Ecrire au notaire suffit il pour bloquer les délais en justice ?

En droit français, la prescription extinctive est le mécanisme par lequel un droit civil s’éteint si son titulaire n’exerce pas d’action pendant un certain délai prévu par la loi.

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Pour les actions personnelles ou mobilières, le délai général est de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit sait ou devrait savoir qu’il peut l’exercer (art. 2224 Code civil). Ce délai peut toutefois être interrompu par certaines causes très spécifiques prévues par la loi, de sorte qu’un nouveau délai de même durée recommence à courir à partir de l’acte interruptif (effet de réinitialisation) ; l’interruption n’est pas rétroactive. (1)

Le régime des causes d’interruption se trouve aujourd’hui aux articles 2240 à 2246 du Code civil, qui énumèrent limitativement les actes ou situations susceptibles, en principe, d’interrompre la prescription. Par exemple :

  • la reconnaissance par le débiteur du droit du créancier, qui équivaut à un aveu non équivoque de l’existence de la dette ou de l’obligation (art. 2240 Code civil.) ;
  • la demande en justice, même en référé ou devant une juridiction incompétente, ou encore lorsque la saisine est annulée pour vice de procédure (art. 2241 Code civil) ;
  • certains actes d’exécution forcée ou mesures conservatoires (art. 2244 Code civil). (2)

Cette liste limitative signifie que tout autre acte non prévu n’interrompt pas la prescription, sauf exceptions légales particulières (ex. lettre recommandée interrompt dans certains régimes spéciaux). À ce titre, la jurisprudence rappelle de façon constante qu’une mise en demeure par lettre simple ou recommandée adressée au débiteur ne vaut pas acte interruptif, sauf texte spécial (par ex. article L.114-2 Code des assurances pour certaines actions d’assurance). (3)

Dans le contexte précis des opérations notariales (partages, liquidations d’indivision, successions, etc.), il est fréquent que l’une des parties adresse à un notaire divers courriers, déclarations ou « dires » concernant ses prétentions ou réclamations. Mais ces écrits n’ont pas automatiquement un effet interruptif de prescription : leur qualification dépend de leur contenu juridique effectif et de leur portée factuelle, au regard des conditions strictes des articles 2240 et 2241 du Code civil.

La question se pose souvent : un « dire » adressé à un notaire, ou une lettre au notaire liquidateur, suffit-il à interrompre le délai de prescription ? La réponse repose principalement sur la jurisprudence de la Cour de cassation, qui examine cas par cas si le contenu de ce courrier contient une reconnaissance non équivoque d’un droit ou s’il constitue une demande juridique effective (ex. demande en justice), ce qui conditionne l’interruption. (4)

Deux grandes règles ressortent de l’interprétation jurisprudentielle :

Un simple courrier ou « dire » adressé au notaire qui n’exprime pas une reconnaissance claire ou une demande juridique n’interrompt normalement pas la prescription. Par exemple, la Cour de cassation a jugé que la lettre adressée à un notaire ne constituant pas une réclamation interruptive ne suffit pas à interrompre la prescription extinctive.

En revanche, si ce courrier contient une reconnaissance non équivoque du droit du créancier, ou s’il a été établi dans un contexte procédural précis avec effet juridique réel, il peut être retenu comme cause interruptive (sur le fondement de l’art. 2240) : ainsi, une lettre/« dire » adressé au notaire qui contient l’aveu non équivoque d’une obligation a été reconnu interruptif dans un arrêt de la première chambre civile (5); la reconnaissance n’a pas à être adressée directement au créancier, pourvu qu’elle existe. (6)

En pratique, un « dire » peut donc parfois interrompre la prescription, mais uniquement lorsqu’il remplit les conditions juridiques requises (donc qu’il équivaut à une reconnaissance non équivoque ou à une demande au sens juridique des textes).

En revanche, un courrier informatif, sans contenu juridique précis, ne suffit pas à lui seul à interrompre l’écoulement du délai de prescription. (7)

 

I. Le principe : le « dire » adressé au notaire n’interrompt pas, en lui-même, la prescription

A. Le caractère limitatif et d’interprétation stricte des causes légales d’interruption de la prescription

En droit civil français, l’interruption de la prescription extinctive est un mécanisme exceptionnel qui ne peut résulter que d’actes expressément prévus par la loi. Cette exigence découle directement de la lettre des articles 2240 à 2246 du Code civil, lesquels constituent un régime fermé, excluant toute interprétation extensive ou analogique.

L’article 2240 du Code civil prévoit l’interruption par reconnaissance :

« La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. »

L’article 2241 du Code civil vise quant à lui la demande en justice :

« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (…) »

L’article 2244 du Code civil ajoute certains actes d’exécution forcée :

Aucun de ces textes ne mentionne la correspondance, la mise en demeure, ni la lettre adressée à un notaire comme cause autonome d’interruption. Cette absence est décisive. La jurisprudence en déduit que la prescription ne peut être interrompue que par un acte juridiquement qualifié, à l’exclusion de toute manifestation de volonté dépourvue d’effet procédural ou d’aveu non équivoque.

La Cour de cassation rappelle de manière constante que :

« Les causes d’interruption de la prescription sont d’interprétation stricte. »

La doctrine est unanime pour considérer que la mise en demeure, même adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, n’interrompt pas la prescription, sauf texte spécial.

Dès lors, le simple fait qu’un écrit soit intitulé « dire » et adressé à un notaire ne lui confère aucune portée interruptive automatique.

B. La jurisprudence constante excluant l’effet interruptif de la correspondance notariale

La Cour de cassation juge de façon constante que le notaire n’est pas une juridiction et que les écrits qui lui sont adressés ne peuvent être assimilés à une demande en justice au sens de l’article 2241 du Code civil.

Dans un arrêt de principe, la première chambre civile a jugé que :

« Une lettre adressée à un notaire, qui ne constitue ni une reconnaissance du droit du créancier ni une demande en justice, n’interrompt pas la prescription. » (8)

La Cour souligne que, même lorsqu’il est notaire liquidateur ou chargé d’opérations de partage, le notaire ne tranche pas les litiges et n’exerce aucun pouvoir juridictionnel. Il s’ensuit que :

  • une contestation adressée au notaire,
  • une opposition à un projet d’acte,
  • un courrier exposant un désaccord,
  • ou un « dire » sollicitant une prise de position

ne constituent pas des actes interruptifs de prescription.

Cette solution est confirmée par la doctrine notariale et judiciaire, qui rappelle que les observations consignées dans le dossier notarial sont juridiquement neutres tant qu’elles ne valent pas reconnaissance.

Ainsi, en l’absence d’un contenu juridiquement qualifié, le « dire » adressé au notaire n’affecte pas le cours du délai de prescription, lequel continue à courir normalement.

 

II. L’exception : le « dire » au notaire peut interrompre la prescription s’il constitue une reconnaissance non équivoque

A. La reconnaissance du droit du créancier comme fondement autonome de l’interruption

Si le principe est l’inefficacité interruptive du « dire », la jurisprudence admet une exception strictement encadrée : celle dans laquelle le « dire » contient une reconnaissance non équivoque du droit du créancier, au sens de l’article 2240 du Code civil.

La Cour de cassation juge de manière constante que la reconnaissance :

  • n’est soumise à aucune condition de forme,
  • peut être adressée à un tiers,
  • peut résulter d’un écrit non authentique,

dès lors qu’elle est claire, précise et dépourvue d’ambiguïté.

Dans le cadre des opérations notariales, la Cour a explicitement admis qu’un dire adressé au notaire liquidateur puisse produire un effet interruptif lorsqu’il contient un aveu explicite d’une dette ou d’une obligation non exécutée.

Dans une affaire, un époux avait reconnu, dans un dire adressé au notaire, ne pas avoir réglé une dette commune. La Cour de cassation a jugé que cette déclaration constituait une reconnaissance interruptive de prescription, peu important qu’elle n’ait pas été adressée directement au créancier.

Ce qui confère l’effet interruptif n’est donc pas la qualité du notaire, mais la portée juridique intrinsèque de l’aveu contenu dans le dire.

B. Les conditions cumulatives exigées pour reconnaître un effet interruptif à un « dire » notarial

La jurisprudence impose des critères particulièrement stricts pour admettre qu’un « dire » adressé au notaire interrompe la prescription.

Première condition : une reconnaissance explicite et certaine

La reconnaissance doit porter directement sur le droit litigieux. Les formulations vagues, conditionnelles ou prudentes (« sous réserve », « il semblerait », « sauf erreur ») excluent tout effet interruptif.

Deuxième condition : l’absence totale d’ambiguïté

La Cour exige un aveu non équivoque. Une reconnaissance partielle ou indirecte est insuffisante.

Troisième condition : un lien direct avec la créance prescrite

La reconnaissance doit viser précisément la créance ou l’obligation dont la prescription est invoquée. Une reconnaissance portant sur une situation connexe ne suffit pas.

En pratique, ces exigences font que la grande majorité des “dires” adressés aux notaires ne sont pas interruptifs de prescription, et que seuls des écrits très précisément rédigés, contenant un aveu clair et assumé, peuvent produire cet effet.

 

Sources :

  1. Révisons la prescription (à propos de Cass. 2ème civ. 1er mars 2018) – Portail Universitaire du droit
  2. Atelier 33 – PRESCRIPTIONS EN MATIÈRE PATRIMONIALE DE LA FAMILLE.pdf
  3. Interruption de la prescription : insuffisance de la mise en demeure | Lexbase
  4. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 21 septembre 2016, 15-23.250, Publié au bulletin – Légifrance
  5. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 2 décembre 2020, 19-15.813, Publié au bulletin – Légifrance
  6. L’aveu dans un dire envoyé au notaire pour interrompre la prescription | Office Notarial de Baillargues
  7. Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 14 mai 2009, 08-17.063, Publié au bulletin – Légifrance
  8. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 21 septembre 2016, 15-21.920, Inédit – Légifrance