastReqId=448939099&fastPos=1
  5. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028704238&fastReqId=1876854640&fastPos=1
  6. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000032599121&fastReqId=702666341&fastPos=1
  7. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037196470&fastReqId=2137507305&fastPos=1
  8. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000032266904&fastReqId=2033821379&fastPos=1
  9. Commentaire 1re civ., 6 nov. 2019, n° 18-24.332 par Marc NICOD – « Recel d’une donation rapportable : toujours avant le partage ! » – Janvier 2020
  10. Commentaire Cass. 1re civ., 12 févr. 2020, n° 19-11.668 par Marc NICOD et Alex TANI – « Recel successoral – Maintien de la prescription trentenaire sous l’empire de l’ancien droit » – Avril 2020