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Dernières volontés et assurance vie

Si la mort marque, en principe, la fin de la personnalité juridique, le droit est néanmoins fait de règles qui démontrent la persistance d’un lien entre le corps du défunt et la personne qu’il fut et qui forcent au respect des dernières volontés de celui qui n’est plus.

C’est en quelque sorte la poursuite de la vie du défunt, appelé de cujus, par l’intermédiaire d’un document présentant l’organisation de la succession de sa personnalité.

La désignation d’un héritier en cas de décès appartient exclusivement au souscripteur qui peut en user à tout moment durant le cours du contrat de cette faculté. Il s’agit d’un droit attaché à sa personne. Le bénéficiaire peut être une personne physique ou morale.

De même les dernières volontés pourraient s’analyser comme l’expression de la liberté reconnue à chacun par la loi (1) de régler les conditions de ses funérailles, et notamment à ce titre, de demander que sa dépouille soit, le moment venu, l’objet d’une inhumation ou d’une crémation, ou bien encore qu’il soit fait don de son corps à la science.

On peut rattacher cette liberté à la liberté individuelle dévolue à chaque personne. C’est l’essence de l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l’article 16 du Code civil, qui dispose : « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Pouvoir décider du devenir de son corps après sa mort est donc la poursuite du droit à la dignité de la personne humaine, qui commence dès le commencement de la vie.

À titre d’illustration, on signalera en particulier un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 décembre 1997 (Cour d’appel de Paris, 5 décembre 1997 : D. 1998, IR, p. 40 ; Dr. famille 1998, n° 93, note Beignier). Cet arrêt rappelle fort justement que le sort réservé à la dépouille d’une personne décédée doit suivre la dernière volonté exprimée par celle-ci de son vivant.

En l’espèce, le litige opposait les proches du défunt. Certains avançaient qu’ils étaient certains que le défunt souhaitait être incinéré quand d’autres avançaient l’inverse. La Cour d’appel de Paris juge alors que les dernières volontés directement exprimées par le défunt devaient primer les pensées de certains proches. Ainsi, la Cour d’appel fait le choix de la raison et suit l’expression la plus vraisemblable des volontés du défunt.

En d’autres termes, ce qui doit prévaloir, c’est la volonté du défunt, exprimée de son vivant, ou le cas échéant par le témoignage des proches, et non le sentiment que peuvent en avoir certains proches, encore moins la volonté de ces derniers (2).

Quant à l’assurance-vie, elle demeure un placement privilégié de par sa situation hors succession et ses avantages fiscaux significatifs. Elle permet ainsi au souscripteur de faire bénéficier la personne de son choix du capital investi, à condition de ne pas heurter la réserve héréditaire  par des primes excessives.

Ainsi, la désignation d’un bénéficiaire d’une assurance-vie peut se faire sous plusieurs formes.

Ce peut être au moyen d’un contrat, par voie testamentaire ou encore dans une simple lettre autographiée.

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I. Établissement d’une assurance-vie au moyen d’un contrat

Anticiper sa succession est une manière de protéger ses proches en organisant la transmission de son patrimoine selon sa propre volonté. L’assurance-vie permet ainsi la dévolution de ses biens à ses héritiers, mais également à des tiers, de manière souvent avantageuse.

Le contrat d’assurance sur la vie peut être défini comme : « un contrat par lequel l’assureur s’engage, en contrepartie de la perception de primes, à verser une rente ou un capital à une ou des personnes déterminées ».

L’article L132-12 du Code des assurances prévoit : « le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l’assuré ».

La Cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt du 9 janvier 2024, rappelle l’article L132-12 du Code des assurances et estime que le montant des sommes versé aux intimées, bénéficiaires des contrats d’assurance-vie, ne faisant pas partie de la succession, aucun recel ne peut être retenu et il convient de débouter l’appelant de sa demande (7).

L’article L132-13 du Code des assurances dispose quant à lui que le capital ou la rente payable au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés (8).

Dans un arrêt du 9 janvier 2024, la Cour d’appel de Riom rappelle les articles L132-12 et L132-13 du Code des assurances. La cour considère que la disproportion entre le montant des primes versées et les facultés du souscripteur, dont la preuve incombe à celui qui demande leur réintégration dans l’actif successoral, doit être appréciée au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci, au moment de la souscription du contrat et du paiement des primes (9).

Dans le cadre d’une assurance-vie, en cas de vie ou en cas de décès, le souscripteur du contrat demandera donc à l’assureur de verser, en contrepartie des primes reçues par ce dernier, une prestation au bénéficiaire pour le cas où la tête assurée serait ou ne serait pas en vie, sous réserve bien évidemment que le contrat n’ait pas pris fin antérieurement à la survenance de l’événement pour quelque cause que ce soit.

L’assurance-vie est aujourd’hui le principal placement financier des Français. Si le bénéficiaire n’est pas le souscripteur, le contrat d’assurance-vie constitue une stipulation pour autrui.

Par conséquent, le bénéficiaire est considéré comme le créancier direct de l’assureur et, l’acceptation du bénéfice de l’assurance, prévue par l’article L. 132-9 du Code des Assurances, rend cette créance définitive et irrévocable, sous réserve du respect des conditions formelles applicables à l’acceptation.

Le capital transmis pourra cependant être réintégré à l’héritage si les autres héritiers estiment et prouvent que les primes sont manifestement excessives. Il faudra donc être vigilant lors des versements, du vivant. L’appréciation du caractère excessif dépendra des revenus, du capital financier, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur. Les juges du fond ont en la matière une liberté d’appréciation.

Depuis le 1 janvier 2022, la loi Pacte a connu de nouveaux changements. En effet, les assureurs-vies sont obligés de rendre leurs contrats plus éthiques. Dans les contrats, il faut au moins un fonds labellisé Greenfin, un IRS et un fonds solidaire autrement dit « Finansol ».

Le label IRS permet d’assurer que certains critères responsables soient bien respectés par les fonds.

Le label Greenfin est « Greenfin est un label thématique qui autorise les fonds à investir uniquement dans huit secteurs d’activités qui participent à la transition écologique et énergétique, en excluant les énergies fossiles et le nucléaire des secteurs éligibles. »

Et le label solidaire « Finansol » concerne un fonds solidaire. Il est attribué aux produits soutenant le financement des entreprises solidaires.

II. Assurance-vie par voie testamentaire

De façon plus significative, le droit reconnaît le pouvoir de la dernière volonté au-delà de la mort. L’institution du testament en est un exemple bien connu et est soumise à certaines exigences.

  • L’identité du bénéficiaire ne figurera pas dans le contrat : l’article L. 132-8 du Code des Assurances dispose que le bénéficiaire doit être déterminé ou déterminable lors de l’exigibilité de la prestation. Sans être nommément désigné (s), le(s) bénéficiaire(s) doit/ doivent être suffisamment défini (s) pour pouvoir être identifié (s) au moment de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis. Une clause bénéficiaire qui serait par conséquent imprécise, incomplète ou erronée pourrait donner matière à contestation par les héritiers.
  •  De ce fait, il faut apporter un soin particulier à la rédaction de la clause bénéficiaire. Imprécise, incomplète ou erronée, elle pourrait alors être critiquée judiciairement par les héritiers.

Toutefois, il faut noter que le nom du ou des bénéficiaires ne peut être indiqué que dans le testament. Dans ce cas, le contrat d’assurance-vie stipulera que le bénéficiaire sera désigné par testament et précisera, le cas échéant, les coordonnées du notaire dépositaire du testament.

Ces formalités sont très importantes et tout manquement pourrait causer des blocages au moment du règlement de la succession. Il s’agit donc d’être le plus précis et complet possible.

  • Possibilité de changer le nom du bénéficiaire jusqu’au décès : La voie du testament est actuellement très utilisée, car elle procure l’avantage de laisser en principe le bénéficiaire dans l’ignorance de son droit, et donc d’éviter son acceptation qui, de son côté, présente l’inconvénient de rendre la désignation irrévocable.
  • Permet de réduire le risque de déshérence : le législateur semblait avoir mis en place des dispositifs permettant non seulement de réduire considérablement le risque de déshérence des contrats d’assurance-vie, mais également de protéger les intérêts des bénéficiaires informés tardivement de leur droit sur la garantie décès. En effet, l’assureur est tenu de plusieurs obligations, dont d’abord celles d’identifier les assurés décédés et de rechercher, une fois informé de leur décès, les bénéficiaires de ces contrats.

L’insertion de cette double obligation dans le Code des Assurances a permis, par exemple, entre 2008 et 2012, d’identifier 1,78 milliard d’euros de prestations pour lesquelles le décès de l’assuré n’avait pas été porté à la connaissance de l’assureur – par la famille ou le notaire, par exemple et qui n’auraient pas fait l’objet de règlement en l’absence de la loi de 2007 susvisée.

Cela induit donc plus de respect dans les dernières volontés du défunt et plus d’équité.

Le notaire joue en la matière un rôle primordial. Il pourra ainsi apporter un appui dans la rédaction d’une clause bénéficiaire, adaptée et proportionnée. Il pourra également enregistrer le testament rédigé auprès du Fichier central des Dispositions de Dernières Volontés (FCDDV). Par la suite, les bénéficiaires pourront interroger ledit fichier afin de savoir s’il y a bien existence d’un testament et prendre connaissance de vos dernières volontés.

Également, toute personne peut demander à l’AGIRA (Association pour la Gestion des Informations sur le Risque en Assurance) à être informée de l’existence d’un contrat d’assurance-vie à son profit, dès lors que la preuve du décès de l’assuré est rapportée.

Il faut néanmoins observer que la désignation par voie testamentaire est fréquemment source de difficultés. Comme l’observe le professeur Luc Mayaux « la réunion dans un même acte de disposition de dernière volonté de nature différente est à l’origine de confusions. Même quand le souscripteur entend bien stipuler pour autrui et donc désigner un bénéficiaire, comment être sûr que son acte qui figure dans un testament et qui côtoie des legs véritables ne sera pas interprété comme étant lui-même un legs ? La proximité spatiale peut entraîner une contamination des qualifications »

« In fine, relevons que la désignation sous forme testamentaire sera impossible à mettre en œuvre dans le cas d’une co-souscription, car la désignation des bénéficiaires suppose l’intervention des deux souscripteurs, or le testament étant nécessairement un acte personnel (Code civil, article 968), il ne peut être utilisé en pratique à cette fin » (3).

Il faut donc être particulièrement vigilant et précis dans la rédaction de ses dernières volontés.

III. Assurance-vie par simple lettre autographiée

Puisqu’aucune forme légale n’est imposée par le législateur, le souscripteur peut désigner le bénéficiaire par une lettre simple à l’assureur ou au courtier ou même par mention sur le contrat d’assurance. La jurisprudence prévoit que « la désignation du bénéficiaire peut aussi être faite par lettre simple manuscrite ou dactylographiée adressée à l’assureur » (4). Il suffit que la désignation résulte de la volonté certaine et non équivoque du bénéficiaire.

À nouveau, cette volonté devra transparaître dans la rédaction de la clause. Il s’agit donc d’être précis. Cette volonté sera par ailleurs appréciée souverainement par les juges du fond en cas de litige.

SOURCES :

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021810111
  2. https://www.lextenso.fr/petites-affiches/PA199919702
  3. https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2014/R53AB9754203B7C6CF0CD
  4. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007005716&fastReqId=814445685&fastPos=1
  5. LOI DU 15 NOVEMBRE 1887 SUR LA LIBERTÉ DES FUNÉRAILLES : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021810111
    LE NON-RESPECT DE LA VOLONTÉ DU DÉFUNT QUANT A LA DESTINATION DE SES CENDRES : https://www.lextenso.fr/petites-affiches/PA199919702
    COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 MAI 1980, 79-10.053, PUBLIÉ AU BULLETIN : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007005716&fastReqId=814445685&fastPos=1ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 : https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueurARTICLE 16 DU CODE CIVIL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI00000641932COUR D’APPEL DE PARIS, 5 DÉCEMBRE 1997 : D. 1998, IR, P. 40 ; DR. FAMILLE 1998, N° 93, NOTE BEIGNIER : https://www.juritravail.com/Actualite/testament/Id/309744
    ARTICLE L132-12 DU CODE DES ASSURANCES : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006793004/
    ARTICLE L132-9 DU CODE DES ASSURANCES : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000020195081/2009-02-01/
    COUR D’APPEL DE PARIS, 2014 : https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2014/R53AB9754203B7C6CF0CD
    ARTICLE L. 132-8 DU CODE DES ASSURANCES : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000018154217/2008-12-19/
    LOI N° 2007-1775 DU 17 DÉCEMBRE 2007 PERMETTANT LA RECHERCHE DES BÉNÉFICIAIRES DES CONTRATS D’ASSURANCE SUR LA VIE NON RÉCLAMÉS ET GARANTISSANT LES DROITS DES ASSURÉS : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000017661980/2021-01-20/
    ARTICLE 968 DU CODE CIVIL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006434040/
  6. https://investir-ethique.fr/assurance-vie-per-2022/
  7. https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CAORLEANS-09012024-21_00164?em=Cour%20d%27appel%20d%27orleans%2C%20Chambre%20Civile%2C%209%20janvier%202024%2C%20%2021%2F00164
  8. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006793016
  9. https://www.labase-lextenso.fr/jurisprudence/CARIOM-09012024-22_00119?em=Cour%20d%27appel%20de%20riom%2C%201%C3%A8re%20Chambre%2C%209%20janvier%202024%2C%20%2022%2F00119