Conciliation entre réserve héréditaire et protection du conjoint survivant dans les successions

Le droit des successions organise la transmission du patrimoine d’une personne décédée à ses héritiers.

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Cette matière est marquée par une tension constante entre deux principes : d’une part, la liberté testamentaire, qui permet à toute personne de disposer de ses biens pour l’avenir ; d’autre part, la protection des héritiers dits « réservataires », à qui la loi attribue une part minimale de la succession, appelée réserve héréditaire. (1)

Ces mécanismes, bien que conçus pour assurer un équilibre, donnent souvent lieu à des conflits lorsqu’un défunt a tenté de privilégier une personne, en particulier son conjoint survivant, au détriment de ses enfants issus d’une précédente union. Ce type de situation illustre les enjeux familiaux et patrimoniaux liés à la recomposition familiale.

Le cas suivant met en scène Monsieur Dupont, décédé en laissant une seconde épouse et deux enfants d’un premier mariage. Les dispositions qu’il avait prises de son vivant (testament, assurance-vie, indivision immobilière) favorisent manifestement sa nouvelle épouse. Ses enfants contestent cette organisation et réclament le respect de leur réserve.

La question est donc la suivante : les enfants de Monsieur Dupont peuvent-ils limiter les avantages consentis à la seconde épouse et faire valoir leur réserve héréditaire ?

 

I. La détermination des droits successoraux légaux

A. La réserve des enfants : une protection incontournable

En droit français, les enfants sont héritiers réservataires (article 913 du Code civil). Cela signifie qu’une part minimale du patrimoine du défunt leur est obligatoirement réservée, indépendamment de la volonté de ce dernier. (2)

Lorsqu’il y a deux enfants, la réserve globale est fixée aux deux tiers de la succession.

Le défunt ne peut donc disposer librement que d’un tiers de son patrimoine, appelé « quotité disponible ».

Dans le cas de Monsieur Dupont, Alice et Paul ont donc droit, ensemble, à deux tiers de la succession. Si leur père a tenté de léguer « la totalité de ses biens » à son épouse, cette disposition excède clairement la quotité disponible et est susceptible de réduction.

Cette protection de la réserve a une double finalité :

  • préserver l’égalité entre les enfants,
  • éviter qu’ils ne soient totalement déshérités au profit d’un tiers, en particulier d’un nouveau conjoint.

Ainsi, les enfants disposent d’un fondement solide pour contester le legs universel fait à Madame Martin.

B. Les droits du conjoint survivant : une protection relative

Le conjoint survivant bénéficie lui aussi d’une certaine protection légale. À défaut de testament, il a le choix entre :

  • un quart en pleine propriété,
  • ou l’usufruit de la totalité de la succession (article 757 du Code civil).

Cependant, ces droits légaux peuvent être augmentés si le défunt a pris des dispositions en ce sens (testament, donation entre époux, assurance-vie). C’est le cas ici, puisque Monsieur Dupont a rédigé un testament attribuant « la totalité » de ses biens à son épouse.

Toutefois, ces avantages ne peuvent pas porter atteinte à la réserve héréditaire des enfants. Même si la volonté du défunt était claire, elle doit être conciliée avec la protection impérative de ses descendants. Madame Martin pourra donc recevoir au maximum la quotité disponible, soit un tiers du patrimoine. Le reste reviendra nécessairement aux enfants.

 

II. La contestation des avantages consentis au conjoint survivant

A. L’action en réduction du legs universel

Le legs universel en faveur de Madame Martin est manifestement excessif puisqu’il prive les enfants de leur réserve. Conformément à l’article 920 du Code civil, Alice et Paul peuvent exercer une action en réduction pour rétablir leur part réservataire. (3)

Concrètement, cela signifie que :

le legs ne sera pas annulé, mais réduit ;

Madame Martin conservera une part équivalente à la quotité disponible (un tiers de la succession) ;

les enfants recevront ensemble les deux tiers restants.

Cette action en réduction permet donc d’équilibrer la situation sans pour autant anéantir totalement la volonté du défunt.

En pratique, le notaire liquidateur devra reconstituer l’actif successoral (y compris certaines libéralités antérieures, comme les donations déguisées), déterminer la réserve et la quotité disponible, puis réduire les libéralités en conséquence.

B. La remise en cause des avantages indirects : indivision et assurance-vie

Outre le testament, Monsieur Dupont a mis en place deux mécanismes favorables à sa seconde épouse :

  • L’appartement acheté en indivision moitié-moitié

Bien que financé à 80 % par Monsieur Dupont, le bien a été acquis en indivision avec Madame Martin. En droit, l’inscription en indivision emporte présomption de propriété à proportion des quotes-parts figurant dans l’acte, ici 50 % pour chacun.

Cependant, les héritiers pourraient contester cette répartition au motif qu’elle dissimule une donation déguisée. Ils pourraient alors réclamer une réintégration de la valeur excédentaire dans la succession, ou au minimum une créance de récompense au profit de la succession.

  • L’assurance-vie au bénéfice de Madame Martin

En principe, l’assurance-vie est « hors succession » : elle échappe donc à la réserve héréditaire. Toutefois, l’article L. 132-13 du Code des assurances prévoit une exception en cas de primes « manifestement exagérées » au regard des facultés du souscripteur. (4)

Les enfants peuvent donc tenter d’obtenir la réintégration des primes jugées excessives dans l’actif successoral. Le juge appréciera ce caractère excessif en tenant compte de l’âge, de la situation patrimoniale et des besoins du défunt au moment du versement des primes.

Ainsi, même les mécanismes supposés « intouchables » peuvent être remis en cause dès lors qu’ils traduisent une volonté manifeste de contourner la réserve héréditaire.

 

Sources :

  1. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 17 octobre 2019, 18-22.810, Publié au bulletin – Légifrance
  2. Article 913 – Code civil – Légifrance
  3. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 7 février 2024, 22-13.665, Publié au bulletin – Légifrance
  4. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 mai 2018, 17-17.303, Inédit – Légifrance