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Un legs fait au bénéfice d’un auxiliaire de vie est-il légal ?

Le Conseil constitutionnel censure l’incapacité frappant les auxiliaires de vie, qui leur interdit de bénéficier des libéralités faites en leur faveur par les personnes qu’elles assistent à leur domicile (Cons. const. 12-3-2021 n° 2020-888 QPC).

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Selon l’article 909 alinéa 1 du Code civil « Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci ».

Le Conseil constitutionnel a déclaré le 1er alinéa de l’article 909 du Code civil conforme à la Constitution. S’il est entendu que l’interdiction édictée par ce texte constitue une limite à la capacité d’une personne malade de disposer librement de son patrimoine, celle-ci poursuit un but d’intérêt général, en ce qu’elle assure « la protection de personnes dont le législateur a estimé que, compte tenu de leur état de santé, elles étaient placées dans une situation de particulière vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur prodiguaient des soins ».

De plus, « cette restriction au droit de propriété n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. L’interdiction contestée ne vaut que pour les libéralités consenties pendant le cours de la maladie dont le donateur ou le testateur est décédé et ne s’applique qu’aux seuls membres des professions médicales, de la pharmacie et aux auxiliaires médicaux énumérés par le code de la santé publique, à la condition qu’ils aient dispensé des soins en lien avec la maladie dont est décédé le patient » (Cons. const., 29 juill. 2022, n° 2022-1005 QPC).

L’incapacité de recevoir édictée par le premier alinéa de l’article 909 du Code civil repose, dans sa conception originaire, sur une présomption irréfragable de suggestion et de captation à l’égard des personnes se trouvant sous la dépendance de professionnels qui leur procurent des soins médicaux dans les derniers jours de leur vie ; étant entendu que cette présomption légale de captation ne saurait, dans la rigueur des principes, être combattue par la preuve contraire.

Par ailleurs, l’interdiction faite aux personnes délivrant des services à la personne de recevoir des donations ou des legs des personnes qu’elles assistent a été jugée contraire à la constitution par le Conseil constitutionnel. Les sages ont estimé que les dispositions contestées, malgré leur objectif de protection, portaient une atteinte disproportionnée au droit de propriété, comprenant celui de disposer librement de ses biens.

Dans le but de protéger le patrimoine des personnes âgées, handicapées et d’éviter que le personnel à domicile ne profite de leur vulnérabilité, l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, dans son ancienne version, interdisait notamment aux personnes fournissant un service d’assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées et aux personnes ayant besoin d’une aide personnelle à leur domicile de recevoir une donation ou un legs de la part des personnes qu’elles assistent.

Cette interdiction concernait les personnes portant assistance aux personnes âgées ou handicapées au travers d’un service organisé (L. 116-4, I, al. 1) ou personnellement employées à domicile (L. 116-4, I, al.2).

Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 12 mars 2021, a déclaré cette interdiction générale contraire à la constitution en ce qu’elle porte une atteinte au droit de propriété et que cette atteinte est disproportionnée au but recherché.

Cette interdiction portait atteinte au droit de propriété, car elle empêchait les personnes âgées, handicapées ou ayant besoin d’une aide personnelle à domicile de disposer de leur patrimoine comme elles l’entendaient.

 

I. Les incapacités à recevoir une libéralité

A. Catégories d’incapacité

Les incapacités absolues de disposer à titre gratuit. Elles concernent les mineurs (sauf pour les donations par contrat de mariage ou pour les donations à partir de l’âge de seize ans), les incapables majeurs et certaines personnes condamnées pénalement. Pour les incapables majeurs en tutelle, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué, peut être assisté ou au besoin représenté par le tuteur pour faire des donations. La personne en tutelle ne peut faire seule son testament après l’ouverture de la tutelle qu’avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, à peine de nullité de l’acte.

Le tuteur ne peut ni l’assister ni la représenter à cette occasion. Toutefois la personne en tutelle peut seule révoquer le testament fait avant ou après l’ouverture de la tutelle. Le testament fait antérieurement à l’ouverture de la tutelle reste valable à moins qu’il ne soit établi que, depuis cette ouverture, la cause qui avait déterminé le testateur à disposer a disparu (C. civ., art. 476).

Le juge n’examine pas le contenu du testament, mais auditionne le testateur au préalable pour s’assurer de sa capacité à exprimer clairement ses volontés (1) vérifie si la personne en curatelle peut librement tester. Elle ne peut faire de donation qu’avec l’assistance du curateur. Le curateur est réputé en opposition d’intérêts avec la personne protégée lorsqu’il est bénéficiaire de la donation (C. civ., art. 470) ;

Les incapacités absolues de recevoir à titre gratuit. Elles concernent les mineurs ou les majeurs en tutelle pour lesquels les représentants légaux ne peuvent accepter que les libéralités non grevées de charges ou les successions, mais uniquement à concurrence de l’actif net ; le conseil de famille peut, par une délibération spéciale, l’autoriser à accepter purement et simplement si l’actif dépasse manifestement le passif. La renonciation à succession doit également être autorisée par le conseil de famille.

Notons qu’un pouvoir autonome d’acceptation des libéralités avec ou sans charges est attribué par l’article 935, alinéa 2, du Code civil aux ascendants de l’enfant mineur en cas d’inaction du représentant.

Sont également incapables de recevoir :

  • les personnes non conçues au jour des donations ;
  • les personnes non conçues au jour du décès pour le testament.

Notons également que l’article 384 du Code civil dispose que « ne sont pas soumis à l’administration légale les biens donnés ou légués au mineur sous la condition qu’ils soient administrés par un tiers. Le tiers administrateur a les pouvoirs qui lui sont conférés par la donation, le testament ou, à défaut, ceux d’un administrateur légal.

Lorsque le tiers administrateur refuse cette fonction ou se trouve dans une des situations prévues aux articles 395 et 396, le juge des tutelles désigne un administrateur ad hoc pour le remplacer ». Une telle disposition n’est pas constitutive d’une charge de la donation, et permet au donateur d’avoir le choix de la personne qui assurera la gestion des biens des mineurs gratifiés jusqu’à leur majorité ;

Les incapacités relatives de disposer et de recevoir. Il s’agit de toutes les situations où la relation du gratifié et du disposant fait craindre un détournement de la volonté de celui-ci au profit de celui-là, la loi rejetant alors toute discussion à ce sujet et créant pour moraliser ces liens une présomption irréfragable de captation :

  • il s’agit du tuteur qui ne peut recevoir de sa pupille (C. civ., art. 907, al. 1er), sauf s’il est lui-même un ascendant du mineur ;
  • il s’agit également des membres des professions médicales de la pharmacie, des auxiliaires médicaux, qui ne peuvent être gratifiés par leur malade pendant le cours de la maladie dont il est mort (C. civ., art. 909).

Cette présomption s’applique entre le médecin et son malade en traitement, il a ainsi été jugé que des soins épisodiques ne constituaient pas un traitement (2). En revanche, cette incapacité porte sur les membres des professions concernées, même s’ils soignaient une maladie accessoire à celle qui a causé la mort, dès lors qu’ils sont gratifiés pendant la période incriminée (3).

Pour un cancer existant au jour du testament, mais diagnostiqué postérieurement à sa rédaction (4), la date du diagnostic est indifférente, dès lors que la maladie ayant causé le décès existait déjà lors de la rédaction du testament).

Cette présomption a été étendue par les tribunaux à d’autres situations dont notamment à la personne qui exerce la médecine illégalement (5) ;

  • il s’agit également des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales, qui ne peuvent être gratifiés par les personnes dont ils assurent la protection, quelle que soit la date de la libéralité (C. civ., art. 909, al. 2) ;
  • il s’agit également (L. no 2015-1776, 28 déc. 2015, JO 29 déc.), des personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés d’un établissement ou service soumis à autorisation ou à déclaration en application du Code de l’action sociale et des familles, ou d’un service soumis à agrément ou à déclaration mentionné au 2º de l’article L. 7231-1 du Code du travail, ainsi que les bénévoles ou les volontaires qui agissent en leur sein ou y exercent une responsabilité. Ces personnes ne peuvent profiter de dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par les personnes prises en charge par l’établissement ou le service pendant la durée de cette prise en charge (sous réserve des exceptions prévues aux 1º et 2º de l’article 909 du Code civil). La sanction est la nullité visée à l’article 911 du Code civil (CASF, art. L. 116-4, al. 1er).

Cette interdiction est applicable au couple ou à l’accueillant familial soumis à un agrément en application de l’article L. 441-1 du Code de l’action sociale et des familles et à son conjoint, à la personne avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité ou à son concubin, à ses ascendants ou descendants en ligne directe, ainsi qu’aux salariés mentionnés à l’article L. 7221-1 du Code du travail accomplissant des services à la personne définis au 2º de l’article L. 7231-1 du même code. Cette interdiction n’est cependant valable qu’au titre des dispositions souscrites pendant la durée de cet accueil ou de cet accompagnement (CASF, art. L. 116-4, al. 2).

En effet, il existe deux exceptions aux incapacités de l’article 909 du Code civil (et de l’article L. 443-6 du Code de l’action sociale et des familles) qui concernent :

  • certaines dispositions rémunératoires à titre particulier ;
  • ainsi que le cas du lien de parenté (jusqu’au quatrième degré), dès lors que le défunt n’a pas d’héritier en ligne directe à moins qu’il soit lui-même héritier en ligne directe (C. civ., art. 909, al. 3).

Cette incapacité n’a pas été étendue aux personnels d’aide à domicile, d’accompagnement social (6), ni aux auxiliaires de vie à domicile, pour un testament rédigé antérieurement à l’interdiction résultant de l’article L. 116-4 alinéa 2 du Code de l’action sociale et des familles (7).

Rappelons cependant que même un légataire n’est pas visé par une telle incapacité, la nullité du testament pourrait être encourue sur le fondement de l’article 901 du Code civil pour insanité d’esprit. Ainsi la cour d’appel devait rechercher si lors des derniers mois de la vie du testateur, l’auxiliaire de vie ne s’était pas livrée à des manœuvres dolosives pour capter son héritage (8).

B. Sanction

La réduction de la libéralité est prévue pour le mineur de plus de seize ans qui ne peut tester que pour la moitié de ce qu’il pourrait tester s’il était majeur (C. civ., art. 904).

La nullité de la libéralité (C. civ., art. 911) est absolue dans le cas exceptionnel où l’individu condamné à une peine criminelle perpétuelle a donné ou a reçu. Dans les autres cas, la sanction qui peut être invoquée est la nullité relative :

  • dans les incapacités absolues de disposer, par le disposant ou ses successeurs ;
  • dans les incapacités absolues de recevoir, par le bénéficiaire ou ses successeurs ;
  • dans les incapacités relatives de disposer et de recevoir, fondée sur une présomption légale de captation, par le disposant victime d’un abus de confiance ou par ses successeurs.

La mise en œuvre de l’une ou l’autre des sanctions est une chose facile lorsque l’incapable affiche son incapacité et, par là même, l’irrégularité de l’acte. La difficulté s’accroît lorsque, pour déjouer la loi et les sanctions édictées, les parties décident de déguiser la nature de l’acte ou de dissimuler sous l’identité d’une autre personne, le véritable bénéficiaire.

Les moyens de preuve sont libres, mais difficiles à mettre en œuvre ; la loi a facilité cette tâche par le jeu d’une présomption (C. civ., art. 911, al. 2), disposant que « sont présumés personnes interposées, jusqu’à preuve du contraire, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne incapable ».

Cette présomption peut être combattue désormais par la preuve contraire.

 

II. Inconstitutionnalité de l’incapacité relative de recevoir à titre gratuit des auxiliaires de vie à domicile

A. Une atteinte au droit de propriété

Droit de propriété et incapacité de recevoir versus droit de propriété et incapacité de disposer. – Le premier paragraphe de l’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles pose une incapacité de recevoir.

Or assez habilement, le grief formulé contre cette disposition ne s’attaque pas à cette incapacité explicitement énoncée par le texte, mais à son corollaire nécessaire, en réalité sa cause, à savoir l’incapacité de disposer frappant les personnes vulnérables faisant appel à des services à la personne pour faciliter leur maintien à domicile.

Curieusement, la requérante défend donc indirectement ses intérêts en cherchant à faire tomber les limitations au droit de propriété subi par la testatrice, stratégie procédurale qui ne souffre aucune contestation du fait du caractère objectif du contentieux en QPC.

Comment expliquer un tel renversement de perspective ? Sans doute eût-il été difficile de prétendre que l’incapacité de recevoir portait atteinte à un quelconque droit constitutionnel.

Ainsi le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion d’affirmer que le droit de propriété n’implique pas celui de recevoir à titre gratuit refusant ainsi de consacrer un droit à hériter. Au contraire, le Conseil constitutionnel avait déjà expressément qualifié, comme il le fait encore en l’espèce (§ 6), le droit de disposer librement de son patrimoine d’« attribut essentiel » du droit de propriété garanti à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Atteinte au droit de propriété consommée. – Une fois le lien établi entre les dispositions contestées et le droit de propriété, constitutionnellement protégé, l’atteinte à ce droit par l’article L. 116-4, I du Code de l’action sociale et des familles s’avérait manifeste. Le Conseil constitutionnel prend bien soin de la caractériser en montrant que ce texte qui interdit « aux responsables et aux employés ou bénévoles des sociétés délivrant » lesdits services ainsi qu’« aux personnes directement employées par celles qu’elles assistent, de recevoir des donations ou des legs » (§ 5), « limite[nt], dans la mesure de cette interdiction, les personnes âgées, les personnes handicapées ou celles qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité dans leur capacité à disposer librement de leur patrimoine » (§ 6).

Reste que, comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans un paragraphe de principe conforme à sa jurisprudence constante, « il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (§ 4). En d’autres termes, une atteinte au droit de propriété peut être conforme à la Constitution dès lors qu’elle est proportionnée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce selon les Sages.

B. Une atteinte disproportionnée

But d’intérêt général caractérisé. – Les limitations législatives au droit constitutionnel de propriété ne sont donc admises que si elles sont liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général. En l’espèce, et sans surprise, le Conseil constitutionnel considère que l’article L. 116-4, I du Code de l’action sociale et des familles poursuit un but d’intérêt général étant donné que « le législateur a entendu assurer la protection de personnes dont il a estimé que, compte tenu de leur état et dans la mesure où elles doivent recevoir une assistance pour favoriser leur maintien à domicile, elles étaient placées dans une situation particulière de vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur apportaient cette assistance » (§ 7).

Certes, on pourrait faire valoir que le mécanisme contesté tend à protéger, d’abord et avant tout, les seuls intérêts privés des personnes vulnérables exposées à un risque d’emprise de la part des professionnels qu’elles emploient à domicile, mais ce serait perdre de vue que toutes les règles protectrices sont teintées d’intérêt général. Ici, l’incapacité de jouissance protège aussi l’intérêt de tiers, les héritiers légaux notamment, ainsi que celui de la société résidant dans une certaine moralisation des professions d’accompagnement en assurant un exercice désintéressé et indépendant de l’activité de service à la personne. Ainsi l’atteinte portée par les dispositions contestées au droit de propriété est-elle a priori légitime ; encore faut-il qu’elle soit proportionnée au but poursuivi.

Contrôle de proportionnalité. – Comme souvent en matière de droits fondamentaux, l’appréciation de l’atteinte procède d’un contrôle de proportionnalité, entre l’objectif d’intérêt général poursuivi par le texte, d’une part, et l’étendue de la mesure, d’autre part.

La balance des nombreux intérêts en présence – lutte contre les captations d’héritage, protection des personnes vulnérables contre le risque d’emprise dans le lieu si intime et clos de leur domicile, moralisation des professions d’accompagnement aux personnes vulnérables, d’une part, et promotion du principe de l’autonomie des personnes vulnérables et de la liberté de disposer à titre gratuit, d’autre part – était sans doute un exercice d’équilibriste difficile pour le législateur qui a manifestement échoué : « l’interdiction générale contestée porte au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi » (§ 11).

Il apparaît à la lecture de la décision que deux séries de raisons ont convaincu le Conseil constitutionnel de la disproportion de l’atteinte portée au droit de propriété en l’espèce, les premières tenant à l’absence de conditions relatives à la vulnérabilité du disposant pour la mise en œuvre de l’incapacité de disposer, les secondes tenant au caractère irréfragable de l’interdiction critiquée.

Absence de conditions relatives à la vulnérabilité du disposant. – Dans un premier temps du raisonnement, le Conseil constitutionnel remet en cause le postulat sur lequel reposent les dispositions contestées, celui de la situation de vulnérabilité dans laquelle les personnes âgées ou handicapées, maintenues à domicile, sont censées se trouver. Autrement dit, selon lui, la vulnérabilité qui justifie l’interdiction de disposer est loin d’être caractérisée en l’espèce.

Deux éléments retiennent son attention en ce sens : 1o) ce n’est pas parce qu’une assistance est apportée à une personne qu’elle est vulnérable au sens du droit des libéralités ; 2o) quand bien même on voudrait déduire de l’existence d’une assistance l’altération de la capacité à consentir, encore faudrait-il préciser le contenu exact de ladite assistance pour, précisément, en inférer une vulnérabilité.

Ainsi, d’une part, il estime qu’« il ne peut se déduire du seul fait que les personnes auxquelles une assistance est apportée sont âgées, handicapées ou dans une autre situation nécessitant cette assistance pour favoriser leur maintien à domicile que leur capacité à consentir est altérée » (§ 8).

Autrement dit, le besoin d’assistance que peuvent connaître certaines personnes maintenues à domicile ne peut, à lui seul, faire présumer que leur capacité à consentir est affectée. Ce faisant, le Conseil constitutionnel invite à distinguer entre vulnérabilité et incapacité : si l’âge ou le handicap engendrent une vulnérabilité certaine rendant nécessaire une assistance personnelle à domicile, cette vulnérabilité, le plus souvent d’ordre matériel, ne traduit pas systématiquement une altération des facultés mentales de nature à justifier une mesure d’incapacité. Il confirme ainsi l’intuition de la Cour de cassation qui avait jugé, dans sa décision de renvoi précitée, la QPC sérieuse en ce que la disposition contestée réduisait le droit de disposer de ses biens « hors tout constat d’inaptitude du disposant ».

D’autre part, le Conseil a relevé qu’aucune distinction n’est opérée entre les tâches effectuées par les personnes interdites de recevoir selon leur durée ou selon leur fréquence. Or il estime que « Le seul fait que ces tâches soient accomplies au domicile des intéressées et qu’elles contribuent à leur maintien à domicile ne suffit pas à caractériser, dans tous les cas, une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de ceux qui leur apportent cette assistance » (§ 9).

Une nouvelle fois, c’est l’absence de condition, tenant ici à la durée ou la fréquence des services rendus à domicile, qui est stigmatisée par le Conseil constitutionnel en ce que la vulnérabilité du disposant et la présomption de captation ne sont pas fondées sur des éléments suffisamment précis et objectifs.

 

Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 8 mars 2017, 16-10.340, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  2. Cour de cassation, Chambre civile 1, du 4 décembre 1985, 84-15.883, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  3. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 novembre 2010, 07-21.303, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  4. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 16 septembre 2020, 19-15.818, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  5. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 10 octobre 1978, 77-11.785, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  6. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 septembre 2013, 12-25.160, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  7. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 23 mars 2022, 20-17.663, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  8. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 31 mars 2021, 19-21.267, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)