Donation en cas d’habilitation familiale
« L’absence de caractérisation d’une intention libérale, présente ou passée, de la personne protégée, fait-elle nécessairement obstacle à la possibilité, pour le juge des contentieux de la protection, d’autoriser la personne habilitée à la représenter de manière générale pour l’ensemble des actes relatifs à ses biens, sur le fondement des articles 494-1 et suivants du Code civil, à procéder à une donation ? ».
L. 441-1 du Code de l’organisation judiciaire Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation.
De même, l’article L. 441-2 alinéa 1 du Code de l’organisation judiciaire La chambre compétente de la Cour de cassation se prononce sur la demande d’avis.
En outre, l’article 1031-1 et suivants du code de procédure civile : Lorsque le juge envisage de solliciter l’avis de la Cour de cassation en application de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, il en avise les parties et le ministère public, à peine d’irrecevabilité. Il recueille leurs observations écrites éventuelles dans le délai qu’il fixe, à moins qu’ils n’aient déjà conclu sur ce point.
Dès réception des observations ou à l’expiration du délai, le juge peut, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation en formulant la question de droit qu’il lui soumet. Il sursoit à statuer jusqu’à la réception de l’avis ou jusqu’à l’expiration du délai mentionné à l’article 1031-3.
Selon l’article 1031-2 du Code civil, la décision sollicitant l’avis est adressée, avec les conclusions et les observations écrites éventuelles, par le greffe de la juridiction au greffe de la Cour de cassation. Elle est notifiée, ainsi que la date de transmission du dossier, aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Le ministère public auprès de la juridiction est avisé ainsi que le premier président de la cour d’appel et le procureur général lorsque la demande d’avis n’émane pas de la cour.
L’article 893 du Code civil précise en effet : « La libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne. Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament ».
Consentir à des donations, permet d’anticiper judicieusement sa succession, d’aider ses proches de son vivant, d’éviter les complications liées au partage de la succession et d’optimiser la fiscalité de la transmission de son patrimoine. Des abattements fiscaux peuvent ainsi s’appliquer tous les quinze ans, pour les donations au profit d’héritiers.
L’acte de donation est irrévocable et immédiat. Ainsi, le bien entre directement dans le patrimoine du bénéficiaire. Le donateur ne pourra reprendre la chose donnée que dans des cas très particuliers. C’est en effet que la donation est assimilée à un contrat.
S’agissant d’un acte important, affectant le patrimoine du disposant, le législateur a souhaité porter une attention particulière à la sécurité de ces actes. Ainsi, il existe des conditions strictes de validité, portant sur l’acte en lui-même, et sur les donateurs.
Aux termes de l’article 894 du code civil, la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte.
Comme toute libéralité, elle suppose, outre l’appauvrissement du gratifiant, l’existence d’une intention libérale vis-à-vis du gratifié.
L’intention libérale doit être prouvée (1).
I. Conditions de validité portant sur le donateur
Être capable juridiquement. Le donateur doit avoir la capacité de faire des donations. Le mineur non émancipé ne peut faire de donation (Articles 903 et 904 du Code civil). Le majeur sous tutelle doit avoir l’autorisation du Juge ou du Conseil de famille et être assisté ou représenté par son tuteur (Article 476 du Code civil). Le majeur sous curatelle peut faire des donations avec l’assistance de son curateur (Article 470 du Code civil).
Être sain d’esprit, sous peine de nullité relative de la donation (Article 901 du Code civil). La preuve de l’insanité d’esprit incombe au demandeur en nullité (voir : Cour d’appel de Paris – Pôle 03 ch. 01 – 2 mars 2016 / n° 15/05335) et peut être rapportée par tous moyens. Cette interprétation relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
À la différence des actes à titre onéreux, l’action en nullité peut être intentée après le décès du donateur, par ses héritiers. Il n’est pas nécessaire que l’acte porte en lui-même la preuve du trouble mental, ni que le donateur ait été placé sous sauvegarde de justice au moment de l’acte.
L’action est soumise au délai de prescription quinquennal (2) Article 2224 du Code civil) qui court, à l’égard de l’héritier, à compter du décès du disposant, l’exception étant perpétuelle en l’absence d’exécution de l’acte (3).
Le consentement doit être libre et éclairé (article 901 du Code civil). L’erreur, le dol et la violence entraînent la nullité relative de la donation (4), y compris si l’erreur porte sur la personne du gratifié ou si elle porte sur la cause de la donation.
Le délai de prescription quinquennal court du jour où la violence a cessé ou du jour où le dol ou l’erreur ont été découverts (articles 2224 et 1144 du Code civil), l’exception étant perpétuelle.
La cause de la donation, entendue comme le « motif impulsif et déterminant de l’appauvrissement volontaire du donateur, doit exister et être licite et morale sous peine de nullité de l’acte » (Donation, Fiches d’orientation – Dalloz, juin 2020 – Cour d’appel de Lyon – ch. civile 01 B – 13 mars 2018 / n° 17/00898)
II. Sur l’habilitation familiale
L’habilitation familiale est une mesure qui permet au juge des tutelles d’habiliter un proche d’une personne, qui est hors d’état de manifester sa volonté, à la représenter, l’assister ou passer des actes en son nom.
L’article 494-1 du Code civil dispose :
« Lorsqu’une personne est dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté, le juge des tutelles peut habiliter une ou plusieurs personnes choisies parmi ses ascendants ou descendants, frères et sœurs ou, à moins que la communauté de vie ait cessé entre eux, le conjoint, le partenaire auquel elle est liée par un pacte civil de solidarité ou le concubin à la représenter, à l’assister dans les conditions prévues à l’article 467 ou à passer un ou des actes en son nom dans les conditions et selon les modalités prévues à la présente section et à celles du titre XIII du livre III qui ne lui sont pas contraires, afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts. »
La personne pouvant être habilitée doit être un proche au sens du 2° du I de l’article 1er de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015. Ainsi, le dispositif d’habilitation par justice bénéficie aux ascendants, descendants, frères et sœurs, partenaire d’un pacte civil de solidarité ou concubin, et, depuis le 20 novembre 2016, au conjoint.
Les missions découlant de l’habilitation sont exercées à titre gratuit (C. civ., art. 494-1, dern. al.).
L’habilitation familiale ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par les stipulations du mandat de protection future conclu par l’intéressé ou par l’application des règles du droit commun de la représentation (C. civ., art. 494-2). Entre époux, l’habilitation familiale ne peut, en outre, être mise en œuvre que si les règles des régimes matrimoniaux (C. civ., art. 217, 219, 1426 et 1429) ne suffisent pas.
La demande est faite par la personne pouvant être habilitée ou, à sa demande, par le procureur de la République (C. civ., art. 494-3). Elle peut l’être également, depuis le 25 mars 2019, par la personne qu’il y a lieu de protéger. Elle est réalisée selon les règles du code de procédure civile relatives aux demandes de mesures et dans le respect des dispositions des articles 429 et 431 du code civil.
L’article 415 du Code civil précise que :
« Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire selon les modalités prévues au présent titre. Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci. Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique. »
III. Sur la donation en cas d’habilitation familiale
L’article 494-6, alinéa 4, du Code civil dispose :
« La personne habilitée ne peut accomplir en représentation un acte de disposition à titre gratuit qu’avec l’autorisation du juge des tutelles. »
L’article 494-6, alinéa 4, du code civil est à rapprocher de l’article 476, alinéa 1er, du même code, aux termes duquel la personne en tutelle peut, avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur pour faire des donations et qui constitue une exception au principe posé à l’article 509 de ce code, selon lequel le tuteur ne peut, même avec une autorisation, accomplir des actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée.
Dans le but de mieux respecter la volonté de la personne placée sous un système de protection nécessitant en principe sa représentation, le législateur contemporain lui a ainsi reconnu une certaine liberté de disposer à titre gratuit de ses biens entre vifs, comme elle dispose d’une certaine liberté de disposer de ses biens à cause de mort. Il l’a cependant placée sous le contrôle du juge ou du conseil de famille, qui doit autoriser la libéralité.
Mais, à la différence de l’article 476, alinéa 2, qui prévoit que la personne en tutelle ne peut faire que seule son testament, le tuteur ne pouvant ni l’assister ni la représenter, et qui requiert donc que la personne soit capable d’exprimer librement sa volonté au moment de sa réalisation, l’article 494-6, alinéa 4, comme l’article 476, alinéa 1er, n’exclut pas le cas où la personne protégée représentée est hors d’état de manifester sa volonté.
De plus, interdire toute donation dans cette hypothèse aboutirait à geler le patrimoine de la personne jusqu’à son décès et pourrait, en constituant un frein aux solidarités familiales, s’avérer contraire à ses intérêts.
A l’inverse, permettre son autorisation sans restriction reviendrait à nier le caractère personnel de la donation.
Dans cette hypothèse, il incombe par conséquent au juge des contentieux de la protection, de s’assurer, d’abord, au vu de l’ensemble des circonstances, passées comme présentes, entourant un tel acte, que, dans son objet comme dans sa destination, la donation correspond à ce qu’aurait voulu la personne protégée si elle avait été capable d’y consentir elle-même, ensuite, que cette libéralité est conforme à ses intérêts personnels et patrimoniaux, en particulier que sont préservés les moyens lui permettant de maintenir son niveau de vie et de faire face aux conséquences de sa vulnérabilité.
Lorsqu’une personne protégée faisant l’objet d’une mesure d’habilitation familiale est hors d’état de manifester sa volonté, le juge des contentieux de la protection ne peut autoriser la personne habilitée à accomplir en représentation une donation qu’après s’être assuré, d’abord, au vu de l’ensemble des circonstances, passées comme présentes, entourant un tel acte, que, dans son objet comme dans sa destination, la donation correspond à ce qu’aurait voulu la personne protégée si elle avait été capable d’y consentir elle-même, ensuite, que cette libéralité est conforme à ses intérêts personnels et patrimoniaux, en particulier que sont préservés les moyens lui permettant de maintenir son niveau de vie et de faire face aux conséquences de sa vulnérabilité.
Sources :
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 18 janvier 2012, 10-27.325, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 novembre 2010, 09-68.276, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 octobre 2017, 16-24.766, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 17 octobre 2019, 18-22.769, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)