Quand votre co-indivisaire vous ferme la porte : quels recours pour accéder au bien indivis et réaliser un inventaire

L’indivision, situation fréquente après une succession, survient lorsqu’un bien immobilier (ou parfois un portefeuille de biens mobiliers) est détenu conjointement par plusieurs personnes — les indivisaires — sans qu’il y ait division matérielle entre elles ni attribution de lots propres.

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Chacun détient une quote-part (une fraction) mais n’a pas l’exclusivité sur l’usage du bien, sauf convention contraire. Le régime juridique de l’indivision se trouve essentiellement aux articles 815 et suivants du Code civil.

Dans ce cadre, chaque indivisaire est titulaire du droit d’« user et de jouir de la chose en proportion de sa part » : c’est l’article 815-9 du Code civil qui l’énonce. (1) Cela implique que, sauf accord contraire, l’un des indivisaires ne peut pas se comporter comme s’il était propriétaire unique, en excluant les autres de l’usage du bien.

Pourtant, dans la pratique, il arrive que l’un des coindivisaires refuse l’accès au bien — verrouille la porte, garde les seules clés, empêche l’entrée, s’installe seul dans le logement, ou encore refuse la remise des clés ou des informations essentielles. Une telle situation crée un véritable blocage : l’indivisaire exclu est privé non seulement de l’usage de sa quote-part, mais aussi de la capacité d’agir (par exemple pour faire un inventaire, pour gérer, réparer ou vendre).

Cet article se donne pour but d’éclairer les droits que vous avez en tant qu’indivisaire victime de ce type de blocage, de détailler les démarches amiables possibles, puis de passer en revue les recours judiciaires que vous pouvez engager pour obtenir l’accès au bien indivis et pour réaliser un inventaire — étape essentielle pour la protection de vos intérêts (valorisation, partage, responsabilité…).

 

I. Vos droits et les bases juridiques de l’accès au bien indivis

A. Qu’est-ce que l’indivision et quels droits en découlent ?

L’indivision correspond à la situation dans laquelle plusieurs personnes sont propriétaires ensemble d’un même bien, sans qu’il soit attribué à chacun une fraction matérielle distincte. Elle est régie, notamment, par l’article 815 et suivants du Code civil.

L’article 815 du Code civil dispose que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Cela signifie qu’un indivisaire peut à tout moment exiger le partage (sauf dispositions contraires) — ce droit constitue une incitation à ce que l’indivision soit une solution transitoire. (2)

Plus précisément, l’article 815-9 du Code civil énonce :

« Chacun des indivisaires a le droit d’user et de jouir de la chose en proportion de sa part, sous réserve : 1° des conventions intervenues entre eux ; 2° des usages ou des règles particulières provenant de la destination ou de la nature de la chose. » (3)

Autrement dit :

  • Chaque indivisaire peut entrer dans le bien, l’utiliser, y entrer en jouissance, dans la mesure où il respecte la destination du bien et tant que ses droits ne portent pas atteinte aux droits des autres ;
  • Toutefois, cet usage n’est pas absolu : il peut être limité par une convention entre indivisaires (par exemple convention d’occupation exclusive par l’un) ou par la nature/destination du bien (un immeuble à usage collectif ou avec des contraintes spécifiques).

La condition de compatibilité de l’usage avec les droits des autres indivisaires découle de la nature même de l’indivision, où chaque indivisaire est titulaire de droits de même nature et en concurrence avec ceux des autres.

Ainsi, un indivisaire ne peut exploiter un bien indivis d’une manière qui affecterait de manière significative l’usage ou la jouissance du bien par ses coïndivisaires.

La jurisprudence a souvent eu l’occasion de se prononcer sur cette règle. Par exemple, la Cour de cassation a validé une décision de Cour d’appel, qui avait refusé de permettre à un indivisaire d’effectuer des travaux de canalisation sur une voie indivise.

Les juges du fond avaient estimé que ces travaux, visant à desservir un immeuble de quinze logements, créeraient une augmentation importante du trafic sur la voie indivise, affectant ainsi les droits des autres indivisaires (4).

Les juges du fond, dans leur appréciation souveraine, ont donc pu refuser cette utilisation, car elle n’était pas compatible avec les droits égaux des autres coïndivisaires.

L’appréciation de la compatibilité de l’usage d’un bien indivis avec les droits des autres indivisaires relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui évaluent chaque situation en fonction des circonstances propres à l’affaire.

Ce pouvoir souverain d’appréciation permet aux juges de déterminer si l’occupation par un indivisaire porte atteinte aux droits égaux et concurrents des autres coïndivisaires. Il ne suffit pas que l’usage soit privatif ou conforme à la destination du bien, encore faut-il qu’il ne compromette pas l’exercice des droits des autres indivisaires.

Par exemple, la simple détention de la clé par un indivisaire unique, empêchant les autres d’entrer, a pu être considérée comme caractéristique d’une jouissance privative.

Lorsque l’occupation d’un indivisaire empêche de fait les autres coïndivisaires d’accéder au bien, cela constitue une atteinte à leurs droits égaux sur l’immeuble indivis.

La Cour de cassation a ainsi jugé qu’un indivisaire détenant seul les clés d’un immeuble indivis empêchait les autres d’y accéder et exerçait ainsi une jouissance privative et exclusive. La privation de l’accès constitue une violation claire des droits des coïndivisaires, justifiant une indemnisation ou d’autres mesures correctrices (5).

Cette jurisprudence illustre parfaitement l’appréciation nuancée des juges, qui doivent prendre en compte le caractère concret de l’atteinte aux droits des autres indivisaires. Le simple fait d’occuper un bien ne suffit pas à lui seul pour justifier une sanction, mais dès lors que cette occupation limite de manière significative l’usage commun du bien, les juges sont habilités à intervenir. (6)

B. Les conséquences du refus d’accès

Lorsqu’un indivisaire empêche l’accès à l’immeuble indivis — par exemple en détenant seul les clés, en verrouillant la porte, en occupant seul et empêchant les autres — plusieurs conséquences juridiques peuvent se déclencher :

  1. Violation du droit d’usage : L’article 815-9 impose que l’usage soit compatible avec celui des autres indivisaires. Si un indivisaire empêche totalement l’accès ou l’usage aux autres, cela constitue une violation de ce droit. La jurisprudence a jugé qu’un tel comportement peut être qualifié de « trouble manifestement illicite ». (7)
  2. Indemnité d’occupation : Lorsqu’un indivisaire use ou jouit privativement de la chose indivise (c’est-à-dire sans partage, excluant les autres), il est soumis, sauf convention contraire, à une indemnité d’occupation. Article 815-9 alinéa 2 : « L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité. » Cette indemnité vise à compenser la perte de jouissance des autres indivisaires. (8)
  3. Action en cessation du trouble : Le co-indivisaire lésé peut solliciter du juge la cessation du trouble, la remise en état, l’accès aux clés, etc. En particulier, le juge des référés peut intervenir rapidement en cas de « trouble manifestement illicite ». (9)
  4. Risque d’usucapion : À plus long terme, une occupation prolongée et exclusive peut exposer l’indivisaire « qui reste passif » à la prescription acquisitive (usucapion) s’il ne conteste pas l’usage privatif. La jurisprudence met l’accent sur la nécessité d’agir rapidement. (10)
  5. Impact sur le partage ou la vente éventuelle : Le blocage de l’usage, ou l’occupation exclusive, rend souvent plus difficile la gestion de l’indivision, la vente ou la licitation (vente forcée) du bien. Cela peut retarder ou faire chuter le prix. (11)

 

II. Comment agir pour retrouver l’accès et faire un inventaire ?

Une fois que vous constatez qu’un co-indivisaire bloque l’accès ou empêche l’usage du bien, il convient d’agir selon une démarche progressive : amiable, puis si besoin contentieuse. Voici les étapes recommandées.

A. Privilégier l’amiable : mise en demeure et médiation

  1. Lettre de mise en demeure

    • Adressez une lettre recommandée avec accusé de réception au co-indivisaire bloquant, lui rappelant :
      • que vous êtes indivisaire, que vous avez le droit d’user du bien en proportion de votre quote-part (art. 815-9 C. civ.) ;
      • que son refus de vous donner accès / remise des clés constitue un manquement à ce droit ;
      • que vous lui demandez de vous remettre les clés ou d’autoriser l’accès dans un délai raisonnable (à préciser) ;
      • que faute de réponse favorable dans ce délai, vous vous verrez contraint d’engager les démarches contentieuses.
    • Cette démarche est importante, car elle matérialise que vous avez tenté la voie amiable, ce qui sera utile en justice (preuve de bonne foi).
    • La lettre peut être fondée aussi sur l’article 900 du Code de procédure civile pour la mise en demeure amiable (bien que ce ne soit pas toujours requis dans ce type de litige).
  2. Médiation ou intervention du notaire

    • Si vous partagez encore un notaire (ex. le notaire en charge de la succession) ou un médiateur familial, vous pouvez proposer une réunion avec le coindivisaire pour discuter de la remise des clés, d’un calendrier d’accès, de la réalisation d’un inventaire, etc.
    • Une convention d’occupation ou d’usage peut être envisagée (par exemple : l’un des indivisaires s’engage à laisser l’autre accéder…, ou une jouissance exclusive contre indemnité).
    • L’article 815-13 du Code civil prévoit la possibilité d’une convention entre indivisaires pour régler l’usage du bien indivis.
    • Celui-ci est souvent un bon réflexe, car la voie judiciaire est longue et coûteuse.

B. Intervention de l’huissier : constat et accès au bien

Si la voie amiable ne donne pas de résultat, il est judicieux de recourir à un huissier de justice :

  • Demandez à un huissier de faire un constat d’huissier matérialisant le refus d’accès, la mise en demeure non respectée, la détention exclusive des clés. Ce document aura une grande valeur probante.
  • Si l’accord des autres indivisaires est acquis, l’huissier, sur leur instruction, peut procéder à l’ouverture du bien — avec serrurier — pour permettre l’inventaire ou l’accès au bien. Cela peut être fondé sur les dispositions du Code de procédure civile (articles relatifs aux actes d’huissier) et sur le pouvoir des indivisaires de prendre des mesures conservatoires (voir plus bas).
  • Le constat peut par ailleurs être utile pour établir le trouble manifestement illicite (voir section II.C) et pour quantifier l’indemnité d’occupation.

C. Recours judiciaire en référé

Lorsqu’un indivisaire bloque l’accès et refuse de collaborer, vous pouvez saisir le président du tribunal en référé pour obtenir des mesures rapides. Voici les points clés :

  • Le fondement légal : l’article 815-9 du Code civil permet au juge, en l’absence d’accord, de régler l’exercice du droit d’usage.
  • Le juge peut notamment ordonner : la remise des clés, l’accès immédiat, la désignation d’un huissier ou serrurier, l’astreinte financière en cas de non-exécution.
  • La jurisprudence reconnaît que le refus d’accès ou l’occupation exclusive peut constituer un « trouble manifestement illicite » permettant une intervention rapide du juge des référés. (12)
  • Exemple concret : dans une décision du 30 janvier 2019, la Cour de cassation a validé l’expulsion d’un indivisaire qui occupait un bien indivis depuis 2004, ne versait pas d’indemnité et s’opposait aux diagnostics nécessaires à la vente — le juge des référés avait considéré le maintien dans les lieux comme un trouble manifestement illicite.
  • Cette voie est intéressante, car elle permet d’agir avant l’ouverture du partage, sans attendre des années.

D. Autorisation judiciaire pour actes conservatoires

Parfois, ce n’est pas seulement l’accès ou la jouissance qui est bloquée, mais l’un des indivisaires refuse de coopérer pour des actes conservatoires (rénovation urgente, inventaire, diagnostics obligatoires). L’article 815-5 du Code civil dispose : « Chaque indivisaire peut, avant le partage, prendre les mesures nécessaires à la conservation de la chose indivise, sauf convention contraire ».

En jurisprudence, la Cour de cassation a jugé que « tout indivisaire peut accomplir seul un acte conservatoire », même sans le consentement des autres, dans les cas d’urgence ou de péril imminent.

Ainsi :

  • Si un bien indivis nécessite des réparations urgentes pour éviter sa dégradation (fuite, danger, effondrement) : un seul indivisaire peut engager les travaux, puis se faire rembourser par l’indivision.
  • Si l’inventaire des biens mobiliers est nécessaire pour sécuriser les droits de chacun, vous pouvez demander au juge l’autorisation d’y procéder seul, ou bien viser l’article 815-5 pour engager l’opération.
  • Cette option est utile surtout si l’autre indivisaire bloque fermement l’opération et que le temps joue contre la préservation des droits (ex. biens mobiliers qui peuvent être dissipés, valeur qui se dégrade…).

E. L’importance et la procédure de l’inventaire

Réaliser un inventaire des biens (notamment mobiliers, objets, équipements, peut-être même aménagements) contenus dans le bien indivis représente un enjeu stratégique :

  • il permet de recenser ce qui relève de l’indivision, d’éviter que certains biens disparaissent ou soient appropriés sans contrôle,
  • il permet de fixer la valeur des biens, ce qui est utile en cas de partage ou de liquidation ultérieure,
  • il protège vos intérêts en matière de responsabilité (charges, réparations, usage) et en matière fiscale (valeur de la masse indivise).

Procédure habituelle :

  • Vous pouvez convenir entre indivisaires de faire un inventaire chez un notaire ou huissier, qui agira en tant que tiers neutre.
  • L’huissier peut établir un procès-verbal d’inventaire (photographies, état des lieux, liste des mobiliers avec estimation sommaire).
  • Si l’autre indivisaire empêche l’accès ou coopère mal, vous pouvez saisir le juge pour qu’il ordonne l’inventaire. La jurisprudence reconnaît ce pouvoir.
  • À l’issue de l’inventaire, vous pouvez procéder ensuite à un partage, une vente, ou une gestion concertée avec connaissance de cause.

Points de vigilance :

  • Le coût de l’inventaire (notaire ou huissier) sera supporté par l’indivision, sauf convention contraire ;
  • Il est préférable de coupler l’inventaire avec un accès régulier et une formalisation des engagements (par exemple qui assume quoi, comment la jouissance sera répartie) ;
  • Si l’un des indivisaires refuse toujours l’accès, l’inventaire peut s’accompagner d’une demande d’astreinte pour forcer l’ouverture.
  • Attention à la prescription : les actions en indemnité d’occupation, les comptes à régler dans l’indivision ont des délais (ex. 5 ans) ; il convient de ne pas tarder.

F. Mesures en cas de blocage prolongé

Si malgré toutes vos démarches, l’indivision reste bloquée (un indivisaire refuse tout simplement l’accès, occupe seul, ne coopère pas, empêche la vente ou le partage), d’autres mesures existent :

  • Vous pouvez demander le partage judiciaire de l’indivision : l’article 815 du Code civil prévoit que nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision. Le tribunal peut ordonner la vente du bien (licitation) et la répartition du prix entre les indivisaires.
  • Le juge peut également nommer un administrateur provisoire (gestionnaire) de l’indivision, pour gérer les biens, percevoir les loyers, effectuer les travaux, engager les diagnostics, etc. Cela s’applique notamment lorsque l’un des indivisaires bloque la gestion. Par exemple, la Cour de cassation a validé la nomination d’un tel administrateur.
  • En cas d’occupation exclusive, l’indivisaire occupant peut être condamné à verser une indemnité d’occupation envers l’indivision (et non simplement envers les autres indivisaires) pour la période de jouissance exclusive. Voir l’article 815-9 al. 2 et la doctrine qui en découle.

En résumé, face à un blocage prolongé, vous êtes en droit de solliciter la mise en œuvre de mesures judiciaires fortes pour sortir de l’indivision ou pour forcer la gestion de l’indivision.

 

Sources :

  1. Article 815-9 – Code civil – Légifrance
  2. Article 815 – Code civil – Légifrance
  3. Indivision: le droit d’user et de jouir des biens indivis – Gdroit
  4. Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 12 juillet 2000, 98-22.450, Inédit – Légifrance
  5. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 31 mars 2016, 15-10.748, Publié au bulletin – Légifrance
  6. Indivision: le droit d’user et de jouir des biens indivis – Gdroit
  7. Bien indivis: l’occupation privative peut-elle caractériser un trouble manifestement illicite? | par Me Agnès TOUREL
  8. Indivision: les mauvaises surprises de l’indemnité d’occupation | EUROJURIS FRANCE
  9. Indivision – occupation d’un bien indivis par l’un des indivisaires -trouble manifestement illicite – Avocat Montpellier
  10. Sortir de l’indivision : que faire si un coindivisaire refuse de vendre ? Par Caroline Elkouby Salomon, Avocat.
  11. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 janvier 2019, 18-12.403, Publié au bulletin – Légifrance
  12. DALLOZ Etudiant – Actualité: La jouissance exclusive et privative dans l’indivision et la transmission d’une action en réparation en cas de décès