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Dispense de rapport des présents d’usage

  1. Le juge ne peut pas dire que des sommes sont des présents d’usage, dispensés de rapport, sans préciser à l’occasion de quels événements le défunt a fait des cadeaux à son fils et pour quels usages. (1)

Selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 25 juin 2019), [M] [K] veuve [X] est décédée le 8 octobre 2009, en laissant pour lui succéder ses deux enfants, [P] et [E]. (2)

  1. Des difficultés sont survenues au cours du règlement de la succession.

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Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, quatrième et troisième moyen, pris en sa première branche

  1. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

  1. Mme [P] [X] fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes en rapport à la succession par M. [E] [X] des donations effectuées par [M] [X] à son profit par virements, chèques bancaires et remises d’espèces pour un montant de 23 697 euros, et, en conséquence, en recel successoral, alors « que tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; qu’il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale ; que ne sont susceptibles de recevoir la qualification de présents d’usage, dispensés de rapport, que les cadeaux faits à l’occasion de certains événements, conformément à un usage, et n’excédant pas une certaine valeur ; qu’en décidant que constituaient des présents d’usage les retraits d’un montant de 2 200 euros, le 15 mai 2004 et de 1 300 euros, le 9 décembre 2003, sans constater qu’ils auraient été effectués à l’occasion d’un événement particulier et en vertu d’un usage, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 843, alinéa 1er du Code civil, ensemble l’article 852 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 852 du Code civil :

  1. Aux termes de ce texte, les frais de nourriture, d’entretien, d’éducation, d’apprentissage, les frais ordinaires d’équipement, ceux de noces et les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant. Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant.
  2. Pour rejeter les demandes de Mme [P] [X] tendant à la condamnation de M. [E] [X] au rapport à la succession des sommes de 2 200 euros et de 1 300 euros retirées des comptes bancaires de [M] [X] les 15 mai 2004 et 09 décembre 2003 et en recel successoral correspondant, l’arrêt retient que ces sommes étaient compatibles avec les capacités financières de la donatrice et qu’elle a ainsi pu effectuer ces versements au titre de présents d’ usage , puisqu’elle vivait avec son fils, qui avait la charge de son entretien quotidien.
  3. En se déterminant ainsi, sans préciser à l’occasion de quels événements [M] [X] avait fait de tels cadeaux à son fils et conformément à quels usages, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

  1. La cassation partielle prononcée n’emporte pas celle des chefs de dispositif relatifs aux dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile, justifiés par d’autres dispositions de l’arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes de Mme [P] [X] tendant à la condamnation de M. [E] [X] au rapport à la succession de [M] [X] des sommes de 2 200 euros et de 1 300 euros correspondant à des retraits bancaires effectués les 15 mai 2004 et 9 décembre 2003 et en recel successoral correspondant, l’arrêt rendu le 25 juin 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry

L’article 852 (L. no 2006-728 du 23 juin 2006, art. 5) dispose que les frais de nourriture, d’entretien, d’éducation, d’apprentissage, les frais ordinaires d’équipement, ceux de noces et les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant. Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant.

Les présents d’usage ne donnent pas lieu à rapport (Les présents d’usage n’ont pas à être réunis fictivement à la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible prévue à l’article 922 du Code civil, en vue d’une éventuelle réduction) (3)

Pour que cette qualification puisse être retenue, il faut, d’une part, que le cadeau soit motivé par l’usage (remise à l’occasion d’un mariage, d’un anniversaire, …) et, d’autre part, que sa valeur soit modeste comparativement au patrimoine du donateur au jour du présent.

La jurisprudence de la Cour de cassation a été consacrée par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006, l’article 852 du Code civil excluant expressément les présents d’usage du rapport et précisant que le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant. Il ne semble pas, en dépit de la rédaction de l’article 852 du Code civil, que la qualification de présent d’usage puisse être retenue et que dans le même temps le rapport puisse être imposé par le défunt. Il y aurait en effet un non-sens, puisque la qualification de présent d’usage est exclusive de celle de libéralité.

Deux éléments fondamentaux interviennent dans la définition des présents d’usage : leur faible importance ou valeur, d’une part, et les circonstances où ils sont consentis, d’autre part. Ainsi, le présent d’usage devient une donation véritable, rapportable à la masse et soumise au régime de droit commun de la donation, s’il est d’une certaine importance et si la circonstance de la générosité ne présente aucun caractère social ou familial évident.

Ces deux éléments sont soumis à l’appréciation des juges du fond et à l’évolution des faits et des mœurs. Les juges du fond sont invités à préciser à l’occasion de quel événement et conformément à quel usage le cadeau est fait (Cour de cassation, chambre civile 1re du 1er février 1960). L’appréciation devra tenir compte du rang social ou familial du disposant, du bénéficiaire, de leurs relations.

 

I. Un événement particulier justifiant un cadeau

Les présents d’usage ne constituent pas des libéralités, car il y manque deux éléments essentiels qui sont l’intention libérale et l’appauvrissement. Certes ce sont des donations au sens le plus général du terme, mais des donations amoindries dans lesquelles l’animus est nettement altéré par des considérations autres que la pure générosité et où la valeur des biens donnés est relativement faible par rapport à la fortune du disposant.

L’administration fiscale ne consacre pas de longs développements à ces libéralités très particulières, mais elle en reconnaît quand même incidemment l’existence : « Il est admis de ne pas opposer les dispositions de l’article 784 du Code général des impôts aux dons manuels ayant le caractère de présents d’usage au sens de l’article 852 du Code civil. Ce caractère peut généralement être reconnu aux cadeaux faits aux enfants mineurs par des membres et des amis de la famille ».

Cette définition fiscale est très restrictive, car il ne s’agit que de « cadeaux », faits à des « enfants mineurs ».

Bien sûr l’énumération n’est pas limitative, mais on voit bien que l’Administration ne veut pas que les contribuables qualifient n’importe quelle donation (ou don manuel) de présent d’usage, en choisissant une date d’anniversaire par exemple pour les réaliser ou les recevoir.

Bien entendu, pour que soit revendiquée la qualification de présent d’usage, il faut que soit incontestable la volonté de donner. Ainsi, une belle-mère qui avait remis à sa belle-fille, à occasion du mariage de son fils, un ensemble de bijoux de valeur, soutenait qu’il ne s’agissait que d’un prêt à usage pour les besoins de la cérémonie et que les bijoux devaient lui être restitués. La belle-fille soutenait de son côté que les bijoux litigieux étaient constitutifs d’une dot négociée entre les mères des deux futurs époux et, qu’à ce titre, il s’agissait de présents d’usage dont elle était désormais propriétaire.

La cour d’appel de Douai, relève que la preuve d’une intention libérale n’était pas rapportée en l’espèce, la belle-mère ayant déposé plainte pour vol à l’encontre de sa belle-fille, puis sollicité la restitution des bijoux par un courrier de son conseil deux mois seulement après la célébration du mariage. Au regard de ces éléments, la cour d’appel condamne la belle-fille à restituer les bijoux à sa belle-mère (Cour d’appel, Douai, 1re chambre, 1re section, 15 décembre 2016 – n° 16/02480).

 

II. Une valeur appropriée à la fortune du donateur

Quant à l’importance matérielle de la valeur des présents, elle est relative à la fortune du disposant et à ses disponibilités. Si ces présents sont jugés d’importance excessive ou non motivés par les usages, ils doivent être soumis à rapport : ce sont, alors, des dons manuels.

(Attendu que sous couvert des griefs non fondés de manque de base légale et de défaut de réponse à conclusions, le moyen ne tend qu’à remettre en cause le pouvoir souverain de la cour d’appel qui, après avoir relevé, d’une part, que M. X… avait voulu offrir un véhicule automobile à son épouse à l’occasion de son trentième anniversaire conformément à l’usage habituel des cadeaux d’anniversaire, d’autre part, que ses revenus nets imposables en 1996, soit 166 220 francs, lui permettaient de faire un tel présent qui ne revêtait aucun caractère excessif ou disproportionné par rapport à la situation financière et de fortune du donateur, a estimé, sans violer le principe de la contradiction, que le caractère de présent d’usage de la somme litigieuse était établi de sorte que la donation critiquée devait être dispensée de rapport) (4).

Leur objet peut porter sur des biens corporels, de la monnaie, un droit réel immobilier d’une faible valeur, une rente viagère relativement modique par comparaison aux revenus considérables des époux donateurs.

La normalité servira de référence (Montpellier, 5 oct. 1955, Gaz. Pal. 1955. 2. 360, qui procède à une ventilation entre les bijoux offerts par un mari à son épouse avant la dissolution de leur union ; ceux dont la valeur était inférieure à 156 000 F étaient considérés comme cadeaux d’usage non répétibles, mais non une bague de plus d’un million, qualifiée de donation ; par contre, lorsque les revenus mensuels du mari étant de l’ordre de 200 000 F, la remise à son épouse d’un chèque d’environ 60 000 F peut être considérée comme un présent d’usage ; Bordeaux, 9 avr. 1987, Juris-Data, no 040 861 ; de même qu’une collection d’objets précieux n’a pas été rapportée lorsqu’il est évident que pour le donateur, possesseur d’une fortune importante, cette libéralité était un présent d’usage : Paris, 25 octobre 1988, Juris-Data, no 026 516).

Pourtant, il est jugé qu’il faut déduire des libéralités rapportables les présents d’usage que constituent les cadeaux de Noël et d’anniversaire, il convient toutefois de les limiter à 10 000 F par cadeau, le surplus étant rapportable (Colmar, 25 février 1994, Juris-Data, no 048 961 ; rappr. J. CARBONNIER, Le statut des bijoux dans le droit matrimonial). Mais cette « normalité » ne doit pas être source d’abus, ni l’occasion de venger un amour-propre par rétention des cadeaux. Généralement, les juges du fond apprécient, tout d’abord, l’usage lui-même et, ensuite, l’importance du cadeau par rapport à la fortune du donateur.

Le régime d’exception des présents d’usage, depuis la jurisprudence de l’affaire Sacha Guitry, a donné naissance à des distinctions : bijoux, souvenirs ou propriétés de famille, contrat de prêt entre fiancés ou époux ; objets à valeur morale ou ostentatoire…

Néanmoins, il est à craindre que la qualification du cadeau varie selon l’humeur du moment où l’évolution des relations entre le donateur et le donataire. Sacha Guitry avait offert un bracelet de diamants somptueux à G. de Séréville, l’une de ses épouses successives, à l’occasion du premier anniversaire de leur mariage pour la remercier d’une année de bonheur conjugal ; mais l’épouse lui fut infidèle et le divorce fut prononcé à ses torts ; le donateur revendiqua alors le bracelet sur le fondement de l’ingratitude de la donataire et suite à la dissolution du mariage (Code civil article 267).

Malgré cela, la révocation fut refusée, car on estima qu’il n’y avait pas là donation, mais, étant donné l’opulence de la fortune du donateur, un présent d’usage.

Le présent arrêt (Cour de cassation, chambre civile 1 du 11 mai 2023) vient utilement rappeler une solution déjà établie il y a près de dix ans (5).

 

Sources :

  1. https://www.legalnews.fr/civil/successions-et-liberalites/107631-successions-dispense-de-rapport-des-presents-d-usage.html
  2. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 11 mai 2023, 21-18.616, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  3. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 19 septembre 2018, 17-24.205, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  4. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 mai 2008, 07-13.947, Inédit – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  5. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 septembre 2013, 12-17.556, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)